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14/12/2011 | FRANCE | N°09MA00391

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 14 décembre 2011, 09MA00391


Vu la requête, enregistrée le 2 février 2009, présentée pour Mme Michèle A, demeurant au ... (13190) et pour M. Yohann A, demeurant au ... (13190), par Me Marchiani ; Mme A et M. A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0500979 du 4 décembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Marseille et la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole soient déclarées responsables de l'accident dont a été victime M. Jacques C, le 2 décembre 2003 ;

2°) de déclarer la commune de Marseille et

la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole responsables dudit accident ;...

Vu la requête, enregistrée le 2 février 2009, présentée pour Mme Michèle A, demeurant au ... (13190) et pour M. Yohann A, demeurant au ... (13190), par Me Marchiani ; Mme A et M. A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0500979 du 4 décembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Marseille et la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole soient déclarées responsables de l'accident dont a été victime M. Jacques C, le 2 décembre 2003 ;

2°) de déclarer la commune de Marseille et la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole responsables dudit accident ;

3°) de condamner conjointement et solidairement la commune de Marseille et la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole à payer à Mme A la somme de 60 979 ,61 euros en réparation de son préjudice moral et celle de 322 074,83 euros en réparation de son préjudice économique en raison du décès de son époux ;

4°) de condamner conjointement et solidairement la commune de Marseille et la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole à payer à M. A la somme de 45 734 ,71 euros en réparation de son préjudice moral et celle de 121 959,21 euros en réparation de son préjudice économique en raison du décès de son père ;

5°) de condamner conjointement et solidairement la commune de Marseille et la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole à leur payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel

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Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 juin 2009, présenté pour la commune de Marseille par Me Job-Ricouart concluant à titre principal à la confirmation du jugement du tribunal administratif du 4 novembre 2008 et à la condamnation des consorts A à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que la faute d'imprudence de la victime est seule à l'origine du dommage ; à titre subsidiaire, à l'existence d'un cas de force majeure de nature à l'exonérer de sa responsabilité ; que, dans le cas où serait retenu un défaut d'entretien normal de l'ouvrage public à l'origine de l'accident, la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole la relève et la garantisse des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ; qu'en tout état de cause, le montant de celles-ci devra être ramené pour l'épouse à 113 988,49 euros au titre du préjudice économique et à 15 000 euros au titre du préjudice moral, pour l'enfant majeur à 9 000 euros au titre du préjudice moral ; la commune de Marseille fait valoir que l'évènement pluvieux qui s'est abattu les 1er et 2 décembre 2003 a duré 44 heures et constitue un épisode pluvieux dont la fréquence est estimée entre 20 et 50 ans ; que le 2 décembre 2003, deux pics de précipitations ont été enregistrés, l'un entre 6 heures 12 et 6 heures 30, l'autre entre 6 heures 42 et 7 heures 00 ; que les requérants, qui ont abandonné en cause d'appel le moyen tiré du caractère exceptionnellement dangereux de l'ouvrage, ne démontrent pas que la voie publique était facilement inondable, ni que le passage sous voie, dont les dimensions et caractéristiques sont tout à fait communes et banales, aient présenté une quelconque anomalie ; qu'il n'est pas établi que la présence de boue dans le tunnel trouve son origine certaine et exclusive dans les aménagements des ronds-points à proximité ; que les consorts A ne rapportent pas la preuve de l'existence d'une faute lourde dans l'exercice de la police de la sécurité, laquelle saurait se déduire de la simple réalisation du dommage ; que la mobilisation a été particulièrement importante lors des évènements pluvieux et de nombreux messages d'alerte ont été transmis aux médias et particulièrement aux radios ; que, compte tenu des circonstances, il est illusoire de lui reprocher de ne pas avoir débarrassé la voie publique des véhicules qui l'encombraient depuis la veille au soir ; que la présence d'une signalisation interdisant l'accès au tunnel ressort du témoignage de M. Coste, officier du bataillon des marins-pompiers et par le rapport de police établi le 2 décembre 2003 ; que l'épisode pluvieux a donné lieu à l' arrêté du 12 décembre 2003 constatant l'état de catastrophe naturelle couvrant la commune de Marseille ; que, par sa violence, son intensité et son imprévisibilité, il constitue un évènement de force majeure ; que la faute de la victime, à laquelle la connaissance des lieux imposait une obligation de prudence plus étendue et qui a fait preuve d'inconscience en s'aventurant sous le tunnel alors le niveau de l'eau était déjà très élevé, qu'il était encombré de morceaux de bois, de branchages et de blocs de pierre, et que la visibilité était réduite, est à l'origine exclusive de son propre dommage ; que les demandes des époux A sont excessives et infondées ;

Vu le mémoire en défense, enregistré, le 21 juillet 2009, présenté pour la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole par Me Paolacci concluant à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation des consorts A au versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il fait valoir que le Tribunal, en retenant que l'accident était totalement imputable à l'imprudence fautive de la victime, a suffisamment motivé sa décision et n'avait pas à examiner les autres moyens surabondants invoqués par les appelants ; qu'il est manifeste que M. C est à l'origine de son propre dommage, ainsi qu'il ressort de l'attestation de Mme D qui se trouvait juste derrière son véhicule lorsqu'il s'est engagé dans la voie, mais qui a fait marche arrière lorsqu'elle a constaté que l'eau arrivait au-dessus de ses roues ; que le moyen tiré du caractère exceptionnellement dangereux de l'ouvrage public ne saurait être retenu, faute de remplir les conditions posées par la jurisprudence relatives à la continuité du risque et à la fréquence des accidents survenus dans le passé ; que, dans l'hypothèse où il serait démontré un manquement dans l'exercice des pouvoirs de police du maire à l'origine du décès de M. C, seule la commune de Marseille pourrait être tenue à réparer le préjudice sur le fondement de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ;

Vu le mémoire, enregistré le 27 août 2009, présenté pour la commune de Marseille par Me Job-Ricouart qui fait valoir qu'il est illusoire de reprocher à la commune de Marseille de ne pas avoir débarrassé le passage des véhicules qui l'encombraient et que la présence d'un signalisation en barrant l'accès est encore attestée le 2 décembre 2003 à 3 heures ; que le maire n'a commis aucun manquement dans l'exercice des pouvoirs de police que lui confèrent les dispositions de l'article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales ; qu'en tout état de cause, le montant des demandes indemnitaires doivent être réduits ;

Vu le mémoire en réponse et récapitulatif, enregistré le 2 novembre 2009, présenté pour Mme A et M. A par Me Marchiani qui maintient à titre principal ses précédentes conclusions et sollicite à titre subsidiaire la désignation d'un expert pour déterminer si la configuration des lieux a pu concourir à la réalisation du dommage ; il fait valoir, en réponse aux observations de la commune de Marseille, que l'action des eaux n'a pu avoir de conséquences aussi graves qu'en raison de la configuration des lieux ; qu'elle ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'entretien normal de la voie publique, notamment de la présence d'une signalisation ou de barrières empêchant le passage des véhicules ; qu'elle ne démontre pas que les caractères de la force majeure étaient réunis lors de l'épisode pluvieux des 1er et 2 décembre 2003, lequel ne peut être regardé comme imprévisible, alors qu'elle avait connu le 19 septembre 2000 un évènement pluvieux plus sévère ; qu'aucune faute d'imprudence ne peut être mise à la charge de M. C qui, même en connaissant les lieux, ne pouvait s'attendre à ce que le niveau d'eau atteigne une telle profondeur en raison du défaut de conception de l'ouvrage ; en réponse aux observations de la communauté urbaine, que la victime ne disposait d'aucun repère pour apprécier la profondeur de l'eau, contrairement à Mme D qui pouvait en visualiser le niveau par rapport aux roues du véhicule qui la précédait ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2010, présenté pour la commune de Marseille par Me Job-Ricouart ; elle fait valoir que l'ouvrage public n'était pas facilement inondable ; que le lien de causalité entre le défaut d'éclairage public dans le passage sous voie et l'accident n'est pas rapporté ; que tout le quartier avait recueilli les eaux du vallon de Luminy chargées de boue et que le déversement de la terre des ronds-points situés en amont n'est qu'une pure hypothèse ; que M. C, auquel il ne pouvait échapper que l'eau avait déjà atteint le niveau d'un mètre lorsqu'il s'est engagé dans le passage sous voie, a pris des risques inconsidérés en poursuivant sa route, alors que tous les autres automobilistes ont fait demi-tour ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'instance devant ces juridictions ;

Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat en date du 27 janvier 2009 fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n ° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 novembre 2011 :

- le rapport de M. Lagarde, rapporteur ;

- les conclusions de Mme Fedi, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Marchiani pour Mme A Michèle et M. A Yohann, de Me Innocenti de la Selarl Job Ricouart et Associés pour la Ville de Marseille et de Me Paolacci pour la Communauté Urbaine Marseille-Provence-Métropole ;

Considérant que Mme Michèle A et M. Yohann A relèvent appel du jugement du 4 décembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à ce que la commune de Marseille et la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole soient déclarées responsables du décès de M. Jacques C survenu le 2 décembre 2003 et condamnées à en réparer les conséquences dommageables ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : Les jugements sont motivés ; qu'en retenant que le dommage était exclusivement imputable à l'imprudence fautive de la victime qui avait engagé son véhicule dans le tunnel sans prendre les précautions nécessitées par l'état des lieux et des conditions météorologiques, le tribunal administratif a suffisamment justifié son dispositif au regard du fondement de la responsabilité des personnes publiques qui était invoqué ; que, par suite, les consorts A ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé ;

Sur la responsabilité de la commune de Marseille et de la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole :

Considérant qu'il appartient à l'ayant droit de l'usager, victime d'un dommage survenu sur une voie publique, de rapporter la preuve du lien de causalité entre l'ouvrage public et le dommage dont il se plaint ; que la collectivité en charge de l'ouvrage public doit alors, pour que sa responsabilité ne soit pas retenue, établir que l'ouvrage public faisait l'objet d'un entretien normal ou que le dommage est imputable à la victime ou à un cas de force majeure ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. C a péri noyé le 2 décembre 2003 à 7 heures dans l'eau et la boue qui, à la suite d'un épisode pluvieux d'une intensité exceptionnelle, avait inondé le passage sous l'avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, quelquefois improprement qualifié de tunnel dans les écritures des parties et dans le jugement attaqué, à Marseille dans lequel il s'était engagé pour se rendre sur son lieu de travail ; que la commune de Marseille et la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole, respectivement propriétaire de l'ouvrage public constitué par le passage sous voie et en charge de son entretien, ne rapportent pas la preuve qui leur incombe de l'absence de défaut de conception de l'ouvrage public assimilable à un défaut d'entretien normal, ni de la présence au moment de l'accident d'une signalisation prévenant du danger ou de barrières interdisant l'accès à l'ouvrage public, les documents produits par les intimées n'établissant cette présence que jusqu'à 5 heures ; que l'absence de tout dispositif de protection ou de signalisation constitue un défaut d'entretien normal de nature à engager la responsabilité des collectivités à l'égard des ayants droit de M. C ;

Considérant que, malgré leur importance et leur intensité exceptionnelle, les précipitations qui se sont abattues les 1er et 2 décembre 2003 sur Marseille n'ont pas présenté un caractère de violence irrésistible constituant un cas de force majeure qui ne résulte pas de la seule publication de l'arrêté du 12 décembre 2003 constatant l'état de catastrophe naturelle ;

Considérant toutefois que M. C, qui empruntait quotidiennement le passage sous voie pour se rendre sur son lieu de travail, avait une parfaite connaissance de sa configuration en deux courbes de sens inversé de part et d'autre d'une côte minimale d'infléchissement et ne pouvait ignorer qu'en son point le plus bas, l'eau atteindrait nécessairement un niveau largement supérieur à celui qu'il pouvait constater à l'entrée et qui déjà submergeait les roues de son véhicule ainsi que cela ressort du témoignage, produit par les appelants, d'une automobiliste qui de ce fait avait renoncé à le suivre plus avant ; qu'ainsi, en s'engageant dans ces conditions dans le passage sous voie, malgré les alertes diffusées sur les radios invitant la population à limiter les déplacements et à faire preuve de la plus extrême prudence et en poursuivant sa route, alors que l'eau avait atteint à l'entrée du passage un niveau dissuasif pour les autres automobilistes, la victime a commis une imprudence fautive de nature à exonérer totalement la commune de Marseille et la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole de la responsabilité qu'elles pourraient encourir à raison d'un défaut d'entretien de l'ouvrage public ; que, par suite, Mme et M. A ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur requête tendant à voir ces collectivités déclarées responsables de l'accident dont a été victime leur époux et père ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par les consorts A au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'accueillir les conclusions présentées par la commune de Marseille et par la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole sur ce fondement ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête présentée par Mme A et M. A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Marseille et de la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Michèle A, à M. Yohann A, à la commune de Marseille et à la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole

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N°09MA00391 7


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09MA00391
Date de la décision : 14/12/2011
Type d'affaire : Administrative

Analyses

67-02-04-01-02 Travaux publics. Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. Causes d'exonération. Faute de la victime. Existence d'une faute.


Composition du Tribunal
Président : M. BENOIT
Rapporteur ?: M. Jacques LAGARDE
Rapporteur public ?: Mme FEDI
Avocat(s) : MARCHIANI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2011-12-14;09ma00391 ?
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