Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. F... A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 29 mars 2023 par lequel la préfète de l'Ain l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable une fois.
Par un jugement nos 2302544 - 2302576 du 5 avril 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 27 avril 2023, la préfète de l'Ain demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Lyon tendant à l'annulation de cet arrêté.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé que l'obligation de quitter le territoire français était entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la signataire de l'arrêté était compétente pour le faire ;
- les décisions en litige sont motivées ;
- l'obligation de quitter le territoire français n'a pas méconnu le droit d'être entendu ;
- la décision portant refus de délai de départ volontaire n'est pas entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français n'est pas entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ;
- la décision de fixation du pays de destination n'est pas entachée, par voie d'exception, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Par des mémoires enregistrés les 9 juillet et 31 octobre 2023, et un mémoire enregistré le 16 février 2024 et non communiqué, M. F... A... B..., représenté par Me Laforêt, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint à la préfète de l'Ain de réexaminer sa demande d'admission au séjour, dans un délai de quinze jours à partir de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant ce réexamen et mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé et est entaché de défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'incompétence ;
- cette décision est intervenue en méconnaissance du principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu ;
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions fixant le pays de destination, portant interdiction de retour sur le territoire français et assignation à résidence, sont illégales par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Porée, premier conseiller,
- et les observations de M. A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., de nationalité tunisienne et né le 11 septembre 2000, est entré sur le territoire français le 1er juillet 2017 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de long séjour mention " visiteur " valable du 14 juin 2017 au 14 juin 2018. Il a été muni, à partir du 24 septembre 2019, d'une carte de séjour temporaire mention " étudiant " d'un an puis d'une carte de séjour pluriannuelle mention " étudiant " valable jusqu'au 23 novembre 2021. Il a demandé, le 6 décembre 2021, le renouvellement du titre de séjour mention " étudiant ". Par un arrêté du 24 décembre 2021, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de faire droit à sa demande et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par un arrêté du 29 mars 2023, la préfète de l'Ain a obligé M. A... B... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il sera reconduit, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable une fois. La préfète de l'Ain relève appel du jugement du 5 avril 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a annulé cet arrêté.
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné :
2. M. A... B... ne peut être dépourvu de toutes attaches personnelles en Tunisie où il a vécu jusqu'à l'âge de seize ans et neuf mois. Si sa compagne est enceinte, leur relation est encore récente. Le requérant n'établit pas avoir conservé des liens avec sa tante paternelle de nationalité française, qui était sa tutrice à son entrée sur le territoire français, et il ne démontre pas que sa présence serait indispensable auprès d'une autre de ses tantes paternelles, titulaire d'une carte de résident de dix ans, en raison de ses problèmes de thyroïde et de la nécessité d'être appareillée pour apnée du sommeil. Si ses parents sont décédés, il ressort du jugement de tutelle du tribunal de première instance de Tunis II du 24 août 2016 qu'il a une sœur en Tunisie, et de la demande de visa de sa tante paternelle de nationalité française du 5 avril 2017 qu'il y a aussi un frère. En outre, il ne justifie pas d'une insertion particulière dans la société française. En effet, si le requérant produit des attestations de soutien de camarades de classe, d'enseignants et du personnel administratif du lycée de Nantua où il est inscrit en classe de première dans une filière de baccalauréat professionnelle de technicien conseil vente et son bulletin de notes du premier semestre de l'année scolaire 2022/2023 faisant état d'une moyenne générale de 13/20, il n'a pas obtenu de baccalauréat à l'issue de ses deux années de scolarité en première et terminale. De plus, il ressort du fichier du traitement des antécédents judiciaires que M. A... B... est connu pour usage illicite de stupéfiants le 5 juillet 2019 et il ne ressort ni du dossier de première instance ni du dossier d'appel que l'intéressé ne peut poursuivre sa scolarité en Tunisie. Par suite, c'est à tort que, pour annuler l'obligation de quitter le territoire français prise par la préfète de l'Ain et, par voie de conséquence, les autres décisions contenues dans l'arrêté en litige, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a retenu qu'elle avait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de l'obligation de quitter le territoire français sur la situation personnelle de M. A... B....
3. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... B... devant le tribunal administratif et en appel.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... B... :
4. En premier lieu, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination, ainsi que celles en tout état de cause portant refus de délai de départ volontaire, interdiction de retour sur le territoire français durant un an et assignation à résidence, comportent les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
5. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de l'Ain n'a pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle du requérant avant de prendre la mesure d'éloignement et les autres décisions contenues dans l'arrêté en litige.
6. En troisième lieu, l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français a été signé par Mme D... C..., directrice de la citoyenneté et de l'intégration de la préfecture de l'Ain, en vertu d'une délégation de signature consentie par un arrêté de la préfète de l'Ain du 28 mars 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le jour même. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
7. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que, le 29 mars 2023, préalablement à l'édiction de la décision contestée, M. A... B... a été auditionné par les services de gendarmerie nationale de Nantua et qu'il lui a, à cette occasion, été demandé de présenter ses observations sur ses liens familiaux en France, sur ses conditions de séjour en France, sur son domicile, sur sa situation professionnelle, sur une mesure d'éloignement antérieure et sur l'éventualité d'une mesure d'éloignement. En outre, l'intimé ne précise pas ce qu'il aurait pu rajouter dans le cadre d'observations écrites. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
8. En cinquième lieu, pour les mêmes motifs que ceux précédemment évoqués au point 3, la préfète de l'Ain a pu édicter l'obligation de quitter le territoire français sans méconnaître les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. En sixième et dernier lieu, M. A... B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre les autres décisions prises dans l'arrêté en litige.
10. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Ain est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté du 29 mars 2023.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais liés au litige exposés par M. A... B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement nos 2302544 - 2302576 du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon du 5 avril 2023 est annulé.
Article 2 : La demande de M. A... B... présentée devant le tribunal administratif tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de l'Ain du 29 mars 2023 est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de M. A... B... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 22 février 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Courbon, présidente-assesseure,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2024.
Le rapporteur,
A. Porée
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY01465