Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Bouygues Travaux publics Régions France a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant principalement à la condamnation du département de l'Isère à lui verser la somme de 314 279,41 euros avec les intérêts et leur capitalisation au titre de la clause de révision des prix du marché de construction du pont de Chartreuse à Grenoble.
Par le jugement n° 1303899 du 22 mars 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 mai, 9 septembre 2016 et 5 janvier 2017, la société Bouygues Travaux publics Régions France, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 mars 2016 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner le département de l'Isère à lui verser la somme de 314 279,41 euros (TTC) augmentée des intérêts de retard capitalisés à compter du 19 juillet 2013 ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Isère la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Bouygues Travaux publics Régions France soutient que :
- sa demande devant les premiers juges était recevable dès lors qu'en vertu de l'article 50.22 du CCAG " travaux " les litiges relatifs à la révision des prix opposent directement la personne responsable du marché et l'entrepreneur, ce qui exclut l'application de l'article 50.21 ; en outre, elle a saisi le CCIRA de son litige le 22 novembre 2012 ;
- c'est à tort que les premiers juges ont jugé qu'en prenant en compte comme indice de base le dernier indice publié au dernier jour du mois de mai 2009, soit l'indice du mois de février 2009, l'article 3.4.2. du CCAP n'aurait pas dérogé à l'article 10.44 du CCAG qui prend en compte comme indice de base celui du mois de mai 2009, publié en août 2009 ;
- l'article 3.4.2. du CCAP dérogeait à l'article 10.44 du CCAG Travaux ;
- à défaut d'avoir été récapitulé en fin de CCAP, l'article 3.4.2. lui était inopposable ;
- le département a lui-même utilisé l'indice du mois de mai 2009, publié en août 2009, et non celui du mois de février 2009, dernier indice connu au mois de mai 2009, pour l'établissement de ses deux premiers acomptes ; c'est à compter du troisième acompte qu'il a brusquement décidé de changer de méthode de calcul ;
- la formule de révision appliquée par le département est mathématiquement erronée.
Par des mémoires en défense enregistrés les 7 juillet et 6 octobre 2016, le département de l'Isère, représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête et de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;
2°) à titre subsidiaire, de retenir que la requête déposée devant le tribunal administratif de Grenoble était irrecevable ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de rejeter la requête comme non fondée ;
4°) de mettre à la charge de la société requérante la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le département de l'Isère fait valoir que :
- la demande de la société présentée devant le tribunal administratif de Grenoble était irrecevable : les réclamations adressées par la société au maître d'oeuvre ne pouvaient être analysées que comme des mémoires en réclamation au sens de l'article 50.11 du CCAG Travaux et devaient suivre le régime juridique de l'article 50.21 de ce CCAG ; en s'abstenant de communiquer un mémoire en réclamation dans les trois mois qui suivent la naissance d'une décision implicite de rejet de ses demandes, la société n'était plus recevable à saisir le tribunal administratif ;
- le CCAP ne dérogeait pas, sur les points litigieux, au CCAG Travaux ; à supposer que l'article 3.4.2. du CCAP s'analyse comme une dérogation au CCAG, il n'avait nul besoin d'être récapitulé à la fin du CCAP pour être opposable aux parties ; plus encore, dans le silence du CCAP et des documents ayant une force contractuelle supérieure, il ne peut être fait obstacle à l'application d'une disposition spécifique du CCAP au seul motif qu'elle ne serait pas conforme à un principe formel fixé par le CCAG ;
- la société requérante se contente d'arguer de l'incohérence de la formule de révision des prix, sans démontrer une quelconque illicéité.
Un mémoire produit par le département de l'Isère, enregistré le 21 mars 2017, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux passés par les collectivités locales et leurs établissements publics ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gondouin,
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant de la société Bouygues Travaux publics Région France et de MeD..., représentant du département de l'Isère ;
1. Considérant que le département de l'Isère a confié en 2009 la construction du pont de Chartreuse à Grenoble à un groupement d'entreprises constitué de la société Tournaud et de la société DV Construction, mandataire, aux droits de laquelle est venue la société Bouygues Travaux publics Régions France ; qu'un différend est né entre cette société et le maître d'oeuvre à propos de la date à prendre en compte pour les index de référence de révision des prix ; que la société Bouygues Travaux publics Régions France a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le département de l'Isère à lui verser la somme de 314 279,41 euros, avec les intérêts et la capitalisation au titre de la clause de révision des prix du marché ; qu'elle relève appel du jugement du 22 mars 2016 qui a rejeté sa demande ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance ;
2. Considérant que, d'une part, aux termes des deux premiers alinéas de l'article 10.44 du CCAG Travaux applicable au marché en litige : " L'actualisation ou la révision des prix se fait en appliquant des coefficients établis à partir d'index de référence fixés par le marché. / La valeur initiale du ou des index à prendre en compte est celle du mois d'établissement des prix " ; que l'article 10.45 du même CCAG stipule : " Le mois d'établissement des prix est celui qui est précisé dans le marché ou, à défaut d'une telle précision, le mois de calendrier qui précède celui de la signature de l'acte d'engagement par l'entrepreneur " ;
3. Considérant que, d'autre part, l'article 3.4.1. du CCAP applicable au marché litigieux ne déroge pas aux stipulations du CCAG, comme le soutient la société requérante, mais vient les préciser ; que cet article stipule à propos du " Mois d'établissement des prix du marché " : " Les prix du présent marché sont réputés établis sur la base des conditions économiques du mois de signature de l'acte d'engagement par l'entreprise. Ce mois est appelé "mois zéro" " ; qu'en vertu des stipulations de l'article 3.4.2. du même CCAP relatives aux modalités de révision des prix : " Les prix sont révisables, les coefficients de révision applicables "Cn" pour le calcul de l'acompte du mois "n" sont donnés par la formule de variation et les index de référence suivants (...) Dans laquelle : I0 est la dernière valeur publiée de l'index au dernier jour du mois m0, In est la dernière valeur publiée au dernier jour du mois n " ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des pièces produites par la requérante, que l'acte d'engagement a été signé par la société DV Constructions le 7 mai 2009, date qui correspond à la date limite pour la remise des offres ; que le document signé le 3 août 2009 intitulé " annexe à l'acte d'engagement relative à une mise au point du marché " a simplement corrigé une erreur de calcul de 8,81 euros pour un marché d'un montant total de 6 290 909,92 euros TTC ; que cette mise au point de portée très limitée ne saurait être considérée comme un acte d'engagement, qui par nature doit être signé avant la remise des offres ; que dès lors, et comme l'a retenu le jugement attaqué, le mois zéro du marché auquel fait référence le CCAP doit être celui de mai 2009 ;
5. Considérant, dès lors, qu'en application des stipulations précitées du CCAP, pour appliquer au marché litigieux la formule de révision des prix, il convenait de retenir " la dernière valeur publiée de l'index au dernier jour du mois m0 " c'est-à-dire l'index publié au mois de février 2009 ; que la société requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que c'est à tort que le département s'est référé à cet index publié en février 2009 pour appliquer la clause de révision des prix ; qu'il ne résulte en outre pas de l'instruction que la formule appliquée par le département de l'Isère serait, comme le soutient la société requérante en déplorant sa relative complexité, " mathématiquement erronée " ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Bouygues Travaux publics Région France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;
Sur les frais liés au litige :
7. Considérant que la société Bouygues Travaux publics Régions France étant en l'espèce partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de l'Isère une somme à lui verser au titre des frais liés au litige ; qu'il y a lieu de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros à verser au département de l'Isère sur le fondement des mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1 : La requête de la société Bouygues Travaux publics Régions France est rejetée.
Article 2 : La société Bouygues Travaux publics Régions France versera la somme de 1 500 euros au département de l'Isère en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bouygues Travaux publics Régions France et au département de l'Isère
Délibéré après l'audience du 14 juin 2018 où siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Gondouin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 juillet 2018.
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N° 16LY01624