Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Le syndicat professionnel Union des producteurs de vins " Mâcon " a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 5 février 2020, notifiée le 3 août 2020, par laquelle la commission permanente de l'Institut national de l'origine et de la qualité a rejeté sa demande de modification du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Mâcon ".
Par un jugement n° 2101272 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 août 2022 et 19 mai 2023, l'Union des producteurs de vins " Mâcon ", représentée par la société civile professionnelle Desilets, Robbe, Roquel, agissant par Me Robbe, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 30 juin 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 5 février 2020 ;
3°) d'enjoindre à l'Institut national de l'origine et de la qualité de procéder à un nouvel examen de sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Institut national de l'origine et de la qualité la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'article R. 641-20-1 du code rural et de la pêche maritime est contraire au droit de l'Union, dès lors que la formulation de cet article laisse entendre que les pouvoirs de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) de refuser une modification du cahier des charges seraient totalement discrétionnaires ; l'INAO est tenu de faire droit à une demande de reconnaissance d'une appellation d'origine, ou à une demande de modification de celle-ci, dès lors que les conditions requises par les articles 93 et suivants sont remplies, ce qui est le cas en l'espèce en vertu du règlement n° 1308/2013 ;
- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure dans la mesure où la demande n'a pas été soumise à une procédure nationale d'opposition alors même qu'elle portait sur une demande visant à informer les consommateurs sur le lieu de production des vins, ce qui a trait aux caractéristiques essentielles du produit et constitue ainsi une demande de modification majeure du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Mâcon " ;
- l'INAO a commis une erreur de droit en considérant que la mention " vin de Bourgogne " inscrite sur les étiquetages des producteurs de vin de l'appellation d'origine contrôlée " Mâcon ", serait une référence à l'appellation d'origine " Bourgogne " protégée par le cahier des charges homologué selon le décret n° 2011-1615 du 22 novembre 2011 ; les producteurs de vin de Mâcon, y compris les producteurs de Mâcon " villages ", n'entendent pas revendiquer l'appellation " Bourgogne " lorsqu'ils font apparaître la mention " vin de Bourgogne " sur leur étiquette ; ils entendent simplement renseigner le consommateur sur l'origine géographique du produit.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 24 février 2023, l'Institut national de l'origine et de la qualité, représenté par le cabinet François Pinet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Union des producteurs de vins " Mâcon " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le syndicat requérant ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 8 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
- le règlement délégué (UE) n° 2019/33 de la Commission du 17 octobre 2018 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2011-1615 du 22 novembre 2011 relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Bourgogne " ;
- le décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques œnologiques ;
- l'arrêté du 8 juillet 2019 homologuant le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Mâcon " ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
- et les observations de Me Goirand, représentant l'Union des producteurs de vins " Mâcon ".
Considérant ce qui suit :
1. Le syndicat professionnel Union des producteurs de vins " Mâcon ", organisme de défense et de gestion de l'appellation d'origine contrôlée " Mâcon ", a formé le 31 janvier 2017 une demande de modification du cahier des charges de cette appellation d'origine contrôlée. Le 13 septembre 2017, la commission permanente de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) a approuvé toutes les demandes de modification à l'unanimité, à l'exception de l'une d'entre elles, et le nouveau cahier des charges de l'appellation en résultant a été homologué par un arrêté du 8 juillet 2019 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, publié au Journal officiel de la République française du 12 juillet 2019. La dernière modification demandée par le syndicat professionnel relative à l'autorisation d'utiliser la mention " vin de Bourgogne " pour tous les vins de l'appellation d'origine contrôlée " Mâcon " a donné lieu à une décision de rejet du 9 février 2020 de la commission permanente de l'Institut national de l'origine et de la qualité, notifiée au syndicat professionnel requérant par une lettre du 3 août 2020. L'Union des producteurs de vins " Mâcon " relève appel du jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 641-20-1 du code rural et de la pêche maritime : " I. - La demande de modification d'un cahier des charges d'une appellation d'origine, d'une indication géographique ou d'une spécialité traditionnelle garantie est soumise pour approbation au comité national compétent de l'Institut national de l'origine et de la qualité. Lorsque ce dernier estime qu'elle comporte des modifications majeures, la demande est soumise à une procédure nationale d'opposition dans les conditions prévues à l'article R. 641-13. / (...) IV.-Lorsque l'INAO estime que la modification demandée du cahier des charges n'est pas justifiée, il notifie au demandeur et, le cas échéant, aux opposants son refus de l'approuver. ".
3. En premier lieu, le syndicat professionnel Union des producteurs de vins " Mâcon " reprend en appel le moyen tiré de l'inconventionnalité de l'article R. 641-20-1 du code rural et de la pêche maritime invoqué en première instance en diverses branches. Ce moyen doit être écarté par adoption des motifs circonstanciés retenus à bon droit par les premiers juges et non utilement critiqués en appel.
4. En deuxième lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article R. 641-20-1 du code rural et de la pêche maritime que, saisi d'une demande de modification d'un cahier des charges d'une appellation d'origine, il appartient au comité national compétent de l'INAO d'apprécier si la modification demandée peut être qualifiée de mineure. S'il estime que tel n'est pas le cas, cette circonstance n'est pas, à elle seule, de nature à justifier le rejet de la demande, mais implique seulement que la demande, approuvée par le comité national et portant sur une modification majeure, soit soumise à la procédure d'opposition prévue à l'article R. 641-13 du code rural et de la pêche maritime. En revanche, l'INAO peut rejeter la demande de modification, qu'elle soit ou non mineure, s'il estime qu'elle n'est pas justifiée. Par suite, et comme l'ont relevé les premiers juges, et dès lors qu'en l'espèce, l'INAO a estimé que la demande de modification devait être refusée, le moyen tiré du vice de procédure tenant à l'absence de mise en œuvre de la procédure nationale d'opposition doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 120, intitulé " Indications facultatives ", paragraphe 1, du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 : " L'étiquetage et la présentation des produits visés à l'annexe VII, partie II, points 1 à 11, 13, 15 et 16, peuvent, en particulier, comporter les indications facultatives suivantes: / (...) g) pour les vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée, le nom d'une autre unité géographique plus petite ou plus grande que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique. ". Aux termes de l'article 55, intitulé " Référence aux noms des unités géographiques plus petites ou plus grandes que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée " du règlement délégué (UE) n° 2019/33 de la Commission du 17 octobre 2018 complétant le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les demandes de protection des appellations d'origine, des indications géographiques et des mentions traditionnelles dans le secteur vitivinicole, la procédure d'opposition, les restrictions d'utilisation, les modifications du cahier des charges, l'annulation de la protection, l'étiquetage et la présentation : " 1. Conformément à l'article 120, paragraphe 1, point g), du règlement (UE) no 1308/2013, et sans préjudice des articles 45 et 46, seul un produit de la vigne bénéficiant d'une appellation d'origine protégée, d'une indication géographique protégée ou d'une indication géographique d'un pays tiers peut comporter sur son étiquette une référence au nom d'une unité géographique qui est plus petite ou plus grande que la zone de cette appellation d'origine ou de cette indication géographique. (...) ". Aux termes de l'article 58, intitulé " Dispositions supplémentaires des Etats membres producteurs concernant l'étiquetage et la présentation ", paragraphe 1, du même règlement : " Les États membres peuvent rendre l'utilisation des indications visées aux articles 49, 50, 52, 53 et 55 du présent règlement et à l'article 13 du règlement d'exécution (UE) 2019/34 obligatoire, interdite ou limitée pour les produits de la vigne bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée élaborés sur leur territoire, par l'introduction de conditions plus strictes que celles fixées dans le présent chapitre au moyen des cahiers des charges correspondant à ces produits de la vigne. ".
6. Aux termes de l'article 5 du décret du 4 mai 2012 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques œnologiques : " L'étiquetage des vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée peut mentionner le nom d'une unité géographique plus grande que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée si le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée le prévoit. ".
7. Les dispositions de l'article 5 du décret du 12 mai 2012, pris en application de l'article 67 du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission, remplacé par l'article 55 du règlement délégué (UE) n° 2019/33 de la Commission du 17 octobre 2018, n'ont ni pour objet ni pour effet d'édicter une interdiction d'usage, sur l'étiquetage des vins, de noms d'unités géographiques plus grandes que les aires des appellations d'origine protégées ou des indications géographiques protégées, mais déterminent les règles d'utilisation de ces noms en énonçant notamment que, comme le prévoit l'article 58, paragraphe 1, du même règlement, leur usage n'est possible que dans le respect des clauses des cahiers des charges des appellations et indications géographiques concernées qui listent les dénominations géographiques complémentaires autorisées. Cette réglementation poursuit un but d'intérêt général tenant à la sauvegarde des intérêts des producteurs contre la concurrence déloyale d'opérateurs usant de noms géographiques attractifs qui ne sont pas autorisés par le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée ou l'indication géographique protégée et à la protection des consommateurs contre l'usage trompeur de noms laissant penser que le vin présente des caractéristiques propres à une dénomination géographique complémentaire protégée au sein de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée, gage de qualité aux yeux des consommateurs.
8. Aux termes de l'article 103, intitulé " Protection ", paragraphe 2, du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil : " Une appellation d'origine protégée et une indication géographique protégée, ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges correspondant, sont protégés contre: / a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte de cette dénomination protégée: / i) pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée; ou / ii) dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d'une appellation d'origine ou indication géographique; / b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l'origine véritable du produit ou du service est indiquée (...) / c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, à l'origine, à la nature ou aux qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit vitivinicole concerné (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 643-2 du code rural et de la pêche maritime : " L'utilisation d'indication d'origine ou de provenance ne doit pas être susceptible d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques du produit, de détourner ou d'affaiblir la notoriété d'une dénomination reconnue comme appellation d'origine ou enregistrée comme indication géographique ou comme spécialité traditionnelle garantie, ou, de façon plus générale, de porter atteinte, notamment par l'utilisation abusive d'une mention géographique dans une dénomination de vente, au caractère spécifique de la protection réservée aux appellations d'origine, aux indications géographiques et aux spécialités traditionnelles garanties. ".
9. La demande de modification du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Mâcon " porte sur la possibilité d'utiliser la mention " vin de Bourgogne ", soit un nom d'unité géographique plus grande, pour tous les vins de l'appellation. Si le syndicat professionnel Union des producteurs de vins " Mâcon ", soutient que la modification sollicitée entend simplement renseigner le consommateur sur l'origine géographique du produit, il ressort toutefois des pièces du dossier que " Bourgogne " est également le nom d'une appellation d'origine contrôlée. La décision de refus repose ainsi sur le motif que " l'extension de la possibilité d'étiqueter " vin de Bourgogne " à l'ensemble des produits pouvant revendiquer l'appellation " Mâcon " n'est pas conforme au règlement européen (UE) n° 1308/2013. Certains types de vins produits au titre de cette AOC étant élaborés sur le fondement de conditions ne s'insérant pas dans celles du cahier des charges de l'AOC " Bourgogne ", la mention " Vin de Bourgogne " dans l'étiquetage de ceux-ci n'est donc pas possible ".
10. Il n'est pas utilement contesté par le syndicat professionnel requérant que le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Bourgogne " prévoit des conditions plus restrictives sur certains points pour cette appellation d'origine que pour l'appellation d'origine " Mâcon ". Aux termes des dispositions du chapitre 2, XII, 2, e), le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Mâcon " homologué par arrêté du 8 juillet 2019 ne permet l'adjonction du nom de l'unité géographique " Bourgogne " qu'aux vins de Mâcon qui bénéficient de la mention " Villages ", laquelle n'est délivrée qu'aux vins issus des cépages " Chardonnay B ", et dont les conditions d'élaboration, tenant notamment à la maturité des raisins et au rendement en hectolitres par hectare, différentes de celles des autres vins de " Mâcon " rouges, rosés ou blancs, peuvent être regardées comme équivalentes à celles des vins bénéficiant de l'AOC " Bourgogne ".
11. Les caractéristiques des vins bénéficiant de l'appellation d'origine " Mâcon " étant, comme il vient d'être dit, objectivement différentes de celles auxquelles doivent répondre les vins bénéficiant de la mention " Village ", l'Institut national de l'origine et de la qualité a pu, sans entacher sa décision d'une erreur d'appréciation, refuser la modification du cahier des charges de l'AOC " Mâcon " en litige, laquelle serait susceptible de porter atteinte, dans les conditions définies au point 8 du présent arrêt, à l'appellation d'origine " Bourgogne ".
12. Il résulte de ce qui précède que l'Union des producteurs de vins " Mâcon " n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de l'Union des producteurs de vins " Mâcon " présentées sur son fondement. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge une somme de 2 000 euros à verser à l'Institut national de l'origine et de la qualité en application de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'Union des producteurs de vins " Mâcon " est rejetée.
Article 2 : L'Union des producteurs de vins " Mâcon " versera à l'Institut national de l'origine et de la qualité une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Union des producteurs de vins " Mâcon " et à l'Institut national de l'origine et de la qualité.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
M. Joël Arnould, premier conseiller,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2024.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLa présidente,
Emilie Felmy
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02626