Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 2 décembre 2015 par lequel le préfet de l'Aude a autorisé la SAS Rivière à exploiter une carrière alluvionnaire à ciel ouvert sur le territoire des communes de Trèbes et de Rustiques, aux lieux-dits " La Condamine " et " Les Condamines ".
Par un jugement n° 1601383 du 28 novembre 2017, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 janvier 2018 et 6 janvier 2020, sous le n° 18MA00277, le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave, représentés par Me B..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 28 novembre 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Aude du 2 décembre 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les capacités techniques et financières de la SAS Rivière sont insuffisantes en violation des articles R. 512-3 et R. 512-5 du code de l'environnement ;
- l'absence d'étude des effets ou inconvénients cumulés avec les installations de Millegrand, du Moural et la carrière Colas méconnaît les articles L. 122-1 et L. 122-3 du code de l'environnement ;
- la modification du plan local d'urbanisme de la commune de Rustiques ayant été annulée, l'installation de la carrière en litige méconnaît le zonage d'urbanisme dédié à l'agriculture du règlement antérieur ;
- l'installation de la carrière en litige porte une atteinte excessive aux intérêts des articles L. 110-1 et L. 511-1 du code de l'environnement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2019, la SAS Rivière, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge du syndicat viticole du cru Minervois et de la SCEA Château La Grave la somme de 5 000 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 décembre 2019, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête du syndicat viticole du cru Minervois et de la SCEA Château La Grave.
Elle soutient que les moyens soulevés par le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave ne sont pas fondés.
Un mémoire présenté pour la SAS rivière a été enregistré le 21 janvier 2020 à 10h05, postérieurement à la clôture de l'instruction qui est intervenue le 20 janvier 2020 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code rural ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ratifiée par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave et de Me A..., représentant la SAS Rivière.
Considérant ce qui suit :
1. Le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave relèvent appel du jugement du 28 novembre 2017 du tribunal administratif de Montpellier qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 décembre 2015 par lequel le préfet de l'Aude a autorisé la SAS Rivière à exploiter une carrière alluvionnaire à ciel ouvert sur le territoire des communes de Trèbes et de Rustiques, aux lieux-dits " La Condamine " et " Les Condamines ".
Sur les fins de non-recevoir opposées aux demandes de première instance du syndicat viticole du cru Minervois et de la SCEA Château La Grave :
2. Aux termes de l'article L. 642-22 du code rural : " L'organisme de défense et de gestion contribue à la mission d'intérêt général de préservation et de mise en valeur des terroirs, des traditions locales et des savoir-faire ainsi que des produits qui en sont issus. / Pour chaque produit bénéficiant d'un signe d'identification de la qualité et de l'origine dont il assure la défense et la gestion, l'organisme : (...) / - participe aux actions de défense et de protection du nom, du produit et du terroir, à la valorisation du produit ainsi qu'à la connaissance statistique du secteur (...) ". L'article L. 643-4 du même code dispose : " Tout organisme de défense et de gestion d'une appellation d'origine peut saisir l'autorité administrative compétente s'il estime que le contenu d'un document d'aménagement ou d'urbanisme en cours d'élaboration, un projet d'équipement, de construction, d'exploitation du sol ou du sous-sol, d'implantation d'activités économiques est de nature à porter atteinte à l'aire ou aux conditions de production, à la qualité ou à l'image du produit d'appellation. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'un organisme de défense et de gestion d'une appellation d'origine est recevable à déférer au juge de l'excès de pouvoir les décisions administratives, notamment en matière d'urbanisme ou d'environnement, susceptibles de porter atteinte à l'aire ou aux conditions de production, à la qualité ou à l'image du produit d'appellation.
4. Il résulte de l'article 4 des statuts du syndicat viticole du cru Minervois que ce dernier a fait l'objet d'une reconnaissance en organisme de défense et de gestion (ODG) par décision du directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) pour l'appellation d'origine contrôlée Minervois. Ainsi, il justifie d'un intérêt pour demander l'annulation de l'arrêté contesté alors même que le site de la carrière en cause n'est pas situé en aire d'appellation d'origine contrôlée, dès lors que le projet autorisé est susceptible de porter atteinte à l'aire ou aux conditions de production, à la qualité ou à l'image du produit d'appellation.
5. La SCEA Château La Grave est propriétaire de parcelles situées sur le territoire de la commune de Rustiques. Ses parcelles plantées en vignes sont en outre situées à proximité du site de la carrière en cause et sont susceptibles d'être impactées par la diffusion des poussières résultant de cette activité. La SCEA Château La Grave justifie ainsi d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'arrêté en litige.
6. Le syndicat viticole du cru Minervois a produit une délibération de son conseil d'administration du 14 janvier 2016 habilitant son président à engager une instance en vue d'obtenir l'annulation de l'arrêté n° 2015-023 du préfet de l'Aude. Par ailleurs, la demande de première instance a été présentée par la SCEA Château La Grave, représentée par son gérant. En application de l'article 1849 du code civil, ce gérant dispose d'un pouvoir légal de représentation lui donnant, de plein droit, qualité pour agir en justice au nom de cette société. Par suite, la fin de non-recevoir opposée, en première instance, par la SAS Rivière, tirée du défaut de capacité à agir du président du syndicat viticole du cru Minervois et de la SCEA Château La Grave doit être écartée.
7. Aux termes des dispositions de l'article R. 514-3-1 du code de l'environnement en vigueur à la date de l'introduction de l'instance devant le tribunal : " Sans préjudice de l'application des articles L. 515-27 et L. 553-4, les décisions mentionnées au I de l'article L. 514-6 et aux articles L. 211-6, L. 214-10 et L. 216-2 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / par les tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l'installation présente pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 dans un délai d'un an à compter de la publication ou de l'affichage de ces décisions. Toutefois, si la mise en service de l'installation n'est pas intervenue six mois après la publication ou l'affichage de ces décisions, le délai de recours continue à courir jusqu'à l'expiration d'une période de six mois après cette mise en service ; ".
8. Il résulte du dossier de première instance que la requête présentée par le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave a été enregistrée au greffe du tribunal le 16 mars 2016. Par ailleurs, l'arrêté contesté portait la mention des voies et délais de recours, notamment que la présente décision est soumise à un contentieux de pleine juridiction et qu'elle peut être déférée devant le tribunal administratif de Montpellier " par les tiers (...) en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l'installation présente pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, dans un délai de six mois à compter de la publication ou de l'affichage de ces décisions (...) ". Dès lors, la requête n'était pas tardive.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les règles applicables :
9. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement : " Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier. ". Selon l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 susvisée relative à l'autorisation environnementale ratifiée par l'article 56 de la loi du 10 août 2018 susvisée : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : / 1° Les autorisations délivrées au titre (...) du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement dans leur rédaction antérieure à la présente ordonnance (...) sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l'article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état ; / 2° Les demandes d'autorisation au titre du (...) chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement (...) régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable ; / (...) ".
10. En vertu de l'article L. 181-17 du code de l'environnement, issu de l'article 1er de l'ordonnance du 26 janvier 2017 et applicable depuis le 1er mars 2017, l'autorisation environnementale est soumise, comme l'était avant elle l'autorisation délivrée au titre de la police des installations classées pour la protection de l'environnement mentionnées au 1° de l'article 15 de cette même ordonnance, à un contentieux de pleine juridiction. Il appartient, dès lors, au juge du plein contentieux d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond applicables aux autorisations environnementales au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.
En ce qui concerne la régularité de la procédure suivie :
S'agissant du moyen tiré de l'insuffisance des garanties techniques et financières :
11. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 512-1 et R. 123-6 du code de l'environnement alors applicables à la procédure d'autorisation en litige que le dossier de demande d'autorisation, dont le contenu est précisé à l'article R. 512-3 du même code et qui doit figurer dans le dossier soumis à enquête publique relative aux incidences du projet sur les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code, doit comporter, en vertu du 5° de ce dernier article, des éléments relatifs aux " capacités techniques et financières de l'exploitant ". Une insuffisance du dossier de demande au regard de ces dispositions entraîne un défaut d'information du public qui est susceptible d'entacher la légalité de la décision prise au terme de la procédure d'autorisation.
12. Il résulte également de ces dispositions non seulement que le pétitionnaire est tenu de fournir des indications précises et étayées sur ses capacités techniques et financières à l'appui de son dossier de demande d'autorisation, mais aussi que l'autorisation d'exploiter une installation classée ne peut légalement être délivrée, sous le contrôle du juge du plein contentieux des installations classées, si ces conditions ne sont pas remplies. Le pétitionnaire doit notamment justifier disposer de capacités techniques et financières propres ou fournies par des tiers de manière suffisamment certaine, le mettant à même de mener à bien son projet et d'assumer l'ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l'exploitation et de la remise en état du site au regard, des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, ainsi que les garanties de toute nature qu'il peut être appelé à constituer à cette fin en application des article L. 516-1 et L. 516-2 du même code.
13. Il résulte de ce qui précède que si, saisi d'une demande d'annulation d'une autorisation d'exploiter, le juge retient que le caractère incomplet du dossier soumis à enquête publique concernant les capacités techniques et financières du demandeur a nui à l'information du public et affecté la légalité de la décision prise, il lui appartient de prendre en compte, le cas échéant, les éléments produits devant lui permettant de retenir, à la date à laquelle il statue, que ce vice a été régularisé. En outre, saisi de conclusions en ce sens, il lui appartient également, dès lors qu'il estime que le vice constaté n'est pas, ou que partiellement, régularisé, de se prononcer sur la possibilité de mettre en oeuvre les dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement afin de permettre une telle régularisation, cette mise en oeuvre pouvant notamment avoir pour objet de compléter l'information du public.
14. En l'espèce, le dossier de demande soumis à enquête publique comporte une rubrique intitulée " capacité financières " comprenant seulement des bilans financiers des années 2011 à 2014 et faisant apparaître des résultats nets assez faibles, notamment de 18 842 euros en 2014 et de 770 euros en 2013, pour un chiffre d'affaires net respectivement de 1 637 000 euros et 1 300 000 euros. Ces seuls éléments, alors que le capital social de l'exploitant n'est que de 160 000 euros, sont très insuffisants pour justifier de capacités financières de nature à faire face aux frais de remise en état du site. Postérieurement à la délivrance de l'autorisation, le pétitionnaire a complété sa demande en produisant un acte de cautionnement d'un montant de 163 560 euros pour la 1ère phase quinquennale d'exploitation, émis par la banque publique d'investissement (BPI) France. Il justifie ainsi d'un engagement ferme relatif aux capacités financières nécessaires pour la remise en état du site. S'il ne résulte pas de l'instruction que ce document aurait figuré au dossier d'enquête publique, les observations faites par le public au cours de l'enquête n'ont pas porté sur les éléments justifiant l'aptitude financière du pétitionnaire à porter le projet en litige mais sur les enjeux environnementaux, selon le rapport du commissaire enquêteur. Dans ces conditions, l'insuffisance des éléments portant sur les capacités financières n'a pas nui à la bonne information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ni n'a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête publique. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance des capacités financières de la SAS Rivière en violation des articles R. 512-3 et R. 512-5 du code de l'environnement doit être écarté.
15. A supposer que le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave aient entendu soulever le moyen tiré de l'insuffisance d'information du public sur les capacités techniques du pétitionnaire, ce moyen n'est pas assorti de précision suffisante permettant d'en apprécier le bien-fondé.
S'agissant du moyen tiré de l'absence d'étude des effets et inconvénients cumulés en violation des articles L. 122-1 et L. 122-3 du code de l'environnement :
16. Aux termes de L. 122-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. - Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact. (...) / II. - Lorsque ces projets concourent à la réalisation d'un même programme de travaux, d'aménagements ou d'ouvrages et lorsque ces projets sont réalisés de manière simultanée, l'étude d'impact doit porter sur l'ensemble du programme. Lorsque la réalisation est échelonnée dans le temps, l'étude d'impact de chacun des projets doit comporter une appréciation des impacts de l'ensemble du programme. Lorsque les travaux sont réalisés par des maîtres d'ouvrage différents, ceux-ci peuvent demander à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement de préciser les autres projets du programme, dans le cadre des dispositions de l'article L. 122-1-2 (...) " ; L'article L. 122-3 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté contesté dispose que : " (...) 2° Le contenu de l'étude d'impact, qui comprend au minimum une description du projet, une analyse de l'état initial de la zone susceptible d'être affectée et de son environnement, l'étude des effets du projet sur l'environnement ou la santé humaine, y compris les effets cumulés avec d'autres projets connus, les mesures proportionnées envisagées pour éviter, réduire et, lorsque c'est possible, compenser les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine ainsi qu'une présentation des principales modalités de suivi de ces mesures et du suivi de leurs effets sur l'environnement ou la santé humaine (...) " et aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement : " (...) II.-L'étude d'impact présente : / (...) " 4° Une analyse des effets cumulés du projet avec d'autres projets connus. Ces projets sont ceux qui, lors du dépôt de l'étude d'impact : " - ont fait l'objet d'un document d'incidences au titre de l'article R. 214-6 et d'une enquête publique ; - ont fait l'objet d'une étude d'impact au titre du présent code et pour lesquels un avis de l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement a été rendu public ".
17. Le site de Millerand situé à environ 2 kilomètres n'avait pas à être pris en compte dans le cadre d'une étude des effets ou inconvénients cumulés avec la carrière des Condamines en litige dès lors qu'il s'agit d'une installation seulement soumise à déclaration et alors même qu'un camion effectuera des rotations entre les deux sites. Le dossier d'autorisation du projet de la carrière de Colas n'ayant été déposé en préfecture que le 27 octobre 2015, postérieurement à celui du site des Condamines dont le dépôt a eu lieu le 27 janvier 2015, il n'avait pas davantage à être pris en compte dans le cadre d'une telle étude. La circonstance que par une lettre du 16 juin 2015, la direction des routes du conseil général a précisé que le projet en cause et celui de l'entreprise Colas ont nécessité la modification du plan local d'urbanisme de la commune de Trèbes est sans incidence. Par ailleurs, la carrière du Moural qui, bien que soumise à autorisation, a pour objet l'exploitation de terres argileuses et de graves, n'a ainsi aucun lien avec la carrière des Condamines, la simple proximité géographique n'étant pas suffisante pour établir un tel lien. Il s'en suit que le moyen tiré de l'absence d'étude des effets et inconvénients cumulés en violation des articles L. 122-1 et L. 122-3 du code de l'environnement doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'autorisation :
S'agissant du moyen tiré de l'insuffisance des capacité financières :
18. L'ordonnance du 26 janvier 2017 et en particulier les dispositions de l'article 15-1, ont prévu que les autorisations délivrées au titre de la législation sur les installations classées avant le 1er mars 2017 deviennent, à compter de cette date, des autorisations environnementales soumises au régime prévu par les articles L. 181-1 et suivants du code de 1'environnement. L'article L. 181-27 du code de l'environnement issu de cette ordonnance dispose que : " L'autorisation prend en compte les capacités techniques et financières que le pétitionnaire entend mettre en oeuvre, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-6-1 lors de la cessation d'activité ". L'article D. 181-15-2 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 18 septembre 2018, dispose que : " Lorsque l'autorisation environnementale concerne un projet relevant du 2° de l'article L. 181-1, le dossier de demande est complété dans les conditions suivantes. / I. - Le dossier est complété des pièces et éléments suivants : / (...) / 3 ° Une description des capacités techniques et financières mentionnées à l'article L. 181-27 dont le pétitionnaire dispose, ou, lorsque ces capacités ne sont pas constituées au dépôt de la demande d'autorisation, les modalités prévues pour les établir au plus tard à la mise en service de l'installation ". Ainsi, le pétitionnaire peut justifier de ses capacités techniques et financières au jour de la mise en service de l'installation.
19. Il résulte de l'instruction que la carrière en litige est en cours d'exploitation mais seulement sur le territoire de la commune de Trèbes. Au regard de l'acte de cautionnement prévu pour la remise en état du site mentionné au point 14, ce moyen ne pourra qu'être écarté.
S'agissant du moyen tiré de l'atteinte excessive aux intérêts des articles L. 511-1 et L. 110-1 du code de l'environnement :
20. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. / Les dispositions du présent titre sont également applicables aux exploitations de carrières au sens des articles L. 100-2 et L. 311-1 du code minier ". Aux termes de l'article L. 110-1 du même code : " I. -I. - Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d'usage. / Les processus biologiques, les sols et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine. (...) / II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. (...) ".
21. Les requérants ne sauraient utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui se bornent à énoncer des principes dont la portée a vocation à être définie dans le cadre d'autres lois.
22. Il résulte de l'instruction et plus particulièrement de l'étude paysagère produite au dossier qu'il n'existe pas de covisibilité entre le projet en litige et le site du Canal du Midi. Les parcelles du site sont localisées en rive gauche de l'Aude et du Canal du Midi, au nord de la RD 610 et constituées de parcelles de vignes et de céréales, sans toutefois faire partie de l'aire de production viticole AOC des communes de Trèbes et de Rustiques. Cette étude précise que l'impact visuel depuis les abords immédiats et notamment depuis la RD 610 est fort. Néanmoins, elle prévoit des mesures de réduction des effets paysagers et visuels du projet dont l'encaissement de la zone technique d'environ 4 mètres sous le niveau du terrain naturel. Les stocks ne dépassant pas 3 mètres de haut, ils ne seront pas visibles du terrain naturel avoisinant. Des merlons de terre enherbés de 1,5 mètres de haut permettront également de réduire cet impact visuel tout en limitant l'envol des poussières le long de la RD 610. Dans le même but, sont prévus une rangée d'oliviers plantée sur une partie des pourtours de la zone technique, ainsi que des plantations de bosquets arbustifs et arborés au niveau de la zone d'accès de la plateforme depuis la RD 610 et de la zone de passage du tombereau ainsi que la densification de la ripisylve en limite sud de la zone d'extraction. En outre, selon cette étude, du fait de la présence de haies de cyprès et de peupliers autours des habitations et bâtiment du domaine de la Grave, la perception du projet sera très limitée. Par ailleurs, seuls trois engins seront utilisés sur la carrière et le trafic sera limité à un seul camion qui effectuera 25 rotations par jour entre la carrière et le site de Millegrand. L'installation des Condamines ne comportera pas de local et aucun produit n'y sera stocké. En termes de bruit, l'étude d'impact précise que l'exploitation de la carrière et ses effets cumulés n'entraîneront pas d'émergences sonores supérieures à la réglementation de son voisinage et que l'impact sonore du site restera limité. L'impact des émissions de poussière sera également limité en raison de l'organisation de la carrière qui prévoit que les activités d'extraction seront effectuées à un niveau plus bas que celui des terrains avoisinants. L'article 4 de l'arrêté contesté prévoit, en outre, des mesures permettant d'éviter l'émission et la propagation des poussières. Ainsi, les pistes de circulation et d'évacuation des matériaux seront recouvertes dès le début de l'exploitation d'un enrobé. Des asperseurs seront installés sur les zones de roulage afin de limiter l'envol des poussières. Les véhicules circulant dans l'établissement seront systématiquement bachés. Enfin, le décapage des terres, l'extraction et la mise en stock ne seront réalisés que pendant la période d'octobre à mars. Par suite, le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave ne sont pas fondés à soutenir que l'autorisation contestée porte une atteinte excessive au cadre de vie et à la préservation des paysages, en méconnaissance de l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
S'agissant du moyen tiré de l'incompatibilité de l'installation de la carrière en cause dans une zone d'urbanisme dédiée à l'agriculture :
23. En vertu du premier alinéa de l'article L. 123-5 du code de l'urbanisme dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté, devenu son article L. 152-1, le règlement et les documents graphiques du plan d'occupation des sols ou du plan local d'urbanisme qui lui a succédé sont opposables à l'ouverture des installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan. Il en résulte que les prescriptions de celui-ci qui déterminent les conditions d'utilisation et d'occupation des sols et les natures d'activités interdites ou limitées s'imposent aux autorisations d'exploiter délivrées au titre de la législation des installations classées.
24. Il résulte de l'article L. 600-12 du même code que la déclaration d'illégalité d'un document d'urbanisme a, au même titre que son annulation pour excès de pouvoir, pour effet de remettre en vigueur le document d'urbanisme immédiatement antérieur et, le cas échéant, en l'absence d'un tel document, les règles générales d'urbanisme rendues alors applicables, en particulier celles de l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme. Dès lors, il peut être utilement soutenu devant le juge qu'une autorisation d'exploiter une installation classée a été délivrée sous l'empire d'un document d'urbanisme illégal, sous réserve, en ce qui concerne les vices de forme ou de procédure, des dispositions de l'article L. 600-1 du même code, à la condition que le requérant fasse en outre valoir que l'autorisation méconnaît les dispositions d'urbanisme pertinentes remises en vigueur du fait de la constatation de cette illégalité et, le cas échéant, de celle du document remis en vigueur.
25. Le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave soutiennent de manière suffisamment précise pour la première fois en appel que, la modification du plan local d'urbanisme de la commune de Rustiques ayant été annulée et le règlement antérieur remis en vigueur prévoyant une zone A dédiée uniquement aux activités agricoles, il était impossible de créer et une carrière dans cette zone. Il résulte de l'instruction que par un jugement du 28 juin 2017 du tribunal administratif de Montpellier confirmé par arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 29 mai 2018, la délibération du 17 novembre 2014 du conseil municipal de la commune de Rustiques approuvant la modification du plan local d'urbanisme visant à créer, en zone A, un secteur spécifique AC sur lequel était projetée une exploitation du sous-sol pour les carrières, avec extraction et stockage de matériaux sans traitement, a été annulée. Les dispositions du plan local d'urbanisme de la commune de Rustiques approuvées le 29 mai 2012 et remises en vigueur ne prévoyant pas la possibilité de l'ouverture d'une carrière dans une telle zone A, protégée en raison de son potentiel agricole au sens de ces dispositions et l'illégalité commise dans l'adoption de la modification du PLU le 17 novembre 2014 n'ayant pas été régularisée à la date du présent arrêt, ce moyen doit être accueilli.
26. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 décembre 2015 du préfet de l'Aude en tant qu'il autorise l'exploitation de la carrière sur le territoire de la commune de Rustiques.
Sur les frais liés au litige :
27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du syndicat viticole du cru Minervois et de la SCEA Château La Grave, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que la SAS Rivière demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par le syndicat viticole du cru Minervois et la SCEA Château La Grave et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 28 novembre 2017 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a rejeté la demande du syndicat viticole du cru Minervois et de la SCEA Château La Grave tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 décembre 2015 du préfet de l'Aude en tant qu'il autorise l'exploitation de la carrière par la société SAS Rivière sur le territoire de la commune de Rustiques, ensemble les dispositions concernées de cet arrêté, sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera au syndicat viticole du cru Minervois et à la SCEA Château La Grave une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du syndicat viticole du cru Minervois et de la SCEA Château La Grave et les conclusions de la SAS Rivière tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat viticole du cru Minervois, à la SCEA Château La Grave, à la SAS Rivière et à la ministre de la transition écologique et solidaire.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2020, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- Mme D..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 7 février 2020.
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N° 18MA00277
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