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16/06/2020 | FRANCE | N°17MA05030

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 16 juin 2020, 17MA05030


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les arrêtés du

2 novembre 2017 par lesquels le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné son transfert aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1708820 du 7 novembre 2017, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 décembre 2017, M.

F... C..., représenté par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les arrêtés du

2 novembre 2017 par lesquels le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné son transfert aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1708820 du 7 novembre 2017, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 décembre 2017, M. F... C..., représenté par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 novembre 2017 ;

2°) d'annuler les décisions du préfet des Bouches-du-Rhône du 2 novembre 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile, ou à tout le moins de réexaminer sa demande dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais de justice.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier faute pour le premier juge d'avoir statué sur son moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de la décision de remise à l'Etat allemand, lequel n'est pas inopérant ;

- la décision a été rendue sans qu'il bénéficie, ainsi qu'il est prévu aux articles L.742-3 et L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, s'agissant de l'assistance d'un interprète dans une langue qu'il est susceptible de comprendre, puisque son interprète ne parle pas le français ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation manifeste des conséquences de son retour en Allemagne dès lors qu'il risque d'être renvoyé en Afghanistan, pays où le niveau de menace est très élevé ;

- la décision portant assignation à résidence doit être annulée en conséquence de l'annulation de la décision de son transfert.

La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; - le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., de nationalité afghane, né le 9 mars 1993, demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1708820 du 7 novembre 2017 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annuler les décisions du 2 novembre 2017 par lesquelles le préfet des Bouches-du-Rhône a prononcé sa remise aux autorités allemandes et l'a assigné à résidence.

2. Il ressort des pièces du dossier que le délai de six mois imparti à l'administration pour procéder au transfert de M. C... à compter de la décision d'acceptation des autorités allemandes a été interrompu par la présentation, le 4 novembre 2017, de la demande de l'intéressé devant le tribunal administratif de Marseille tendant à l'annulation de la décision de transfert en litige. Ce délai a recommencé à courir à compter de la date de la dernière notification du jugement par lequel le magistrat désigné a statué sur la demande, soit le 17 novembre 2017. L'exécution de la décision de transfert avant l'expiration du délai de six mois ne prive pas d'objet le recours tendant à son annulation. Il en résulte que malgré le transfert, le 5 février 2018, de

M. C... auprès des autorités allemandes, il y a toujours lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre l'arrêté de transfert du 2 novembre 2017 et contre l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Sur la régularité du jugement :

3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... avait demandé au tribunal de se prononcer, s'agissant de la décision de transfert en Allemagne, sur le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet des Bouches-du-Rhône sur les conséquences de son éventuel renvoi par les autorités allemandes en Afghanistan, pays où le niveau de menace est très élevé. Le premier juge n'a pas statué sur ce moyen. Dans cette mesure, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité et doit être annulé.

4. Il y a lieu, d'une part, dans cette même mesure, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. C... devant le tribunal administratif de Marseille et, d'autre part, de statuer, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, sur le surplus des conclusions du requérant.

Sur les conclusions d'annulation :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 742-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend ". L'article

L. 111-8 du même code dispose que : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article

L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger. "

6. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend en faire application doit se voir communiquer les principaux éléments de la décision dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. L'exigence de traduction éventuellement nécessaire constitue non une simple mesure d'exécution mais une garantie essentielle de la procédure conduisant à lui donner tous ses effets. Par suite, le défaut de cette garantie est de nature à affecter la légalité de la décision de transfert.

7. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté de transfert litigieux a été notifié en main propre à l'intéressé le 2 novembre 2017, par l'intermédiaire d'un interprète de nationalité afghane, M. E..., qui parle le pachtou (ou pachto) langue comprise par

M C.... M. C... soutient que ce même interprète en langue pachtou qui l'a assisté lors de son entretien individuel à l'occasion de sa demande d'asile, le 28 avril 2017, ne parlait pas le français et par suite, ne l'a pas valablement conseillé faute pour ledit interprète de comprendre lui-même la portée de la décision de transfert. Mais la circonstance que le procès-verbal de l'entretien individuel mentionne que l'intéressé a été également aidé par un interprète en anglais, et assisté de ce traducteur en pachtou, n'est pas de nature à établir, en l'absence de preuve contraire, que l'arrêté de transfert lui a été notifié dans des conditions qui n'ont pas été de nature à garantir ses droits. Dès lors, le moyen tiré de ce que le requérant aurait été privé des garanties prévues par les dispositions précitées au point 6, doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes du d) du 1 de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ". Aux termes du 1 de l'article 17 de ce règlement : " (...) chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Selon l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du même code : " (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ".

9. La décision contestée a seulement pour objet de renvoyer M. C... en Allemagne. Or, l'Allemagne est membre de l'Union Européenne et est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, l'intéressé n'établit pas ni même n'allègue que ces autorités ne procéderont pas, à sa requête ou même d'office, à une évaluation des risques de mauvais traitements auxquels il pourrait être exposé du fait de son éventuel retour en Afghanistan, à la lumière de ces derniers textes. Par suite, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas méconnu les dispositions précitées du règlement n° 604/2013 ni entaché sa décision d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. C... en décidant de transférer l'intéressé auprès des autorités allemandes.

10. Faute pour M. C... d'avoir démontré l'illégalité de l'arrêté de transfert, son moyen tiré d'une telle illégalité, invoqué par voie d'exception à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté l'assignant à résidence, doit être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à se plaindre que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code

de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. C... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1708820 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur le moyen de M. C... tiré de l'illégalité de la décision de transfert au motif de l'erreur manifeste d'appréciation du préfet des Bouches-du-Rhône quant à ses conséquences sur sa situation personnelle en cas de retour en Afghanistan.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. C... et sa demande devant le Tribunal sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2020, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 juin 2020.

N° 17MA05030 2

N° 17MA05030 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17MA05030
Date de la décision : 16/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : DJERMOUNE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-06-16;17ma05030 ?
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