Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. I... A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 9 septembre 2019 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à l'expiration de ce délai et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale " dès la notification du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 1908340 du 9 décembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 décembre 2019, M. A... B..., représenté par Me H..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 9 septembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale ", dès la notification de l'arrêt à intervenir, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me H... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé car le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que le préfet ne pouvait lui opposer le défaut de contrat de travail visé par l'autorité compétente ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée de vice de procédure, faute de décision de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) se prononçant sur sa demande d'autorisation de travail ;
- il appartenait au préfet de statuer sur sa demande d'autorisation de travail et il ne pouvait sans erreur de droit rejeter sa demande de titre de séjour pour absence de contrat de travail visé ;
- en refusant de l'admettre au séjour, le préfet a fait une inexacte application du
7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- sa situation justifiant une admission exceptionnelle au séjour, la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
La requête de M. A... B... a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... Grimaud, rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Entré pour la première fois en France en 2011 selon ses déclarations, M. A... B..., né en 1968 et de nationalité tunisienne, a sollicité le 11 janvier 2018 une carte de séjour temporaire au titre de l'admission exceptionnelle au séjour. Par arrêté du 9 septembre 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de l'éloignement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
3. M. A... B... a invoqué devant le tribunal un moyen d'erreur de droit tiré de ce que le préfet, chargé d'examiner sa demande d'autorisation de travail dès lors qu'il résidait en France à la date de sa demande de titre de séjour, ne pouvait lui opposer le défaut de contrat de travail visé par l'autorité compétente. Le tribunal n'ayant pas répondu au moyen ainsi invoqué, qui n'est pas inopérant, il a entaché son jugement d'un défaut de motivation. Celui-ci doit donc être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. A... B....
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. En premier lieu, d'une part, aux termes des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an et renouvelable et portant la mention "salarié". ". L'article 11 du même accord précise que : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord.". Aux termes de l'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, la première délivrance de la carte de séjour temporaire et celle de la carte de séjour pluriannuelle mentionnée aux articles L. 313-20, L. 313-21, L. 313-23 et L. 313-24 sont subordonnées à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 311-1. (...) ".
6. D'autre part, en vertu des dispositions combinées du 6° de l'article R. 5221-3 et des articles R. 5221-11, R. 5221-15 et R. 5221-17 du code du travail, la demande d'autorisation de travail présentée pour un étranger qui est déjà présent sur le territoire national doit être adressée au préfet, autorité investie du pouvoir décisionnel, par l'employeur. Il en résulte que, dans l'hypothèse où les services de la préfecture ou les services chargés de l'emploi ont été saisis d'une telle demande, le préfet ne peut refuser l'admission au séjour de l'intéressé au motif que ce dernier ne produit pas d'autorisation de travail ou de contrat de travail visé par l'autorité compétente. En pareille hypothèse, il appartient en effet au préfet de faire instruire la demande d'autorisation de travail par ses services avant de statuer sur la demande d'admission au séjour.
7. Il résulte de ce qui précède que M. A... B... est fondé à soutenir que le préfet des Bouches-du-Rhône, à qui il appartenait de statuer sur la demande d'autorisation de travail présentée par son employeur, a commis une erreur de droit en lui opposant l'absence de contrat de travail visé par l'autorité administrative. Il ressort toutefois de la rédaction de la décision attaquée que le préfet des Bouches-du-Rhône s'est également fondé sur l'absence de détention d'un visa de long séjour, motif qui justifiait à lui seul le refus de titre de séjour en qualité de salarié opposé au requérant et dont il résulte de l'instruction qu'il aurait conduit le préfet à édicter la même décision s'il avait pris en compte ce seul motif. Il en résulte que l'erreur de droit entachant ainsi l'un des motifs de la décision attaquée est sans incidence sur le sort à réserver aux conclusions à fin d'annulation présentées par le requérant.
8. En deuxième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté serait intervenu au terme d'une procédure irrégulière, faute pour le préfet d'avoir instruit, ou fait instruire par les services de la DIRECCTE la demande d'autorisation de travail présentée par M. A... B... ne peut qu'être écarté dès lors qu'il était loisible à cette autorité de rejeter la demande du requérant au seul motif qu'il était dépourvu de visa de long séjour.
9. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
10. Il ressort des pièces du dossier qu'une partie de la famille de M. A... B... réside en France et que ses parents y ont également habité durant longtemps, avant d'y décéder. Le requérant y a par ailleurs travaillé pendant près de trois ans. Toutefois, les pièces dont il se prévaut ne démontrent qu'une présence ponctuelle en France au cours des années 2014 à 2016 et une insertion limitée dans la société française, alors qu'il a vécu jusqu'à l'âge de trente-trois ans au moins en Tunisie, pays où résident, selon l'arrêté attaqué, qui n'est nullement contesté sur ce point, son épouse et ses enfants. Dans ces conditions, M. A... B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris et les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions et stipulations précitées doivent, dès lors, être écartés, de même que celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qui entacherait l'exercice, par cette autorité, de son pouvoir exceptionnel de régularisation.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 9 septembre 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... B..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être également rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique s'opposent à ce que la somme réclamée par M. A... B... sur leur fondement soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1908340 du tribunal administratif de Marseille du 9 décembre 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me H....
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2020, où siégeaient :
- Mme C... F..., présidente de la Cour,
- Mme E... G..., présidente assesseure,
- M. D... Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 juin 2020.
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N° 19MA05633
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