Vu la requête enregistrée le 29 décembre 2004 pour Mme Latifa X, M. Hamid X et M. Adel X, élisant domicile ... et
Mme X- demeurant ..., par Me Jean-Benoît Julia et le mémoire complémentaire en date du 1er mars 2006 ; les consorts X demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0304535 en date du 17 novembre 2004 par lequel le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Nîmes à indemniser les préjudices qu'ils ont subis en raison des fautes médicales qu'a commis le centre hospitalier dans le diagnostic et le traitement d'Adel X ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Nîmes à verser à Mme Latifa X, en sa qualité de curatrice de son fils X une somme de 588 343,70 euros avec intérêts de droit à compter du 18 mars 2002, et une somme de 200 000 euros au titre de son préjudice personnel avec intérêts de droit à compter du 18 mars 2002, à M. et Mme X une somme de 30 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral, avec intérêts de droit à compter du
18 mars 2002, à Mme X- la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral avec intérêts de droit à compter du 18 mars 2002, toutes sommes portant capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Nîmes à lui verser une somme de 10 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
……………………………………………………………………………………………………..
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 juin 2006 :
- le rapport de M. Marcovici, rapporteur ;
- les observations de Me Maury substituant Me Julia pour les consorts X ;
- les observations de Me Demailly substituant Me Le Prado ;
- et les conclusions de M. Trottier, commissaire du gouvernement ;
Considérant que par une ordonnance en date du 15 mai 2001, le président du Tribunal administratif de Montpellier a ordonné une expertise à la demande des consorts X aux fins, notamment, de déterminer si la radiothérapie et la chimiothérapie pratiquées de 1979 à 1981 au centre hospitalier de Nîmes étaient à l'origine des troubles respiratoires, endocriniens et neurologiques dont souffre Adel X, de décrire l'état de santé de l'enfant et ses antécédents lors de son admission au centre hospitalier, de décrire les soins et traitements pratiqués lors de ses séjours audit centre en précisant s'ils étaient adaptés au traitement de la pathologie et s'ils ont été réalisés conformément à l'état des connaissances scientifiques et des règles médicales au moment des faits, de rechercher si d'autres investigations n'auraient pas permis de diagnostiquer dès 1979 l'existence de « tuberculomes » cérébraux, de dire si le centre hospitalier a bien respecté son obligation d'information, de dire si le diagnostic de tuberculose aurait pu être posé avant mai 1981, de rechercher l'origine et les causes des troubles respiratoires endocriniens et neurologiques, de fixer la date de consolidation de son état, de rechercher les préjudices résultant exclusivement d'une erreur de diagnostic à l'exclusion de ceux liés à un état préexistant ; que par le jugement dont appel en date du 17 novembre 2004, le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté la requête des consorts X en raison de l'absence de faute du centre hospitalier de Nîmes ;
Sur l'exception de prescription :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : « Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis./ Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public » ; qu'aux termes de l'article L.1142 ;28 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, « les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage » ; qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 101 de la même loi, ces dispositions sont immédiatement applicables, en tant qu'elles sont favorables à la victime ou à ses ayants droit, aux actions en matière de responsabilité médicale qui n'étaient pas déjà prescrites à la date d'entrée en vigueur de la loi et qui n'avaient pas donné lieu, dans le cas où une action en responsabilité avait déjà été engagée, à une décision irrévocable ; que ces dernières prescriptions n'ont toutefois pas pour effet de relever de la prescription celles des créances qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, étaient prescrites en application de la loi du 31 décembre 1968 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi précitée du 31 décembre 1968 : « La prescription est interrompue par (… ) / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance. / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée » ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi : « La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement » ;
Considérant que la prescription n'a pu courir à l'égard des consorts X, qu'à compter du début de l'exercice qui suit celui au cours duquel elle a pu avoir connaissance de l'origine du dommage ; qu'il résulte de l'instruction que l'erreur de diagnostic dont aurait été victime Adel X a été révélée pour la première fois par le rapport du 8 juillet 2000 du docteur Dufetel ; que le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à cette date ; que, dès lors, l'action en responsabilité contre le centre hospitalier de Nîmes n'était pas prescrite lorsque les consorts X ont saisi le Tribunal administratif de Montpellier le 23 septembre 2003 d'une demande tendant à la condamnation de cet établissement ; que cet établissement n'est pas fondé à soutenir que la demande de condamnation serait prescrite ;
Sur la responsabilité :
Considérant que les rapports d'expertise du professeur Jean-Pierre Kleisbauer, qui s'est adjoint deux sapiteurs, en date du 31 octobre 2001 et du 10 avril 2002 omettent de répondre à la plupart des demandes formulées par l'ordonnance en date du 15 mai 2001 précitée ; que, notamment, le résumé des faits, très succinct et rédigé dans un vocabulaire inutilement technique de nature à égarer tant le juge que les parties, ne permet pas de distinguer nettement les dommages résultant de l'état initial et ceux résultant du traitement qu'il a subi ; que si le rapport mentionne une date de consolidation du 18 mars 2002, cette date est en contradiction avec celle indiquée par le sapiteur endocrinologue qui la fixe « au moins en 1995 », sans que cette contradiction ne soit expliquée ou même mentionnée ; que le rapport précité ne met pas en relation les erreurs commises par le centre hospitalier avec l'état des connaissances médicales lors des faits ; qu'il ne se prononce pas sur l'origine des troubles respiratoires, endocriniens et neurologiques dont souffre Adel X ; qu'il omet également de se prononcer sur l'information dont ont bénéficié les parents d'Adel X lors des faits en cause ; que, au total, la mission d'expertise confiée par les premiers juges au professeur Jean-Pierre Kleisbauer n'a pas été remplie de manière à éclairer le tribunal sur les faits qui lui étaient soumis par les consorts X ;
Considérant que l'état du dossier ne permet pas davantage à la cour de statuer sur la demande des consorts X tendant à la condamnation du centre hospitalier de Nîmes ; qu'il y a lieu, dès lors, d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après ;
D E C I D E :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête des consorts X procédé à une expertise médicale.
Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la Cour. L'expertise sera conduite et suivie selon les dispositions prévues par les articles R.621-2 à R.621-14 du code de justice administrative. Il prendra connaissance des rapports d'expertise déjà réalisés dans la présente instance.
Article 3 : Il aura pour mission :
1) de décrire les conditions dans lesquelles Adel X a été hospitalisé en 1979 et 1981 et soigné au centre hospitalier de Nîmes ; il précisera le traitement entrepris et les soins reçus par Adel X, notamment la radiothérapie et la chimiothérapie ;
2) de réunir tous les éléments devant permettre de déterminer si des fautes dans le diagnostic et les soins ont été commises lors de l'hospitalisation de l'intéressé ; il devra notamment indiquer si les traitements de radiothérapie et de chimiothérapie était adaptés à l'état du patient ; il devra indiquer si des erreurs de diagnostics ont été commises et si le centre hospitalier a omis de pratiquer des examens nécessaires, compte tenu de l'état de la science à cette époque, avant de pratiquer les soins ; rechercher si d'autres investigations auraient permis de diagnostiquer en 1979 l'existence de tuberculomes cérébraux ;
3) de se prononcer sur l'origine de l'état actuel d'Adel X et sur les raisons du choix de la méthode thérapeutique retenue en 1979 ; il devra notamment faire la part entre les dommages résultant de son état initial et les traitements de radiothérapie et de chimiothérapie et rechercher l'origine des troubles respiratoires, endocriniens et neurologiques ;
4) de rechercher si les traitements administrés à Adel X étaient adaptés à son état et si le centre hospitalier ne devait pas apporter d'autres soins à Adel X pour éviter la persistance des séquelles que présente encore celui-ci ;
5) de décrire la nature et l'étendue desdites séquelles et d'évaluer le taux d'incapacité permanente, ainsi que le quantum des souffrances endurées, le préjudice esthétique et d'agrément qui en résulte pour Adel X ; l'expert précisera si l'état de santé d'Adel nécessite la présence d'une tierce personne à ses côtés et il donnera de façon générale toute précision sur les préjudices qu'il a subi ;
6) dire si le dossier médical et les informations recueillies permettent de savoir si les parents d'Adel X ont été informés des conséquences normalement prévisibles du traitement, et s'ils ont été ainsi mis à même de formuler un consentement éclairé, préciser s'ils ont reçu toutes informations sur l'existence de risques, mêmes faibles, de complications susceptibles de se produire, réunir tous éléments permettant d'évaluer la perte de chances de se soustraire à un risque connu, dire si le traitement était urgent, vital ou nécessaire et s'il existait une alternative thérapeutique moins risquée ;
Article 4 : L'expert, pour l'accomplissement de sa mission, se fera communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Adel X et notamment tous documents relatifs aux examens, soins et interventions pratiqués sur l'intéressé au cours de son hospitalisation ; il pourra entendre toute personne du service hospitalier ayant donné des soins à Adel X. Il prendra connaissance des rapports d'expertise déposés devant le Tribunal administratif de Montpellier.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Hamid X et Mme X-, à la caisse primaire d'assurance maladie du Gard et au centre hospitalier de Nîmes.
Copie en sera adressée à Me Le Prado, à Me Julia et au préfet du Gard.
N° 0402633 2