Vu la requête, enregistrée le 2 août 2012, présentée pour la société Bouygues Télécom, dont le siège est situé 32 avenue Hoche à Paris (75008), par la société d'avocats Atéléia ;
La société Bouygues Télécom demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1002601 du 21 juin 2012 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à la taxe professionnelle et des pénalités y afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2005 et 2006 dans les rôles de la commune d'Auxerre (Yonne) ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en cause ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le plan comptable général ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 décembre 2013,
- le rapport de M. Martin, rapporteur ;
- et les conclusions de M. Guidal, rapporteur public ;
1. Considérant que la société Bouygues Télécom, opérateur de téléphonie, a fait l'objet d'une vérification de sa comptabilité à raison notamment de son site d'Auxerre (Yonne) ; que des rappels de taxe professionnelle ont été mis à sa charge au titre des années 2005 et 2006 au motif que les logiciels du réseau de téléphonie mobile avaient été, à tort, comptabilisés par la société en actifs incorporels ; que la société Bouygues relève appel du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 21 juin 2012 qui a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces rappels ; que les montants du litige s'élèvent respectivement à 804 euros pour 2005 et 946 euros pour 2006 ;
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1467 du code général des impôts, alors en vigueur : " La taxe professionnelle a pour base : 1° (...) a) La valeur locative (...) des immobilisations corporelles dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle (...) " ;
3. Considérant, par ailleurs, qu'aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt. " ; qu'aux termes de l'article 211-1 du plan comptable général applicable depuis le 1er janvier 2005 : " 1. Un actif est un élément identifiable du patrimoine ayant une valeur économique positive pour l'entité, c'est-à-dire un élément générant une ressource que l'entité contrôle du fait d'événements passés et dont elle attend des avantages économiques futurs. 2. Une immobilisation corporelle est un actif physique détenu, soit pour être utilisé dans la production ou la fourniture de biens ou de services, soit pour être loué à des tiers, soit à des fins de gestion interne et dont l'entité attend qu'il soit utilisé au-delà de l'exercice en cours. 3. Une immobilisation incorporelle est un actif non monétaire sans substance physique. (...) " ; que selon l'article 211-3 du même plan comptable, " une immobilisation incorporelle est identifiable si elle est séparable des activités de l'entité, c'est-à-dire susceptible d'être vendue, transférée, louée ou échangée de manière isolée ou avec un contrat, un autre actif ou passif ou si elle résulte d'un droit légal ou contractuel même si ce droit n'est pas transférable ou séparable de l'entité ou des autres droits et obligations " ; qu'enfin, l'article 311-2 de ce même plan comptable général précise que lorsque les éléments constitutifs d'un actif sont exploités de façon indissociable, un plan d'amortissement unique est retenu pour l'ensemble de ces éléments alors que si un ou plusieurs de ces éléments ont chacun des utilisations différentes, chaque élément est comptabilisé séparément et un plan d'amortissement propre à chacun de ces éléments est retenu ;
4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, en l'absence d'une définition donnée par la loi fiscale, qu'une immobilisation doit, pour être qualifiée d'incorporelle, outre le fait d'être dépourvue de substance physique, de constituer une source régulière de profit pour l'entreprise et d'être dotée d'une pérennité suffisante, être ou bien identifiable distinctement de l'activité de l'entreprise et cessible, ou bien doit avoir pour origine une protection juridique résultant d'un droit légal ou contractuel, ces deux critères étant alternatifs ; que dans le cas d'un élément incorporel associé à une immobilisation corporelle dans la production d'un bien ou d'un service, le régime fiscal dudit élément suivra les règles relatives aux immobilisations incorporelles s'il s'agit du composant principal ou significatif de l'actif immobilisé, ayant une durée d'utilisation différente de celle de l'immobilisation corporelle et dont il est prévu qu'il fera l'objet d'un remplacement au cours de sa durée de vie, le caractère incorporel de l'immobilisation prévalant alors sur l'attractivité de l'immobilisation corporelle ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que pour la réalisation de son activité d'opérateur de téléphonie mobile, la société Bouygues a passé contrat avec divers fournisseurs pour la concession de longue durée de logiciels destinés à être affectés à son réseau constitué d'éléments physiques matérialisés par des supports et des équipements informatiques ; qu'il n'est pas contesté par l'administration que les droits attachés à ces contrats de concession sont constitutifs d'une source régulière de profits pour la société Bouygues, qu'il sont dotés d'une pérennité suffisante et présentent un caractère patrimonial les rendant susceptibles de suivre le régime fiscal des éléments incorporels de l'actif immobilisé ; que, de fait, la société Bouygues a opéré une séparation, tant au plan comptable que fiscal, entre d'une part la composante matérielle et la couche informatique attachée dite de " boot boot ", et, d'autre part, la composante logicielle des sites de commutation de son réseau de téléphonie mobile, cette dernière étant comptabilisée dès l'abord au compte 205-Concessions et droits similaires : brevets, licences, marques, procédés, logiciels- et apparaissant à la ligne AF " concessions, brevets et droits similaires " de l'imprimé fiscal 2050 ; que, cependant, à la suite de la vérification de comptabilité susmentionnée, l'administration fiscale a remis en cause ladite séparation, le service estimant qu'eu égard, selon lui, à son caractère exclusivement dédié et au fait qu'elle était indispensable au fonctionnement du système de commutation, la composante logicielle était indissociable de l'équipement physique, l'ensemble étant dès lors constitutif d'une immobilisation corporelle au sens des dispositions précitées de l'article 1467 du code général des impôts ;
6. Considérant qu'il résulte en particulier du contrat-cadre de fourniture passé le 17 janvier 2005 entre la société requérante et son principal fournisseur, la société Nortel Networks, que les logiciels en cause sont relatifs au système d'exploitation mais également aux programmes d'application et de diagnostics ; qu'il résulte de ce même contrat que la société Bouygues dispose auprès de ce partenaire de droits d'utilisation contractuellement acquis, le contrat prévoyant notamment que la licence des logiciels standards est concédée pour une durée de soixante-dix ans ; que s'il est vrai que les plans d'amortissement présentent une durée identique de huit ans pour les composants matériels et logiciels, il est cependant prévu par le contrat que les logiciels pourront faire l'objet à la demande de l'opérateur de développements spécifiques, circonstance en cohérence avec la rapidité de l'évolution technologique en matière de téléphonie mobile et impliquant nécessairement une durée d'utilisation différente de celle de l'immobilisation corporelle ; que, par ailleurs, le prix de la composante logicielle, dénommé " droit d'usage logiciel ", apparaît sur les factures d'achat, comme l'a relevé le vérificateur, à part de celui relatif au matériel proprement dit, l'inscription par l'opérateur des droits d'usage logiciel au compte 205 correspondant aux préconisations de l'avis du conseil national de la comptabilité n° 31 en date des 9 janvier et 29 avril 1987 dont l'administration ne peut sérieusement soutenir qu'elles ne vaudraient pas pour les logiciels " dissociés " dont le prix peut être distingué de celui du matériel informatique ; qu'en outre, eu égard à la valeur cumulée des droits d'usage des logiciels en cause, laquelle a permis au service de déterminer la valeur locative de l'ensemble immobilisé pour le calcul de la taxe professionnelle en application des dispositions sus-rappelées de l'article 1467 du code général des impôts, il ne résulte pas de l'instruction et n'est d'ailleurs nullement soutenu par l'administration que cette valeur ne présenterait pas un montant significativement plus important que celle de la partie matérielle du système de commutation ; qu'ainsi, le caractère incorporel de la composante logicielle mise en oeuvre par la société Bouygues doit être tenu, en l'espèce, comme s'opposant à l'attractivité de l'immobilisation corporelle dont se prévaut l'administration ; que, dans ces conditions, alors même que la composante logicielle en cause, de nature mixte, est relative pour partie à l'exploitation du système, cette composante doit être regardée à raison du droit contractuel détenu par la société requérante, comme dissociée de l'ensemble physique et présente ainsi le caractère d'une immobilisation incorporelle identifiable ; qu'il suit de là que c'est à tort que l'administration fiscale a réintégré la valeur locative de cette composante dans les bases de taxe professionnelle de la société Bouygues Télécom au titre des années 2005 et 2006 ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Bouygues Télécom est fondée à demander, d'une part, l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe professionnelle mis à sa charge au titre des années 2005 et 2006 dans les rôles de la commune d'Auxerre et, d'autre part, la décharge des sommes en cause de 804 euros pour 2005 et 946 euros pour 2006 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Bouygues Télécom et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1002601 du 22 juin 2012 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : La société Bouygues Télécom est déchargée des rappels de taxe professionnelle mis à sa charge au titre des années 2005 et 2006 dans les rôles de la commune d'Auxerre pour des sommes de 804 euros au titre de 2005 et 946 euros au titre de 2006.
Article 3 : L'Etat versera à la société Bouygues Télécom la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Bouygues Télécom est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bouygues Télécom et au ministre de l'économie et des finances.
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N° 12MA03378