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17/04/2024 | FRANCE | N°22LY01172

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 17 avril 2024, 22LY01172


Vu les procédures suivantes :



Procédures contentieuses antérieures



I. Par une requête enregistrée sous le n° 2002067, la commune de Saint-Julien-Molin-Molette (42220) a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du préfet de la Loire du 2 janvier 2020 relatif à l'exploitation, par la société Delmonico-Dorel Carrières, d'une carrière de roche dure sur son territoire et celui de la commune de Colombier (42220), et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice

administrative.



II. Par une requête enregistrée sous le n° 2005250, l'associa...

Vu les procédures suivantes :

Procédures contentieuses antérieures

I. Par une requête enregistrée sous le n° 2002067, la commune de Saint-Julien-Molin-Molette (42220) a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du préfet de la Loire du 2 janvier 2020 relatif à l'exploitation, par la société Delmonico-Dorel Carrières, d'une carrière de roche dure sur son territoire et celui de la commune de Colombier (42220), et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. Par une requête enregistrée sous le n° 2005250, l'association "Bien Vivre à Saint-Julien et Colombier", Mme V... H..., Mme Y... A..., Mme G... Q..., Mme U... I..., M. L... R..., Mme AA... S..., M. L... D..., Mme N... D..., Mme T... B..., M. C... K..., M. W... M..., Mme P... O..., M. J... E... et Mme F... X..., la première nommée ayant qualité de représentante unique pour l'application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, ont demandé au tribunal administratif de Lyon :

- avant dire droit, d'organiser une visite sur les lieux en application de l'article R. 622-1 du code de justice administrative,

- d'annuler l'arrêté du préfet de la Loire du 2 janvier 2020 relatif à l'exploitation par la société Delmonico-Dorel Carrières d'une carrière de roche dure sur les territoires des communes de Saint-Julien-Molin-Molette et Colombier (42200),

- et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros à chacun des requérants, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

III. Par une requête enregistrée sous le n° 2006093, le syndicat du parc naturel régional du Pilat a demandé au tribunal administratif de Lyon :

- avant dire droit, d'une part, de solliciter l'avis d'un agent public spécialisé en écologie qu'il lui plaira de désigner, par exemple l'agent d'un parc naturel régional, d'un parc national ou des services d'une DREAL, sur l'exactitude de l'étude d'impact en matière de biodiversité et sur la suffisance des mesures compensatoires proposées au regard des enjeux de préservation de la biodiversité, d'autre part, d'enjoindre à la société exploitante de produire les justificatifs du coût des équipements industriels du projet sur trente ans et le montant des subventions publiques d'investissement lui ayant été accordées ces quinze dernières années et pouvant lui être accordées à l'avenir et enfin, de recueillir l'avis d'une personne spécialisée en géologie qu'elle désignera, par exemple un agent du BRGM, sur le niveau de qualité, de rareté et sur la nécessité économique locale du gisement de granit exploité par la société Delmonico-D... Carrières à Saint-Julien-Molin-Molette,

- d'annuler l'arrêté du préfet de la Loire du 2 janvier 2020 relatif à l'exploitation d'une carrière de roche dure sur les communes de Saint-Julien-Molin-Molette et Colombier (42220) et exploitée par la société Delmonico-Dorel Carrières,

- à titre subsidiaire, de surseoir à statuer pour poser à la cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes : " s'agissant d'un projet de carrière à ciel ouvert sur une emprise totale de 27 hectares et 88 ares portant atteinte à plus de 43 espèces protégées et nécessitant un défrichement de plus de 5 hectares, faut-il interpréter le 4 de l'article 6 de la Directive 2011/92/UE du parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, comme imposant l'organisation d'une participation du public au processus décisionnel en matière d'environnement avant le dépôt du dossier de demande d'autorisation de ce projet ' ". En cas de réponse négative à la première question : " faut-il interpréter le 4 de l'article 6 de la Directive 2011/92/UE du parlement européen et du conseil du 13 décembre 2011, comme imposant l'organisation d'une participation du public au processus décisionnel en matière d'environnement dès que le document " d'évaluation des incidences " prévu à l'article 5.3 de la Directive précitée est suffisamment avancé pour être communiqué à "l'autorité compétente" ' ". En cas de réponse négative à la deuxième question : " faut-il interpréter le 4 de l'article 6 de la Directive 2011/92/UE du parlement européen et du conseil du 13 décembre 2011, comme imposant seulement l'organisation d'une participation du public avant l'autorisation du projet, quand bien même celle-ci interviendrait lorsque le projet ne peut plus faire l'objet de modifications qui en bouleverseraient l'économie générale et quand bien même le maître d'ouvrage en aurait déjà figé les options essentielles ' ",

- et de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 3 050 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2002067-2005250-2006093 du 28 février 2022, le tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté du préfet de la Loire du 2 janvier 2020 relatif à l'exploitation par la société Delmonico-Dorel Carrières d'une carrière de roche dure située sur les territoires des communes de Saint-Julien-Molin-Molette et Colombier, a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation des requêtes de la commune de Saint-Julien-Molin-Molette et du syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat, a condamné l'Etat à verser à la commune de Saint-Julien-Molin-Molette, à l'association "Bien Vivre à Saint-Julien et Colombier", en sa qualité de représentante unique des requérants, et au syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat la somme de 700 euros chacun, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté les conclusions de la société Delmonico-Dorel Carrières tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédures devant la cour

I. Par une requête enregistrée le 20 avril 2022 sous le n° 22LY01172, et des mémoires enregistrés le 17 avril 2023, le 13 juin 2023 (non communiqué) et le 6 juillet 2023, la société Delmonico-D... Carrières, représentée par la SELARL Itinéraires Avocats, agissant par Me Lacroix, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 28 février 2022 ;

2°) à titre principal, de rejeter les demandes présentées devant le tribunal administratif de Lyon par la commune de Saint-Julien-Molin-Molette, par l'association "Bien Vivre à Saint Julien et Colombier" et autres et par le syndicat du parc naturel régional du Pilat ;

3°) à titre subsidiaire, de mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement pour la régularisation de l'arrêté du 2 janvier 2020 ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Julien-Molin-Molette, de l'association "Bien Vivre à Saint Julien et Colombier" et autres et du syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat une somme de 5 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Delmonico-Dorel Carrières soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en tant qu'il prononce l'annulation, dans sa totalité, de l'arrêté préfectoral du 2 janvier 2020 ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, concernant l'absence de toute régularisation au régime de protection des espèces protégées et traduit la méconnaissance par les premiers juges de leur office, dès lors qu'ils se sont abstenus de mettre en œuvre les pouvoirs qu'ils tenaient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ;

- concernant le trafic routier, le tribunal a retenu à tort une erreur d'appréciation du préfet, eu égard à l'absence de nuisances avérées et au caractère suffisant des prescriptions contenues dans l'arrêté ; au surplus, un tel vice serait susceptible de régularisation, sur le fondement des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ;

- concernant les espèces protégées, la dérogation, portant sur 43 espèces animales, incluse dans l'arrêté préfectoral, avait un caractère superfétatoire ; les trois arrêtés ministériels déterminant respectivement les listes des oiseaux, des mammifères et des amphibiens et reptiles concernés sont entachés d'illégalité ; aucune dérogation au titre des espèces protégées n'était requise, eu égard aux impacts résiduels du projet sur la faune protégée, et aux mesures mises en œuvre pour atténuer ses effets sur ces espèces et leurs habitats, aussi bien pour la partie de la carrière déjà exploitée que pour sa partie en extension ; la dérogation " espèces protégées " prévue à l'article 9.1.1 de l'arrêté n'était pas illégale, eu égard à l'intérêt public majeur qui s'attache à l'exploitation de la carrière ; une régularisation est possible sur le fondement des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, en identifiant précisément les espèces et habitats d'espèces auxquels il serait porté une atteinte excessive ;

- aucun des autres moyens soulevés à l'encontre de l'arrêté préfectoral, et non retenus par le tribunal, n'est fondé.

Par des mémoires enregistrés les 24 avril et 16 juin 2023, la commune de Saint-Julien-Molin-Molette, représentée par SCP BLT Droit Public agissant par Me Thiry, conclut au rejet de la requête de la société Delmonico-Dorel Carrières et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Delmonico-Dorel Carrières ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense enregistrés le 1er mars 2023 et le 11 mai 2023 (ce dernier n'ayant pas été communiqué), l'association "Bien Vivre à Saint Julien et Colombier" et autres, représentés par Me Pochard et par Me Bechaux, concluent au rejet de la requête et demandent que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- ils se réfèrent à l'ensemble de leurs écritures de première instance.

Par des mémoires enregistrés le 2 mars 2023 et le 15 mai 2023, le syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat, représenté par Me Benech, demande à la cour :

1°) de charger un agent public spécialisé en écologie d'émettre un avis sur l'exactitude de l'étude d'impact du projet en matière de biodiversité et sur le caractère suffisant des mesures compensatoires proposées ;

2°) d'enjoindre à la société Delmonico-Dorel Carrières de l'informer du " coût des équipements industriels " afférents au projet d'extension et d'exploitation de la carrière sur trente ans et du montant total des " subventions publiques à l'investissement qui lui ont été accordées sous forme d'aide financière nette " au cours des quinze dernières années ainsi que celles qui pourraient l'être au cours de la durée d'exploitation de la carrière ;

3°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes :

- l'article 12, paragraphe 1, sous d) de la Directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages permet-il aux États membres de conditionner l'application de l'interdiction de destruction des sites de reproduction ou des aires de repos à la remise en cause du bon accomplissement des cycles biologiques des espèces protégées '

- s'agissant d'un projet de travaux sur un site où sont présentes une ou plusieurs espèces protégées au titre de l'Annexe IV de la Directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, faut-il soumettre l'applicabilité de l'article 2 paragraphe 1 à la détermination d'un seuil de risque minimum pour ces espèces, au-delà de leur seule présence sur la zone du projet '

- en cas de réponse positive à la question précédente, le principe d'instauration d'un système de protection stricte des espèces animales posé par l'article 12 paragraphe 1 de la Directive 92/43/CEE autorise-t-il les États membres à soumettre l'applicabilité des interdictions posées par cet article à l'existence d'un risque " suffisamment caractérisé "'

- s'agissant d'un projet de carrière à ciel ouvert sur une emprise totale de 27 hectares et 88 ares, portant atteinte à plus de 43 espèces protégées et nécessitant un défrichement de plus de 5 hectares, faut-il interpréter le 4 de l'article 6 de la Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, comme imposant l'organisation d'une participation du public au processus décisionnel en matière d'environnement avant le dépôt du dossier de demande d'autorisation de ce projet '

- en cas de réponse négative à la question précédente, faut-il interpréter le 4 de l'article 6 de la Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, comme imposant l'organisation d'une participation du public au processus décisionnel en matière d'environnement dès que le document " d'évaluation des incidences ", prévu à l'article 5.3 de la Directive précitée (l'étude d'impact en droit français), est suffisamment avancé pour être communiqué à " l'autorité compétente " '

- en cas de réponse négative à la question précédente, faut-il interpréter le 4 de l'article 6 de la Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, comme imposant seulement l'organisation d'une participation du public avant l'autorisation du projet, quand bien même celle-ci interviendrait lorsque le projet ne peut plus faire l'objet de modifications qui en bouleverseraient l'économie générale et quand bien même le maître d'ouvrage en aurait déjà figé les options essentielles '

4°) de rejeter la requête d'appel de la société Delmonico-Dorel Carrières ;

5°) de mettre à la charge de la société Delmonico-Dorel Carrières une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le syndicat mixte fait valoir que :

- les moyens soulevés par la société Delmonico-Dorel Carrières ne sont pas fondés ;

- l'étude d'impact était entachée d'insuffisances ;

- le maître d'ouvrage n'a pas répondu par écrit à l'avis de l'autorité environnementale ;

- le principe de participation du public prévu par l'article 6.4 de la convention d'Aarhus et par l'article 6.4 de la directive 2011/92/UE a été méconnu ;

- l'absence de communication du projet d'arrêté au public méconnaît la charte de l'environnement et le droit international ;

- l'arrêté préfectoral est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et viole la charte du parc naturel régional ;

II- Par une requête enregistrée le 2 mai 2022 sous le n° 22LY01309, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 28 février 2022 ;

2°) de rejeter les demandes présentées devant le tribunal administratif de Lyon par la commune de Saint-Julien-Molin-Molette, par l'association "Bien Vivre à Saint Julien et Colombier" et autres et par le syndicat du parc naturel régional du Pilat ;

Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires soutient que :

- le jugement contesté est insuffisamment motivé ;

- le tribunal a méconnu le principe du contradictoire dès lors que n'ont été communiquées ni les observations de la société Delmonico-Dorel, ni celles du préfet de la Loire, enregistrées les 25 et 26 janvier 2022 ;

- en prenant en considération l'absence de production par le pétitionnaire d'une étude de faisabilité de solutions alternatives pour le transport des granulats, laquelle avait trait aux conditions de mise en œuvre de l'arrêté attaqué, le tribunal a commis une erreur de droit ;

- en jugeant que l'autorisation d'exploitation de la carrière était entachée d'une erreur d'appréciation des inconvénients du projet pour la commodité du voisinage, le tribunal a entaché son jugement d'une erreur d'appréciation ;

- l'obligation de solliciter une dérogation à l'interdiction de destruction ou de perturbation d'espèces protégées et de leur habitation n'existe que lorsqu'il existe un risque avéré d'une telle destruction ou perturbation, compte tenu des mesures d'évitement et de réduction prévues par le pétitionnaire ; en ne prenant pas ces mesures en compte, le tribunal a commis une erreur de droit et en estimant qu'en l'espèce, une demande de dérogation était requise, il a commis une erreur d'appréciation ;

- le tribunal a commis une erreur de droit et des erreurs d'appréciation en jugeant que l'octroi des dérogations ne répondait pas à un intérêt public majeur.

Par un mémoire enregistré le 1er mars 2023, l'association "Bien Vivre à Saint Julien et Colombier" et autres, représentés par Me Pochard et par Me Bechaux, concluent au rejet de la requête et à ce soit mis à la charge de l'Etat le versement en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative d'une somme de 3 000 euros à l'association "Bien vivre à Saint-Julien et Colombier" et d'une somme de 3 000 euros à Mme V... H..., Mme Y... A..., Mme G... Q..., Mme U... I..., M. L... R..., Mme AA... S..., M. L... D..., Mme N... D..., Mme T... B..., M. C... K..., M. W... M..., Mme P... O..., M. J... E..., Mme F... X....

Ils font valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par des mémoires enregistrés les 17 avril et 16 juin 2023, la commune de Saint Julien-Molin-Molette, représentée par la SELARL d'avocats BLT Droit Public, agissant par Me Thiry, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;

- l'auteur de l'arrêté préfectoral en litige n'est pas identifiable, en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le dossier de l'enquête publique étant incomplet, cette enquête était irrégulière ;

- l'étude d'impact était insuffisante ; au besoin, une mesure d'expertise doit être prescrite pour évaluer l'ampleur de cette insuffisance.

Par un mémoire enregistré le 15 mai 2023, le syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat, représenté par Me Benech, demande à la cour :

1°) de charger un agent public spécialisé en écologie d'émettre un avis sur l'exactitude de l'étude d'impact du projet en matière de biodiversité et sur le caractère suffisant des mesures compensatoires proposées ;

2°) d'enjoindre à la société Delmonico-Dorel Carrières de l'informer du " coût des équipements industriels " afférents au projet d'extension et d'exploitation de la carrière sur trente ans et du montant total des " subventions publiques à l'investissement qui lui ont été accordées sous forme d'aide financière nette " au cours des quinze dernières années ainsi que celles qui pourraient l'être au cours de la durée d'exploitation de la carrière ;

3°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes :

- l'article 12, paragraphe 1, sous d) de la Directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages permet-il aux États membres de conditionner l'application de l'interdiction de destruction des sites de reproduction ou des aires de repos à la remise en cause du bon accomplissement des cycles biologiques des espèces protégées '

- S'agissant d'un projet de travaux sur un site où sont présentes une ou plusieurs espèces protégées au titre de l'Annexe IV de la Directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, faut-il soumettre l'applicabilité de l'article 12 paragraphe 1 à la détermination d'un seuil de risque minimum pour ces espèces, au-delà de leur seule présence sur la zone du projet '

- En cas de réponse positive à la question précédente, le principe d'instauration d'un système de protection stricte des espèces animales posé par l'article 12 paragraphe 1 de la Directive 92/43/CEE autorise-t-il les États membres à soumettre l'applicabilité des interdictions posées par cet article à l'existence d'un risque " suffisamment caractérisé " '

- S'agissant d'un projet de carrière à ciel ouvert sur une emprise totale de 27 hectares et 88 ares, portant atteinte à plus de 43 espèces protégées et nécessitant un défrichement de plus de 5 hectares, faut-il interpréter le 4 de l'article 6 de la Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, comme imposant l'organisation d'une participation du public au processus décisionnel en matière d'environnement avant le dépôt du dossier de demande d'autorisation de ce projet '

- En cas de réponse négative à la question précédente, faut-il interpréter le 4 de l'article 6 de la Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, comme imposant l'organisation d'une participation du public au processus décisionnel en matière d'environnement dès que le document " d'évaluation des incidences ", prévu à l'article 5.3 de la Directive précitée (l'étude d'impact en droit français), est suffisamment avancé pour être communiqué à " l'autorité compétente " '

- En cas de réponse négative à la question précédente, faut-il interpréter le 4 de l'article 6 de la Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, comme imposant seulement l'organisation d'une participation du public avant l'autorisation du projet, quand bien même celle-ci interviendrait lorsque le projet ne peut plus faire l'objet de modifications qui en bouleverseraient l'économie générale et quand bien même le maître d'ouvrage en aurait déjà figé les options essentielles '

4°) de rejeter la requête d'appel du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le syndicat mixte fait valoir que :

- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;

- l'étude d'impact était entachée d'insuffisances ;

- le maître d'ouvrage n'a pas répondu par écrit à l'avis de l'autorité environnementale ;

- le principe de participation du public prévu par l'article 6.4 de la convention d'Aarhus et par l'article 6.4 de la directive 2011/92/UE a été méconnu ;

- l'absence de communication du projet d'arrêté au public méconnaît la charte de l'environnement et le droit international ;

- l'arrêté préfectoral est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et viole la charte du parc naturel régional ;

Par des ordonnances du 16 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée dans ces deux instances, en dernier lieu, au 12 juillet 2023.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;

- la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 8 janvier 2021 fixant la liste des amphibiens et des reptiles représentés sur le territoire métropolitain protégés sur l'ensemble du territoire national et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

- les observations de Me Lacroix, représentant la société Delmonico-Dorel Carrières, les observations de Me Thiry, représentant la commune de Saint-Julien-Molin-Molette, celles de Me Bechaux et de Me Pochard, représentant l'association "Bien Vivre à Saint Julien et Colombier" et les personnes physiques agissant avec elle, et les observations de Me Benech, représentant le syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat.

Considérant ce qui suit :

1. La société Delmonico-Dorel Carrières est devenue propriétaire en 1973 de la carrière des Gottes, située sur le territoire de la commune de Saint-Julien-Molin-Molette. Elle exploitait cette carrière de granit, dont le périmètre avait été entretemps étendu à des parcelles situées sur le territoire de la commune de Colombier, en dernier lieu sur le fondement d'un arrêté du préfet de la Loire du 6 janvier 2005 ayant renouvelé l'autorisation d'exploitation pour une durée de quinze ans, sur une superficie portée à 182 950 m². Elle a déposé le 6 novembre 2018 une demande d'autorisation environnementale portant notamment sur le renouvellement de l'autorisation d'exploitation du 6 janvier 2005, l'extension de la carrière de 64 912 m² sur la commune de Saint-Julien-Molin-Molette et de 35 000 m² sur la commune de Colombier, le défrichement d'une partie des terrains de l'extension, et une demande de dérogation au régime de protection des espèces protégées, pour une exploitation sur une durée de trente ans. Au terme d'une enquête publique organisée entre les 9 août et 10 septembre 2019, le préfet de la Loire a délivré à la société Delmonico-Dorel, par un arrêté du 2 janvier 2020, l'autorisation environnementale pour l'exploitation de la carrière, pour la durée sollicitée, et accordé une dérogation à la destruction d'espèces protégées justifiée par " des motifs d'intérêt public majeur de nature économique ". Par trois requêtes distinctes, l'association "Bien vivre à Saint-Julien et à Colombier", agissant aux côtés de quatorze riverains, la commune de Saint-Julien-Molin-Molette et le syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat ont contesté cet arrêté devant le tribunal administratif de Lyon. La société Delmonico-Dorel Carrières et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relèvent appel du jugement du 28 février 2022 par lequel ce tribunal, après avoir joint les trois requêtes, a fait droit à celle de l'association et des riverains, a annulé l'arrêté du 2 janvier 2020, et a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions des deux autres requêtes.

2. Les requêtes de la société Delmonico-Dorel Carrières et du ministre de la transition écologique et solidaire sont dirigées contre le jugement précité du tribunal administratif de Lyon. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

4. D'une part, le juge de l'autorisation environnementale statue au regard de la situation de fait à la date de son jugement. Les premiers juges, en se référant aux " dernières écritures des parties " au point 6 du jugement contesté pour justifier que la situation du trafic routier n'avait pas évolué, n'ont ainsi pas entaché ce jugement d'une insuffisance de motivation sur ce point. En outre, contrairement à ce que le ministre soutient, le tribunal a mentionné celles des espèces protégées susceptibles de faire l'objet d'une destruction sur l'emprise du projet. D'autre part, le tribunal n'ayant pas fait usage des pouvoirs particuliers dont dispose le juge de l'autorisation environnementale en vertu de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, l'omission de ces dernières dispositions au point 19 du jugement contesté est sans incidence sur sa régularité. En outre, dès lors que le point 18 expose de manière détaillée les raisons pour lesquelles les dérogations sollicitées au régime des espèces protégées ne répondaient pas à une raison impérative d'intérêt public majeur, le point 19 pouvait se borner à relever que l'impossibilité qui en découlait d'accorder les dérogations sollicitées faisait obstacle à toute régularisation et rendait impossible, en l'état, l'exploitation de la carrière. Le moyen tiré de ce que le jugement contesté serait également entaché d'insuffisance de motivation sur ce point doit dès lors être écarté.

5. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait prononcé l'annulation totale de l'arrêté attaqué, sans tenir compte de son caractère divisible, en méconnaissance de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, concerne le bien-fondé du jugement et est sans incidence sur sa régularité.

6. En troisième lieu, l'absence de communication des observations du ministre et de celles de la société Delmonico-Morel en réponse à la demande adressée par le tribunal s'agissant du moyen tiré du défaut d'intérêt public majeur justifiant la dérogation au régime de protection des espèces protégées n'a pu préjudicier aux droits du ministre de la transition écologique. Par suite, celui-ci n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué aurait été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire.

7. Il résulte de ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que le jugement contesté serait entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'autorisation d'exploiter :

8. Aux termes de l'article R. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. / Les dispositions du présent titre sont également applicables aux exploitations de carrières au sens des articles L. 100-2 et L. 311-1 du code minier ".

9. Il résulte de l'instruction et notamment de l'étude d'impact fournie par la société Delmonico-Dorel Carrières à l'appui de sa demande de renouvellement et d'extension de l'autorisation, que l'exploitation impliquera, du lundi au vendredi de 7h à 17h, sur les itinéraires d'accès à la carrière, un transit journalier de 25 à 60 camions en aller et retour, soit un passage de camion à un intervalle variant entre moins de trois minutes et environ douze minutes. Des pointes de trafic plus importantes, à l'occasion de chantiers exceptionnels, sont également prévues. L'essentiel du flux de camions emprunte la route départementale (RD) 8 qui traverse le bourg de Saint-Julien-Molin-Molette et présente une déclivité, une largeur limitée et est bordée de trottoirs étroits. Contrairement à ce que fait valoir la société Delmonico-Dorel Carrières, il ressort des pièces produites par l'association et les riverains devant la cour que ce trafic a donné lieu à des accidents, des camions s'étant couché sur la route ou le fossé hors agglomération, des collisions avec au moins une voiture et un enfant ayant de plus eu lieu en agglomération. À l'occasion de l'enquête publique, le commissaire enquêteur a également relevé que ce trafic constituait la nuisance majeure de l'opération. Il a émis à ce sujet une réserve à son avis favorable, tenant à la mise en œuvre d'une solution alternative au schéma routier existant.

10. Les prescriptions dont l'arrêté litigieux est assorti limitent les quantités transportées à 2 500 tonnes par jour, alors que la capacité maximale extractive annuelle autorisée est de 165 000 tonnes, avec un comptage journalier des camions sortants et un système de pesée, un suivi au moins semestriel de la voirie, un nettoyage hebdomadaire de la voie dans un périmètre de 200 mètres de la carrière et un nettoyage mensuel sur la RD, pour prévenir les risques pour la sécurité publique liés à l'accroissement du trafic routier. Reprenant les horaires de circulation de l'étude d'impact, ces prescriptions indiquent par ailleurs que des consignes strictes seront données aux conducteurs des poids lourds sur les conditions de chargement et le respect des limitations de vitesse dans la traversée des agglomérations. L'arrêté prescrit également au carrier d'étudier la faisabilité de solutions alternatives réduisant ou supprimant le nombre de véhicules traversant le bourg de Saint-Julien-Molin-Molette, et lui impose de remettre cette étude dans un délai maximum de deux ans suivant l'entrée en vigueur de l'arrêté litigieux, de nouvelles prescriptions adaptées devant être fixées par un arrêté préfectoral complémentaire dans un délai de trois ans suivant cette entrée en vigueur. Toutefois, la réalisation d'une telle étude, qui n'a d'ailleurs pas eu lieu dans le délai prescrit, n'est pas par elle-même de nature à limiter les nuisances associées au trafic de poids lourds pour les habitants de Saint-Julien-Molin-Molette, ni les risques qu'il génère, lesquels ne sont pas davantage significativement réduits par les autres prescriptions de l'arrêté. En outre, la société Delmonico-Dorel a déjà financé en 2003 et 2012 des études présentant des itinéraires alternatifs pour contourner le centre bourg, qui n'ont pu aboutir à la réalisation de travaux, quelles que soient les raisons de cet échec invoquées par le ministre. Ainsi, la réalisation d'un itinéraire alternatif ne constituait pas une perspective raisonnable. Dans ces circonstances, les appelants ne sont pas fondés à soutenir d'une part, que c'est à tort que les premiers juges ont retenu que l'autorisation en litige, accordée pour une durée de trente ans, procédait d'une erreur d'appréciation des inconvénients du projet pour la commodité du voisinage et la sécurité publique et d'autre part, que l'autorisation devrait être assortie d'autres prescriptions.

En ce qui concerne les dérogations au régime de protection des espèces protégées :

11. Les deux appelants soutiennent qu'une dérogation au régime des espèces protégées n'était pas nécessaire. La société Delmonico-Dorel Carrières soutient en outre que la dérogation qui lui a été accordée par l'arrêté attaqué était légalement justifiée par une raison impérative d'intérêt public majeur.

12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes du I de l'article L. 411-2 du même code : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées ainsi que des sites d'intérêt géologique, y compris des types de cavités souterraines, ainsi protégés (...) ". Aux termes de l'article R. 411-1 du même code : " Les listes des espèces animales non domestiques et des espèces végétales non cultivées faisant l'objet des interdictions définies par l'article L. 411-1 sont établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture (...) ".

13. Les arrêtés interministériels des 23 avril 2007, 29 octobre 2009, et 8 janvier 2021 fixant sur le fondement de l'article R. 411-1 du code de l'environnement les listes des mammifères terrestres, des oiseaux et des amphibiens et reptiles protégés sur tout le territoire interdisent les atteintes aux sites de reproduction et aux aires de repos de certaines de ces espèces, aussi longtemps qu'ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l'altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques. Ces arrêtés n'édictent ainsi aucune interdiction absolue de destruction des habitats particuliers à ces espèces, ni ne prévoient de mesures ayant un caractère disproportionné. La société Delmonico-Dorel Carrières n'est dès lors pas fondée à exciper de leur illégalité pour soutenir que l'obtention d'une dérogation n'était en l'espèce pas nécessaire.

14. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement (...) ". Aux termes de l'article R. 411-6 du même code : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet (...) ".

15. Il résulte des dispositions citées aux points 12 et 14 ci-dessus et des arrêtés listés au point 13 que la destruction ou la perturbation des espèces animales protégées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

16. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation au régime des espèces protégées si le risque que le projet comporte pour ces espèces est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

17. En l'espèce, il ressort de l'étude des milieux naturels annexée à l'étude d'impact, que le périmètre de la carrière incluant l'extension sollicitée est caractérisé par la présence de quarante-trois espèces de mammifères, d'oiseaux, d'amphibiens et de reptiles protégés. S'il n'est pas établi que la poursuite et l'extension de l'exploitation de la carrière auront un impact suffisamment caractérisé sur l'ensemble de ces espèces, il résulte néanmoins de l'instruction que l'exploitation, telle qu'autorisée par l'arrêté en litige, impliquera la destruction d'une aire de nidification de Grands-Ducs, espèce protégée inscrite à l'annexe I de la directive du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la conservation des oiseaux sauvages, et évaluée comme ayant un caractère vulnérable dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Par ailleurs, l'extension de la carrière impliquera également la destruction d'espaces de nidification de l'Engoulevent d'Europe, espèce protégée également inscrite à l'annexe I de la directive du 30 novembre 2009. Enfin, la réalisation du projet aboutira à la destruction de bassins où se reproduit le crapaud calamite, espèce protégée ayant un caractère vulnérable en région Auvergne-Rhône-Alpes. La pétitionnaire propose des mesures d'évitement et de réduction, consistant, s'agissant des Grands-Ducs, à éviter temporairement les anciens fronts de taille où se situe l'aire de nidification et à procéder à la destruction de cette aire avant la période de reproduction, après vérification de l'absence de ces spécimens lors de cette opération de destruction. S'agissant des engoulevents, il est prévu d'adapter le calendrier des travaux de débroussaillage et de décapage du sol, et de prévoir leur réalisation en automne ou en hiver, période de moindre sensibilité pour l'avifaune nicheuse. S'agissant du crapaud calamite, il est prévu d'éviter temporairement les anciens fronts de taille et de procéder à la destruction des lieux de reproduction durant une période où les spécimens, qui hibernent, ne sont pas présents. Toutefois, l'étude mentionnée plus haut qualifie de fort l'impact des destructions d'habitats naturels sur ces trois espèces, après mise en œuvre de ces mesures d'évitement et de réduction, et propose en conséquence des mesures de compensation. Ainsi, pour ces trois espèces au moins, le projet présente un impact suffisamment caractérisé, et la demande d'une dérogation " espèces protégées " était requise.

18. En troisième lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 18 du jugement contesté, le moyen tiré par les appelants de ce que les dérogations sollicitées seraient justifiées par une raison impérative d'intérêt public majeur. Si, à hauteur d'appel, le ministre soutient que la cour de céans a, par un arrêt n° 19LY03478 du 10 décembre 2020 rendu à propos de la contestation de la mise en compatibilité du plan local d'urbanisme, jugé que la déclaration de projet relative à l'extension du zonage " carrière " répondait en l'espèce à un motif d'intérêt général, une telle appréciation est distincte de celle attachée à la raison impérative d'intérêt public majeur de nature à justifier l'octroi d'une dérogation au régime des espèces protégées.

19. Dans ces conditions, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu que l'arrêté attaqué ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens des dispositions du c) du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

En ce qui concerne l'application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :

20. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 : " I.- Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II.- En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées ".

21. En premier lieu, pour les motifs exposés aux points 9 et 10 ci-dessus, les inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage que l'exploitation de la carrière crée constituent un vice qui, en l'absence de perspective raisonnable d'un itinéraire alternatif d'accès à la carrière, n'apparaît pas régularisable.

22. En deuxième lieu, ainsi que cela est exposé au point 18, l'absence de raison impérative d'intérêt public majeur justifiant la dérogation au régime de protection des espèces protégées constitue également un vice qui n'est pas davantage régularisable.

23. En troisième et dernier lieu, l'annulation de l'autorisation d'exploitation de la carrière ferait perdre tout finalité à l'autre composante de l'autorisation environnementale, mentionnée à l'article 8.1.2 de l'arrêté préfectoral litigieux, relative à l'autorisation de défrichement, qui doit être regardée comme nécessairement viciée par l'illégalité qui entache l'autorisation principale.

24. Dans ces circonstances, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a prononcé l'annulation totale de l'arrêté du préfet de la Loire du 2 janvier 2020 sans avoir fait usage des pouvoirs qu'il tenait du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement. Les conclusions subsidiaires de la société Delmonico-Dorel Carrières tendant à ce que la cour, faisant usage de ces pouvoirs, sursoie à statuer dans l'attente d'une régularisation de l'arrêté attaqué, doivent par suite être rejetées.

25. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les conclusions des intimés tendant à la prescription de diverses mesures d'instruction et au renvoi de plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne, les requêtes de la société Delmonico-Dorel Carrières et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des intimés, qui ne sont pas les parties perdantes, une somme au titre des frais exposés par la société Delmonico-Dorel Carrières. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'association "Bien vivre à Saint-Julien et Colombier" et autres, à la commune de Saint-Julien-Molin-Molette et au syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat la somme de 2 000 euros chacun, en application de ces mêmes dispositions. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions par lesquelles le syndicat mixte demande à la cour de mettre une somme à la charge de la société Delmonico-Dorel Carrières en application des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes de la société Delmonico-Dorel Carrières et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sont rejetées.

Article 2 : L'Etat versera à l'association "Bien vivre à Saint-Julien et Colombier" et autres, à la commune de Saint-Julien-Molin-Molette et au syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat la somme de 2 000 euros chacun, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par le syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Delmonico-Dorel Carrières, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la commune de Saint-Julien-Molin-Molette, à l'Association "Bien vivre à Saint-Julien et Colombier", représentante désignée pour tous ses cosignataires, et au syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Emilie Felmy, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

M. Joël Arnould, premier conseiller,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2024.

Le rapporteur,

Joël ArnouldLa présidente,

Emilie Felmy

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

Nos 22LY01172 et 22LY01309


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01172
Date de la décision : 17/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Mines et carrières - Carrières.

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement.

Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : Mme FELMY
Rapporteur ?: M. Joël ARNOULD
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SCP BLT DROIT PUBLIC

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-17;22ly01172 ?
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