Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I- L'association de défense des riverains du quartier de Château-Folie et de ses environs, l'association de défense de l'environnement des quartiers Saint-Antoine et Saint-Jacques et la société Jacques Chibois ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 7 juillet 2014 portant déclaration d'utilité publique le projet de prolongement de la route départementale n° 6185 entre la route départementale n° 9 et la route départementale n° 2562 à Grasse.
Par un jugement n° 1500036 du 7 février 2017, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande.
II- Mme H...A...B...a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 7 juillet 2014 portant déclaration d'utilité publique le projet de prolongement de la route départementale n° 6185 entre la route départementale n° 9 et la route départementale n° 2562 à Grasse, d'annuler la décision implicite de refus du préfet de retirer cet arrêté et d'annuler l'arrêté du 16 octobre 2015 par lequel le préfet a déclaré immédiatement cessibles les immeubles désignés à l'état parcellaire nécessaires à la réalisation du projet.
Par un jugement n°s 1405215 - 1505091 du 7 février 2017, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
I- Par une requête, enregistrée le 14 avril 2017 sous le n° 17MA01570, l'association de défense des riverains du quartier de Château-Folie et de ses environs, l'association de défense de l'environnement des quartiers Saint-Antoine et Saint-Jacques et la société Jacques Chibois, représentées par MeD..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1500036 du 7 février 2017 du tribunal administratif de Nice ;
2°) d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2014 portant déclaration d'utilité publique le projet de prolongement de la route départementale n° 6185 entre la route départementale n° 9 et la route départementale n° 2562 à Grasse ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré du défaut de levée des réserves par le département en ce que cette collectivité n'a pas apporté de réponse aux contraintes légales et techniques entraînées par la modification des pistes cyclables ;
- la concertation publique a été insuffisante au regard de l'ampleur du projet, dès lors qu'aucune maquette et aucune visualisation spatiale des viaducs n'a été présentée, que le projet aurait dû être présenté en mairie principale, notamment au regard de son coût, mais également sur le site Internet de la commune et dans les parutions du mensuel d'information municipal ;
- le montant des dépenses est imprécis et ne mentionne pas le coût de l'échangeur raccordement de sortie de la section sur les avenues F. Mistral et de la Libération ;
- l'étude d'impact est insuffisante sur certains points ;
- l'administration n'a pas expliqué les raisons pour lesquelles, parmi les partis envisagés, elle a retenu ce projet, et notamment pas celui de 2002-2003, en méconnaissance de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le commissaire-enquêteur a fait preuve de partialité et méconnu les articles 16 et 17 du code de déontologie des commissaires enquêteurs ;
- le département n'a pas levé les deux réserves émises par le commissaire-enquêteur en posant de simples déclarations de principe ;
- l'avis du commissaire doit donc être considéré comme défavorable, et, en l'absence de nouvelle délibération dans les trois mois de la transmission du dossier, la collectivité doit être considérée comme ayant renoncé au projet ;
- les recommandations émises par le commissaire-enquêteur constituent en réalité des réserves auxquelles il n'a été répondu que par des affirmations de principe ;
- en outre, la réponse apportée à la recommandation n° 1 est impossible à mettre en oeuvre en raison de l'annulation par le tribunal administratif de Nice de la délibération du conseil municipal du 28 juin 2012 portant modification n° 8 du PLU ;
- cette annulation rend impossible l'aménagement de la sortie de la pénétrante au niveau du quartier Saint-Jacques ;
- le projet n'est pas d'utilité publique au regard de son coût excessif et des inconvénients qu'il comporte sur l'environnement naturel et paysager.
Par un mémoire, enregistré le 20 septembre 2017, le département des Alpes-Maritimes, représenté par MeG..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge des requérantes la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les modalités de la concertation telles qu'il les a définies ont été respectées ;
- la concertation préalable a été suffisante et le public informé ;
- l'évaluation sommaire des dépenses a été correctement réalisée ;
- l'étude d'impact est complète ;
- il n'avait pas à faire figurer au dossier les projets antérieurs élaborés en dehors de ses services ;
- le commissaire-enquêteur n'a fait preuve d'aucune partialité ;
- le moyen tiré de la méconnaissance des articles 16 et 17 du code de déontologie des commissaires-enquêteurs est inopérant, dès lors que ce code est dépourvu de valeur réglementaire et qu'il a été approuvé postérieurement à l'avis rendu par le commissaire concernant le projet litigieux ;
- l'absence de levée des réserves est sans incidence sur la légalité de la déclaration d'utilité publique ;
- en tout état de cause, la délibération du 17 juin 2014 a levé les réserves émises par le commissaire-enquêteur ;
- il n'est pas exigé que la levée des réserves s'accompagne de développements techniques précis, lesquels sont au demeurant visés par la délibération ;
- le commissaire-enquêteur a émis deux recommandations, qui ne sauraient être requalifiées en réserves ;
- le projet revêt une utilité publique.
La clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat au 13 décembre 2018.
Un mémoire en intervention volontaire, présenté pour M.F..., représenté par Me C..., a été enregistré le 21 juin 2019.
II- Par une requête enregistrée le 6 avril 2017 sous le n° 17MA01463, et des mémoires, enregistrés le 6 juillet 2017 et le 21 juillet 2017, Mme A...B..., représentée par la SCP Thouin-Palat et Boucard, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°s 1405215 - 1505091 du 7 février 2017 du tribunal administratif de Nice ;
2°) d'annuler la décision implicite de refus du préfet des Alpes-Maritimes de retirer l'arrêté du 7 juillet 2014 portant déclaration d'utilité publique le projet de prolongement de la route départementale n° 6185 entre la route départementale n° 9 et la route départementale n° 2562 à Grasse, ensemble cet arrêté, et d'annuler l'arrêté du 16 octobre 2015 par lequel le préfet a déclaré immédiatement cessibles les immeubles désignés à l'état parcellaire nécessaires à la réalisation du projet ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et du département des Alpes-Maritimes la somme de 6 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a omis d'examiner le moyen tiré de l'insuffisance du dossier d'enquête publique, notamment au regard de l'évaluation du coût des travaux ;
- le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré du défaut d'information qui résulte de ce que les caractéristiques techniques des principaux éléments du projet n'ont pas été soumises à la concertation ;
- le tribunal administratif n'a pas suffisamment exposé les considérations expliquant les raisons permettant au préfet de s'affranchir des dispositions de l'article R. 132-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique pour édicter l'arrêté du 16 octobre 2015 ;
- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs pour avoir estimé que la procédure de concertation avait été régulièrement menée et précisé qu'elle avait été engagée avant que le projet ne soit arrêté dans sa nature et ses options essentielles.
En ce qui concerne l'arrêté du 7 juillet 2014 :
- les modalités de la concertation publique ont été insuffisantes au regard de l'ampleur du projet ;
- le dossier soumis à enquête publique est lacunaire au regard de l'évaluation des dépenses ;
- aucune évaluation économique et sociale n'a été réalisée, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 11-3-I 7° du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et de celles du décret du 17 juillet 1984 ;
- l'étude d'impact est insuffisante, le projet ayant été présenté de façon lacunaire ;
- elle méconnaît les dispositions des articles R. 122-3 et R. 122-15 du code de l'urbanisme, dès lors que certaines informations sur les infrastructures de transport ne sont pas produites ;
- le projet ne remplit pas la condition d'intérêt général ;
- les atteintes à la propriété privée, le coût financier et les inconvénients de toute nature que comporte l'opération sont excessifs eu égard à l'intérêt présenté par le projet ;
- la délibération de la commission permanente du 17 juin 2014 n'a pas pu lever les réserves émises par le commissaire-enquêteur dès lors qu'en cas de conclusions défavorables du ce dernier, l'organe délibérant doit prendre une délibération motivée réitérant la demande d'autorisation ou de déclaration d'utilité publique ;
- la recommandation du commissaire-enquêteur suivant laquelle il a préconisé la réalisation d'une voie sécurisée pour piétons et cycles et l'élargissement de l'avenue F. Mistral constitue en réalité une réserve ;
- la déclaration d'utilité publique est irrégulière au regard des orientations de la directive territoriale d'aménagement des Alpes-Maritimes approuvée par décret du 2 décembre 2003 ;
- elle méconnaît le plan de déplacement urbain approuvé le 5 mai 2008 par le conseil communautaire de la communauté d'agglomération Sophia Antipolis ;
- elle méconnaît les dispositions combinées des articles N 10 et N 13 du plan local d'urbanisme de la commune de Grasse et l'article L. 130-1 du code de l'urbanisme.
En ce qui concerne l'arrêté du 16 octobre 2015 :
- l'arrêté du 16 octobre 2015 n'a pas été pris au vu du procès-verbal du commissaire-enquêteur ;
- la déclaration d'utilité publique étant entachée d'illégalité, l'annulation de l'arrêté de cessibilité doit être prononcée en application de la théorie des opérations complexes.
Par un mémoire, enregistré le 20 septembre 2017, le département des Alpes-Maritimes, représenté par MeG..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de la requérante la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la concertation préalable a été suffisante et le public informé ;
- la notice explicative, comprenant une appréciation sommaire des dépenses, répond aux conditions posées par l'article R. 11-3 du code de l'expropriation ;
- il n'avait pas à réaliser une évaluation économique et sociale ;
- l'étude d'impact est complète, comprenant des illustrations, plans et croquis ainsi qu'une description des ouvrages projetés, détaillant notamment l'impact paysager du projet, analysant les risques d'inondation, de ruissellement et de mouvements de terrains et les effets sur la sécurité routière ;
- il ne pouvait apporter davantage de précisions architecturales, paysagères et techniques sur les viaducs, le concours de maîtrise d'oeuvre pour les réaliser n'étant programmé qu'après la déclaration d'utilité publique ;
- la requérante ne démontre pas que les insuffisances qui affecteraient l'étude d'impact auraient eu pour effet de nuire à l'information du public ou d'exercer une influence sur les résultats de l'enquête publique ;
- le moyen tiré de la méconnaissance des articles R. 122-3-6° et R. 122-15 du code de l'urbanisme relatifs au contenu des études d'impact concernant les infrastructures de transport est inopérant ;
- le projet revêt une utilité publique ;
- il a été tenu compte des risques d'accidents ;
- le projet n'aura pas pour effet de créer un effet d'entonnoir puisqu'il permet de fluidifier la circulation ;
- la déclaration d'utilité publique ne méconnaît pas le plan de déplacement urbain approuvé le 5 mai 2008 par le conseil communautaire de la communauté d'agglomération Sophia Antipolis ;
- la surface d'emprise du projet sur la parcelle de la requérante a été réduite ;
- le coût du projet n'est pas excessif au regard de l'intérêt de l'opération ;
- des mesures ont été prises pour éviter les nuisances sonores et lutter contre les risques d'inondation et de ruissellement ;
- le bilan environnemental de l'opération est positif ;
- l'impact sur le paysage demeure maîtrisé ;
- les échange économiques entre quartiers seront également favorisés ;
- l'absence de levée des réserves est sans incidence sur la légalité de la déclaration d'utilité publique ;
- en tout état de cause, la délibération du 17 juin 2014 a levé les réserves émises par le commissaire-enquêteur ;
- la requalification d'une recommandation en réserve est sans incidence sur la légalité de la déclaration d'utilité publique ;
- le commissaire-enquêteur a émis deux recommandations, qui ne sauraient être requalifiées en réserves ;
- l'arrêté déclarant d'utilité publique l'opération est compatible avec les orientations de la directive territoriale d'aménagement ;
- le moyen tiré de la méconnaissance des articles N 10 et N 13 du plan local d'urbanisme et de l'article L. 130-1 du code de l'urbanisme est dépourvu de précisions permettant d'en apprécier le bienfondé.
Par un mémoire, enregistré le 19 février 2018, Mme A...B...conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et ajoute en outre que :
- le département n'apporte pas la preuve de ce que la présentation du projet et les permanences d'élus ont été assurées ;
- en tout état de cause, l'information et la concertation préalable ont été indigentes au regard de l'ampleur du projet ;
- le dossier soumis à l'enquête publique aurait dû mentionner le coût des acquisitions foncières intervenues antérieurement à la date d'ouverture de l'enquête ;
- le coût de certains postes a été omis ;
- la représentation graphique des viaducs est largement insuffisante ;
- l'étude d'impact ne mentionne pas les mesures envisagées pour faire face aux risques encourus en cas de séisme ;
- le seuil de 60 db fixé comme objectif, trop élevé, n'a pas permis à la population concernée de mesurer les conséquences sonores réelles du projet ;
- aucun raccordement au réseau routier existant n'est prévu tout au long des 2 km de la pénétrante ;
- l'emprise du projet sur les parcelles nouvellement cadastrées BS 577 et BS 578 a pour effet de scinder sa propriété en deux ;
- les réserves attachées à l'avis du commissaire-enquêteur valent avis défavorable lorsqu'elles ne sont pas levées et emportent l'incompétence du préfet pour prononcer l'utilité publiques d'une opération ;
- la directive territoriale d'aménagement n'a pu autoriser que le seul projet de 2002.
Par un mémoire, enregistré le 7 juin 2018, le département des Alpes-Maritimes persiste dans ses écritures et ajoute en outre que :
- en matière de concertation, la personne publique a l'obligation de respecter les seules modalités qu'elle a définies ;
- le seul fait que le montant de l'indemnité due en contrepartie des acquisitions foncières soit en définitive supérieur à celui de l'estimation figurant dans le dossier d'enquête est dépourvu d'influence sur la légalité de la déclaration d'utilité publique ;
- le coût des acquisitions foncières qu'il a réalisées avant 2006 n'avait pas à être mentionné au dossier, la grande majorité des parcelles concernées étant devenues la propriété du département en raison du transfert à titre gratuit des routes nationales par l'Etat aux départements ;
- en outre, le coût des acquisitions foncières réalisées en 1996 et en 2006 a été porté dans le dossier de déclaration d'utilité publique ;
- certains des équipements mentionnés par la requérante ont été inclus dans le coût, tandis que d'autres, n'étant pas compris dans le périmètre de l'opération, n'avaient pas y être intégrés ;
- l'étude d'impact comprend bien une analyse des conséquences de l'ouvrage projeté au regard des risques naturels ;
- le seuil de 60 db retenu est fixé par la réglementation ;
- le projet prévoit divers échanges qui permettent de raccorder les différents boulevards aux quartiers traversés ;
- le projet inscrit dans la directive territoriale d'aménagement est certes celui initié par l'Etat et déclaré d'utilité publique en 1993, mais dont les caractéristiques s'apparentaient plus à une autoroute urbaine.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Laurent Marcovici, président-assesseur de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure,
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;
- les observations de MeG..., pour le département des Alpes-Maritimes.
Considérant ce qui suit :
Sur la jonction :
1. Les requêtes susvisées, enregistrées sous les n° 17MA01570 et n° 17MA01463, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
2. Par une déclaration d'utilité publique prononcée par décret du 22 mars 1974, une première section routière entre l'A8 et la commune de Mougins a été mise en service en 1991, puis une deuxième, objet d'une déclaration d'utilité publique édictée par un décret du 29 janvier 1987, entre Mougins et le boulevard Emmanuel Rouquier à Grasse. Une troisième déclaration d'utilité publique prise par arrêté préfectoral du 28 décembre 1993, renouvelée en 1998, a prévu le prolongement de la " pénétrante Cannes-Grasse " entre la RD 9 et la RD 2562. Un projet a finalement été retenu par le département des Alpes-Maritimes, consistant en une infrastructure de type boulevard urbain, avec un statut de route départementale à 70 km/h. Par délibération du 25 septembre 2006, le conseil général des Alpes-Maritimes a délibéré sur les modalités de la consultation préalable du public, en application des dispositions de l'article L. 300-2 du code de l'urbanisme, sur ce projet. Le projet d'aménagement routier qualifié d'avant-projet sommaire a été soumis au public entre les 4 et 22 décembre 2006. L'autorité compétente en matière environnementale a émis, le 30 juillet 2012, son avis. Par une délibération du 29 avril 2013, la commission permanente du conseil général du département des Alpes-Maritimes a approuvé la réalisation des travaux et a autorisé son président à solliciter le préfet des Alpes-Maritimes en vue d'ouvrir les enquêtes conjointes préalables à la déclaration d'utilité publique du projet et parcellaire. Par arrêté du 14 août 2013, le préfet des Alpes-Maritimes a prescrit l'ouverture d'une enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique relative à ce projet, qui s'est déroulée du 20 septembre 2013 au 25 octobre 2013. Le commissaire-enquêteur a rendu son rapport le 7 décembre 2013. Par délibération de la commission permanente du 17 juin 2014, le département des Alpes-Maritimes a déclaré d'intérêt général le projet. Par arrêté du 7 juillet 2014, le préfet a déclaré d'utilité publique le projet. Par arrêté du 16 octobre 2015, il a déclaré immédiatement cessibles les immeubles désignés à l'état parcellaire.
Sur la requête n° 17MA01570 :
3. L'association de défense des riverains du quartier de Château-Folie et de ses environs, l'association de défense de l'environnement des quartiers Saint-Antoine et Saint-Jacques et la société Jacques Chibois relèvent appel du jugement n° 1500036 du 7 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 7 juillet 2014.
En ce qui concerne l'intervention volontaire de M. F...:
4. L'introduction d'une intervention n'est subordonnée à d'autre condition de délai que celle découlant de l'obligation pour l'intervenant d'agir avant la clôture de l'instruction. La clôture de l'instruction ayant été prononcée le 13 décembre 2018, le mémoire présenté pour M. F...le 21 juin 2019 n'est pas recevable.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
S'agissant du moyen tiré de l'absence d'impartialité du commissaire-enquêteur :
5. Il appartient au commissaire enquêteur, après avoir, dans son rapport, relaté le déroulement de l'enquête et examiné les observations recueillies, de donner, dans ses conclusions, son avis personnel et motivé sur les avantages et inconvénients de l'opération envisagée. Au regard du devoir d'impartialité qui s'impose à lui, ses conclusions ne sauraient être dictées par un intérêt personnel, ni par un parti pris initial.
6. Il ressort des pièces du dossier que le commissaire enquêteur désigné pour donner son avis sur le projet litigieux s'est exprimé dans le journal Nice Matin le 21 septembre 2013, lendemain de l'ouverture de l'enquête publique. S'il a rappelé qu'il était neutre et indépendant, que son rôle consistait à apporter des réponses, accueillir le public et donner un avis au préfet, il a également répondu, à la question de savoir si le projet lui paraissait à l'heure actuelle viable, que " juridiquement, je ne vois pas d'anomalies à l'utilité publique du prolongement. Je ne peux évidemment pas encore dire quel avis je vais rendre mais, à moins, de découvrir une énormité, je pense que le projet ira à terme. L'intérêt public est toujours supérieur à l'intérêt privé en France ". Compte-tenu de la nature, de la publicité et du stade de la procédure à laquelle ils sont intervenus, ces propos, qui s'analysent comme un parti pris initial favorable au projet puisque le commissaire-enquêteur suggère clairement que son avis sera favorable sauf " énormité ", ont entaché la procédure d'un vice, qui a privé le public d'une garantie, et ce même si les conclusions que le commissaire-enquêteur a rendues sont complètes et motivées. Pour ce motif, l'arrêté préfectoral contesté doit être annulé.
S'agissant du moyen tiré du défaut d'utilité publique du projet :
7. Il appartient au juge, lorsqu'il doit se prononcer sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu'elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.
8. Il ressort des pièces du dossier que le projet vise à créer un boulevard urbain dans le prolongement de la RD 6185 existante pour désengorger le secteur des Quatre chemins et les quartiers de Saint-Antoine, Saint-Jacques, Loubonnières et Villote, qui supportent un important trafic à destination des axes structurants de la ville (RD 6185, la RD 9 et la RD 2562). L'opération envisagée, qui tend à capter le trafic en provenance du Tignet, de Peymeinade et des quartiers ouest de Grasse à destination de l'est et du sud de la commune, d'améliorer le transit entre 1'extérieur de la ville et le centre de Grasse en libérant de la capacité sur le secteur des Quatre chemins et ses voies attenantes, de faciliter les échanges inter-quartiers, de renforcer la desserte locale et d'améliorer la sécurité sur le secteur en délestant les voies transversales fortement empruntées, répond à un objectif d'intérêt général.
9. Cependant, en premier lieu, le coût des aménagements et travaux prévus pour ces 1 920 mètres de voie, de 68 millions d'euros, soit 34 millions d'euros par kilomètre, demeure très important, et ce même si ce coût élevé trouve son origine notamment dans la création des ouvrages d'art, principalement deux viaducs pour 18,6 millions d'euros, trois ponts routiers, 5500 m² de murs de soutènement et 2100 mètres de murs acoustiques.
10. En second lieu, l'autorité environnementale saisie a estimé que ce projet à caractère urbain s'insérait " dans l'un des plus beaux balcons de la Côte d'Azur " et que l'analyse des impacts, succincte, ne mettait pas en avant les modifications importantes du secteur en terme de grand paysage entraînées par l'implantation d'ouvrages exceptionnels. La zone d'étude, située sur le versant Sud de la commune, est en effet fortement exposée dans le grand paysage. Elle est visible de loin et compose notamment l'horizon de la Plaine de la Siagne au Nord. Il ressort également des pièces du dossier, notamment de l'étude d'impact, que la séquence partant du chemin des Loubonnières à la RD 2562, qualifiée de paysage d'exception selon cette même étude, est caractérisée par deux vallons très largement boisés (chênes, aulnes...), des chemins étroits et bordés de vieux murs en pierre, rendant l'endroit agréable et pittoresque. La forte visibilité du projet, en raison de la pente, des ouvrages associés à la voie (talus, murets, protections acoustiques) et surtout de l'implantation de deux viaducs d'une longueur de 150 m pour le premier, au sein du vallon des Loubonnières, et 210 m pour le second dans le vallon de Château Folie, avec une hauteur respective d'environ 20 m et 27 m conduira, dans cet espace sensible du point de vue du paysage rapproché mais également lointain, à un changement profond dans la perception du site, et ce même si des études ultérieures doivent affiner et préciser les caractéristiques des viaducs. Les mesures visant à atténuer les effets paysagers du projet en ce qui concerne la séquence des vallons, décrites dans l'étude d'impact et qui consistent à assurer la continuité paysagère par une plantation arborée dense des terrassements avec plantation de pins et de chênes sur les talus lorsque leur configuration le permettra, ainsi que le long des emprises de la future piste cyclable, ne pourront atteindre leurs objectifs que dans la partie basse des viaducs.
11. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 9 et 10 que le coût financier et les atteintes au paysage que comporte l'opération litigieuse sont excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente, tel que décrit au point 8.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande d'annulation de l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 7 juillet 2014. Le jugement n° 1500036 du 7 février 2017 du tribunal administratif de Nice et l'arrêté préfectoral du 7 juillet 2014 doivent par suite être annulés, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement ni sur les autres moyens de la requête.
Sur la requête n° 17MA01463 :
13. Mme A...B..., qui possède dans le hameau de Saint-Jacques à Grasse une parcelle cadastrée BS 339 d'une superficie de 31 134 m², située en rive droite du vallon de Château Folie, sur laquelle est édifiée notamment une résidence principale et dont 3 742 m² sont impactés par l'emprise du projet, relève appel du jugement n°s 1405215 et 1505091 du 7 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux des 7 juillet 2014 et 16 octobre 2015.
En ce qui concerne l'arrêté du 7 juillet 2014 :
14. La cour a annulé au point 12 ci-dessus l'arrêté du 7 juillet 2014 du préfet des Alpes-Maritimes portant déclaration d'utilité publique le projet de prolongement de la route départementale n° 6185 entre la route départementale n° 9 et la route départementale n° 2562 à Grasse. Il n'y a par suite plus lieu de statuer sur les conclusions de Mme A...B...tendant à l'annulation de cet arrêté et, par voie de conséquence de cette annulation, il y a également lieu d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet a refusé de le retirer.
En ce qui concerne l'arrêté du 16 octobre 2015 :
15. En l'absence de circonstances particulières dont il ferait état, un requérant ne justifie pas, en principe, d'un intérêt lui donnant qualité à demander l'annulation d'un arrêté de cessibilité en tant qu'il concerne des terrains autres que ceux lui appartenant. Par suite, les conclusions dirigées contre l'arrêté de cessibilité en tant qu'il déclare cessibles des parcelles autres que celles appartenant à Mme A...B...sont irrecevables.
16. Il convient par ailleurs d'annuler par voie de conséquence de l'annulation de l'arrêté du 7 juillet 2014 prononcée au point 12 ci-dessus l'arrêté du 16 octobre 2015 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a déclaré immédiatement cessibles les immeubles désignés à l'état parcellaire nécessaires à la réalisation du projet en tant que cet arrêté concerne les parcelles appartenant à Mme A...B....
17. Il résulte de ce qui précède que Mme A...B...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande d'annulation des arrêtés du préfet des Alpes-Maritimes des 7 juillet 2014 et 16 octobre 2015 en tant qu'il vise les parcelles lui appartenant et de la décision implicite refusant de procéder au retrait du premier arrêté. Le jugement n°s 1405215 et 1505091 du 7 février 2017 doit par suite être annulé dans la mesure énoncée aux points 14 et 16.
Sur les frais liés aux litiges :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'association de défense des riverains du quartier de Château-Folie et de ses environs, l'association de défense de l'environnement des quartiers Saint-Antoine et Saint-Jacques, la société Jacques Chibois et Mme A...B..., qui ne sont pas les parties perdantes dans les présentes instances, le versement d'une somme au département des Alpes-Maritimes au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre, sur le fondement des mêmes dispositions, à la charge du seul département des Alpes-Maritimes la somme de 1 000 euros à verser à chacune des quatre requérantes.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de M. F...n'est pas admise dans l'instance n°17MA01570.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice n° 1500036 du 7 février 2017 est annulé.
Article 3 : L'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 7 juillet 2014 est annulé.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 7 juillet 2014 dans l'instance n° 17MA01463.
Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Nice n°s 1405215 - 1505091 du 7 février 2017 est annulé en tant qu'il rejette la demande d'annulation de la décision implicite de refus de retirer l'arrêté du 7 juillet 2014 et la demande d'annulation de l'arrêté du 16 octobre 2015 du préfet des Alpes-Maritimes en tant qu'il concerne les parcelles appartenant à Mme A...B....
Article 6 : La décision implicite de refus de retirer l'arrêté du 7 juillet 2014 et l'arrêté du 16 octobre 2015 du préfet des Alpes-Maritimes en tant qu'il concerne les parcelles appartenant à Mme A...B...sont annulés.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête n° 17MA01463 est rejeté.
Article 8 : Le département des Alpes-Maritimes versera à l'association de défense des riverains du quartier de Château-Folie et de ses environs, l'association de défense de l'environnement des quartiers Saint-Antoine et Saint-Jacques, la société Jacques Chibois et Mme A...B...la somme de 1 000 euros chacune en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 9 : Les conclusions présentées par le département des Alpes-Maritimes sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées dans les deux instances.
Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à l'association de défense des riverains du quartier de Château-Folie et de ses environs, à l'association de défense de l'environnement des quartiers Saint-Antoine et Saint-Jacques, à la société Jacques Chibois, à Mme H...A...B..., au département des Alpes-Maritimes, au ministère de la transition écologique et solidaire, au ministère de l'intérieur, à la commune de Grasse et à M. E...F....
Délibéré après l'audience du 24 juin 2019, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Pecchioli, premier conseiller,
- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.
Lu en audience publique, le 8 juillet 2019.
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N°s 17MA01570 - 17MA01463