Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
- Sous le n° 1400727, la SARL Centris a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les marchés de service conclus par Courchevel Tourisme avec la société Alp'Audio Concept le 5 décembre 2013 en vue de la sonorisation et de l'éclairage des animations de la station Courchevel au cours de la saison hivernale 2013-2014 et de condamner Courchevel Tourisme au paiement de 30 000 euros en indemnisation de son manque à gagner résultant de son éviction irrégulière.
- Sous le n°1403990, la SARL Centris a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la société Courchevel Tourisme à lui verser une somme de 30 000 euros en indemnisation de son manque à gagner résultant de son éviction irrégulière.
Par un jugement n°s 1400727-1403990 du 29 septembre 2016, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les marchés de service conclus par Courchevel Tourisme avec la société Alp'Audio Concept le 5 décembre 2013, a condamné Courchevel Tourisme à payer à la SARL Centris la somme de 9 000 euros et a mis à la charge de l'établissement public la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2016, Courchevel Tourisme, représenté par la SELURL Cochet, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 29 septembre 2016 ;
2°) de rejeter les conclusions de première instance de la SARL Centris ;
3°) de mettre à la charge de cette société le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la SARL Centris, en sa qualité de tiers au contrat, n'est pas recevable à contester les conditions d'exécution du marché ; sa demande d'annulation du contrat n'a pas été précédée d'une demande préalable de nature à lier le contentieux ;
- l'offre retenue n'était pas, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, anormalement basse ;
- l'offre présentée par l'attributaire était économiquement la plus avantageuse, bien référencée sur le marché et avec une qualité très honorable des prestations techniques ;
- les chances de la SARL Centris de remporter le marché étaient nulles ;
- la demande indemnitaire de la société Centris est injustifiée et disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2017, et un mémoire rectificatif enregistré le 20 avril 2017, la SARL Centris, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 29 septembre 2016 ;
2°) de condamner Courchevel Tourisme à lui verser 18 000 euros au titre de son manque à gagner ;
3°) de mettre à la charge de cet établissement public une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- elle est recevable, en sa qualité de concurrent évincé, à contester la validité des marchés de services et à demander l'indemnisation de son manque à gagner ;
- l'offre de la société attributaire était incomplète et aurait dû conduire le pouvoir adjudicateur à éliminer sa candidature ;
- son offre était irrégulière car elle ne respectait pas les caractéristiques des projecteurs demandés ;
- son offre était inacceptable car elle proposait la mise à disposition gratuite de matériels et ne facturait qu'une seule journée de travail du personnel sur les deux prévues ;
- l'offre était anormalement basse ;
- elle avait une chance sérieuse d'obtenir le marché ;
- son manque à gagner doit être évalué à 18 000 euros, soit 20% du montant de son offre.
La société Alp'Audio Concept a présenté des observations par un mémoire enregistré le 19 avril 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics alors en vigueur ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lesieux ;
- les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence, publié le 7 novembre 2013 au bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP), l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) à vocation touristique, Courchevel Tourisme, a lancé une procédure adaptée en vue de la passation d'un marché de services, décomposé en deux lots, ayant pour objet la sonorisation et l'éclairage des animations de la station Courchevel pour la saison d'hiver 2013-2014. Par des courriers des 4 et 10 décembre 2013, la société Centris est informée du rejet de son offre, classée en deuxième position, et de l'attribution des deux lots du marché, le 5 décembre 2013, à la société Alp'Audio Concept pour un montant total de 35 912,65 euros HT soit 42 951,54 euros TTC. La société Centris a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une première demande, enregistrée le 6 février 2014 sous le n° 1400727, tendant à l'annulation de ce marché et à l'indemnisation de son manque à gagner. Puis, après avoir formé une demande indemnitaire préalable auprès de l'EPIC Courchevel Tourisme, expressément rejetée le 28 avril 2014, la société Centris a saisi ce même tribunal d'une nouvelle demande, enregistrée le 26 juin 2014 sous le n° 1403990, tendant à l'indemnisation de son manque à gagner à hauteur de 30 000 euros. Par un jugement du 29 septembre 2016, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir joint ces deux demandes, a annulé le marché en cause et a condamné l'EPIC Courchevel Tourisme à verser à la société Centris la somme de 9 000 euros en réparation de son préjudice résultant de son éviction irrégulière. L'EPIC Courchevel Tourisme relève appel de ce jugement et par la voie de l'appel incident, la société Centris demande à la cour de porter à 18 000 euros le montant de la condamnation prononcée à l'encontre de l'établissement public.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance n° 1400727 :
2. Indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses qui en sont divisibles, afin d'en obtenir la résiliation ou l'annulation. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat. Il peut également engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé. La recevabilité des conclusions indemnitaires, présentées à titre accessoire ou complémentaire aux conclusions contestant la validité du contrat, est soumise, selon les modalités du droit commun, à l'intervention d'une décision préalable de l'administration de nature à lier le contentieux, le cas échéant en cours d'instance.
3. En premier lieu, et ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, la société Centris, concurrent évincé, était recevable à saisir le juge du contrat d'une demande tendant à l'annulation du marché de services conclu entre l'EPIC Courchevel Tourisme et la société Alp'Audio Concept. A supposer que l'un des moyens qu'elle invoque ne puisse l'être utilement, cette circonstance ne rend pas irrecevable les conclusions de sa demande.
4 En second lieu, si antérieurement à l'introduction de sa première demande, la société Centris n'avait pas saisi l'établissement public d'une demande indemnitaire préalable, elle a formé une telle demande le 12 mars 2014. Cette demande, qui a été rejetée le 28 avril suivant, a été de nature à lier le contentieux en cours d'instance, ainsi que l'a jugé le tribunal.
5. C'est par suite à bon droit que les premiers juges ont écarté les fins de non-recevoir opposées par l'EPIC Courchevel Tourisme.
En ce qui concerne la régularité de la procédure de passation du marché :
6. Aux termes de l'article 55 du code des marchés publics alors en vigueur : " Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies. (...) Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, les procédés de construction ; / 2° Les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou pour réaliser les prestations de services ;/ 3° L'originalité de l'offre ; / 4° Les dispositions relatives aux conditions de travail en vigueur là où la prestation est réalisée ;/ 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le candidat. (...) "
7. Il résulte de ces dispositions que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre sauf à porter atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public.
8. D'une part, il ressort de l'avis d'appel public à la concurrence publié au BOAMP le 7 novembre 2013, et ainsi que l'a jugé le tribunal, que le montant du marché estimé par le pouvoir adjudicateur était valorisé à la somme de 90 000 euros HT. L'EPIC Courchevel Tourisme ne peut valablement soutenir que cette mention résulterait d'une obligation pour lui de préciser, dans le formulaire de publication des avis d'appel public à la concurrence au BOAMP, un montant du marché inférieur à 90 000 euros HT afin de justifier de la mise en oeuvre d'une procédure adaptée pour la conclusion du marché en cause. En effet, les seuils de procédure fixés par l'article 26 du code des marchés publics alors en vigueur, permettaient aux collectivités et à leurs établissements publics de passer des marchés de services selon la procédure adaptée, dans les conditions définies par l'article 28, lorsque le montant estimé du besoin est inférieur à 200 000 euros HT et non à 90 000 euros HT comme le prétend l'établissement public.
9. D'autre part, il résulte de l'instruction que l'offre de la société Centris était de 90 000 euros HT, celle du troisième candidat était de 128 900 euros HT et celle de l'attributaire de seulement 35 912,65 euros HT, soit un prix inférieur d'environ 60% par rapport à celle de la société Centris et de 72 % par rapport à celle de l'autre candidat évincé. Il ressort des devis émanant de la société Alp'Audio Concept que cette société a pratiqué des remises de l'ordre de 65% en moyenne sur les tarifs qu'elle proposait initialement et qui conduisaient à un montant de prestations de plus de 100 000 euros HT. Il est constant que l'EPIC Courchevel Tourisme n'a sollicité auprès de cette société aucune précision ou justification de nature à expliquer le taux important des remises pratiquées et le prix finalement proposé. Ainsi, les conditions dans lesquelles la consultation des offres a été effectuée ont porté atteinte à l'égalité entre les candidats. C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont estimé que la décision d'attribuer le marché à la société Alp'Audio Concept avait été prise à l'issue d'une procédure irrégulière. L'EPIC Courchevel Tourisme ne conteste pas que cette irrégularité, qui a trait au choix du cocontractant, est de nature à entraîner l'annulation du marché contesté ainsi que l'a jugé le tribunal.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
10. L'entreprise candidate à l'attribution d'un marché public qui a été irrégulièrement évincée de ce marché qu'elle avait des chances sérieuses d'emporter a droit à être indemnisée de son manque à gagner. Ce manque à gagner doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net que lui aurait procuré le marché.
11. Il résulte de l'instruction que l'offre économiquement la plus avantageuse était appréciée en fonction de trois critères, le prix HT et TTC, pondéré à 60%, la qualité des prestations techniques proposées et la méthodologie mise en oeuvre, pondéré à 20%, ainsi que les références similaires à l'objet du marché, pondéré à 20%.
12. D'une part, l'EPIC Courchevel Tourisme soutient que la société Centris n'avait aucune chance d'emporter le marché compte tenu du prix qu'elle proposait. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 9 que le prix proposé par cette société était identique à l'estimation du pouvoir adjudicateur, inférieure à celle du troisième candidat, et même inférieur au prix initial, hors remises, proposé par l'attributaire. D'autre part, il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'analyse des offres que l'offre de la société Centris avait obtenu une note de 18/20 pour les deux lots au deuxième critère et une note de 13/20 au troisième critère soit un total de 31/40. La société Alp'Audio Concept a obtenu, quant à elle, une note globale à peine supérieure de 32/40.
13. Il en résulte que la société Centris, avait, contrairement aux affirmations de l'EPIC Courchevel Tourisme, une chance sérieuse d'emporter le marché. Elle peut donc prétendre à être indemnisée de l'intégralité de son manque à gagner que le tribunal administratif de Grenoble a estimé à 9 000 euros.
14. L'EPIC Courchevel Tourisme se borne à soutenir que cette somme est injustifiée et disproportionnée. La société Centris, qui demande à ce que cette somme soit portée à 18 000 euros, produit seulement un bilan prévisionnel qui ne fait état que de la marge brute attendue de l'exécution du marché. Ainsi, dès lors qu'aucune des parties ne produit en appel de justificatifs permettant de remettre en cause le taux de marge nette de 10 % retenu par le tribunal, il n'y a pas lieu pour la cour de remettre en cause le montant de l'indemnité fixée par ce même tribunal.
15. Il résulte de tout ce qui précède que l'EPIC Courchevel Tourisme n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le marché conclu avec la société Alp'Audio Concept le 5 décembre 2013 et l'a condamné à verser à la société Centris la somme de 9 000 euros en réparation de son manque à gagner résultant de son éviction irrégulière.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que l'EPIC Courchevel Tourisme demande au titre des frais qu'elle a exposés soit mise à la charge de la société Centris, qui n'est pas partie perdante. En application de ces mêmes dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EPIC Courchevel Tourisme le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Centris.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'EPIC Courchevel Tourisme est rejetée.
Article 2 : L'EPIC Courchevel Tourisme versera à la société Centris la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Centris est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'EPIC Courchevel Tourisme, à la société Centris et à la société Alp'Audio Concept.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Lesieux, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 janvier 2019.
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N° 16LY03949