Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société des autoroutes Esterel Côte d'Azur Provence Alpes (ESCOTA) a demandé au tribunal administratif de Toulon d'ordonner l'expulsion de M. E... D... et de tous occupants de son chef de la villa n° 1 située quartier Bonneval à Saint-Maximin et de le condamner à lui verser la somme de 8 700 euros à parfaire.
Par un jugement n° 1602327 du 15 février 2018, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à la demande d'expulsion et a condamné M. D... à verser à la société ESCOTA la somme de 18 700 euros au titre de l'occupation sans droit ni titre de cette villa entre le 1er avril 2016 et le 31 janvier 2018.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 13 avril 2018 et le 2 avril 2019, M. D..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 février 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société ESCOTA devant le tribunal administratif de Toulon comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;
3°) subsidiairement, de déduire de la somme réclamée par la société ESCOTA les provisions pour charges non décomptées, les réparations incombant au propriétaire et les acomptes versés dans le cadre de l'exécution forcée du jugement ;
4°) de mettre à la charge de la société ESCOTA la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'est pas occupant sans droit ni titre, il occupe le logement en cause en vertu de son contrat de travail et du contrat de concession conclu avec la société ESCOTA ;
- le litige concerne l'application d'actes sous seing privé et relève de la compétence des juridictions civiles ;
- la société ESCOTA n'établit pas que le logement en cause se trouve sur le domaine public ;
- il n'a pas été définitivement statué sur la validité de son licenciement et il peut donc obtenir sa réintégration ;
- la société n'a pas respecté les procédures de fixation de redevance d'occupation d'un logement de fonction sur le domaine public tel que prévu par le code général de la propriété des personnes publiques ;
- la créance de la société ESCOTA n'est pas certaine dans la mesure où, selon le contrat de travail, le logement est un avantage en nature ;
- le titre de créance de la société ESCOTA n'est pas un acte administratif mais un titre privé ne permettant pas au juge administratif de liquider les indemnités d'occupation réclamées ;
- la somme réclamée par la société est inexacte.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2018, la société ESCOTA, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête, demande à titre incident la condamnation de M. D... à lui verser, au titre de l'occupation sans droit ni titre entre le 1er mars 2016 et le 30 avril 2018, une somme de 22 950 euros, somme à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir, à hauteur de 950 euros par mois de retard à compter du 30 avril 2018, et demande que soit mise à la charge de M. D... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que la requête est irrecevable et, à titre subsidiaire, qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce qu'il résulte des dispositions de l'article L. 116-1 du code de la voirie routière que la juridiction administrative est incompétente pour prescrire l'expulsion d'un occupant sans titre lorsque l'occupation porte sur le domaine public routier ou ses dépendances et que le tribunal administratif de Toulon n'était ainsi pas compétent pour connaître de la demande en ce sens présentée devant lui par la société ESCOTA.
Par un mémoire, enregistré le 20 février 2020, la société ESCOTA a présenté des observations en réponse à cette information.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la voirie routière ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Une première audience publique s'est tenue le 21 février 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de la seconde audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant M. D..., et de Me A..., représentant la société ESCOTA.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... était employé par la société concessionnaire d'autoroutes ESCOTA et bénéficiait, aux termes des clauses de son contrat de travail, d'un logement de fonction en contrepartie de ses obligations professionnelles. Il a été licencié par son employeur avec effet au 29 février 2016. M. D... a sollicité auprès de la société ESCOTA une prorogation du bénéfice du logement pendant deux mois. Par conclusion d'un " protocole d'accord " entre les parties en date du 29 février 2016, la société a fait droit à cette demande, l'intéressé s'engageant à quitter les lieux définitivement au 30 avril 2016 et à s'acquitter de la somme de 850 euros pour chacun des mois de mars et avril 2016. Constatant le maintien dans les lieux postérieurement au 30 avril 2016 et le défaut de paiement des sommes dues au titre de l'occupation durant le dernier des deux mois prévus dans la convention du 29 février 2016, la société ESCOTA a saisi le tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant d'une part à ce que soit prononcée l'expulsion de M. D..., devenu occupant sans droit ni titre, et d'autre part à sa condamnation à lui verser les sommes dues au titre de l'occupation irrégulière des lieux. Ce dernier relève appel du jugement du 15 février 2018 par lequel le tribunal a ordonné son expulsion de la villa n° 1 sise quartier Bonneval à Saint-Maximin et l'a condamné à verser à la société la somme de 18 700 euros au titre de l'occupation sans droit ni titre de ce logement entre le 1er avril 2016 et le 31 janvier 2018.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ". Aux termes de l'article R. 811-13 du même code : " Sauf dispositions contraires prévues par le présent titre, l'introduction de l'instance devant le juge d'appel suit les règles relatives à l'introduction de l'instance de premier ressort définies au livre IV (...) ".
3. La requête d'appel de M. D..., qui était défendeur en première instance, est dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Toulon qui a fait droit à la demande d'expulsion présentée par la société ESCOTA et l'a condamné au paiement des sommes qu'elle réclamait à raison de l'occupation sans droit ni titre du logement en cause. Elle contient des moyens de nature à permettre au juge d'appel d'exercer son office. Elle satisfait ainsi aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement attaqué :
En ce qui concerne la demande d'expulsion présentée par la société ESCOTA :
4. Lorsque le juge administratif est saisi d'une demande tendant à l'expulsion d'un occupant d'une dépendance appartenant à une personne publique, il lui incombe, pour déterminer si la juridiction administrative est compétente pour se prononcer sur ces conclusions, de vérifier que cette dépendance relève du domaine public à la date à laquelle il statue. A cette fin, il lui appartient de rechercher si cette dépendance a été incorporée au domaine public, en vertu des règles applicables à la date de l'incorporation, et, si tel est le cas, de vérifier en outre qu'à la date à laquelle il se prononce, aucune disposition législative ou, au vu des éléments qui lui sont soumis, aucune décision prise par l'autorité compétente n'a procédé à son déclassement.
5. Aux termes de l'article L. 2331-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " I. - Sont portés devant la juridiction judiciaire les litiges relatifs à la répression des infractions à la police de la conservation du domaine public routier, conformément à l'article L. 116-1 du code de la voirie routière. (...) ". Aux termes de l'article L. 111-1 du code de la voirie routière : " Le domaine public routier comprend l'ensemble des biens du domaine public de l'Etat, des départements et des communes affectés aux besoins de la circulation terrestre, à l'exception des voies ferrées. ". Selon l'article L. 121-1 du même code : " Les voies du domaine public routier national sont : / 1° Les autoroutes ; / 2° Les routes nationales. (...) ". Et en vertu de l'article L. 116-1 de ce code : " La répression des infractions à la police de la conservation du domaine public routier est poursuivie devant la juridiction judiciaire sous réserve des questions préjudicielles relevant de la compétence de la juridiction administrative ". Il résulte de ces dispositions que la juridiction administrative est incompétente tant pour réprimer les infractions intéressant l'utilisation ou la conservation des voies publiques que pour prescrire l'expulsion d'un occupant sans titre lorsque l'occupation porte sur le domaine public routier ou ses dépendances, notamment sur les emprises autoroutières.
6. D'abord, il ressort des énonciations du cahier des charges annexé à la convention passée le 3 août 1982 entre l'Etat et la société ESCOTA pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation de plusieurs autoroutes, dont l'autoroute A8 entre Aix-Ouest (noeud A8/A51) et la frontière italienne, convention approuvée par décret en Conseil d'Etat et librement accessible, tout comme le cahier des charges, sur le site Légifrance dans sa version applicable au litige, plus particulièrement du point 2.2.1 de ce cahier des charges intitulé " biens de retour " que lesdits biens " se composent des terrains, bâtiments, ouvrages, installations et objets mobiliers nécessaires à l'exploitation de la concession telle qu'elle est définie par la convention de concession, par le présent cahier des charges et ses annexes, réalisés, acquis par le concessionnaire ou mis à disposition par l'autorité concédante ". Il ressort de ce même point 2.2.1 que " ces biens appartiennent à l'autorité concédante dès leur achèvement, acquisition ou mise à disposition. ".
7. Ensuite, il résulte de l'instruction que, par décision du 7 février 1983, le ministre des transports a approuvé la délimitation des emprises de l'autoroute A8 sur les communes d'Ollières et de Saint-Maximin, du point kilométrique 51,323 au point kilométrique 59,519, selon des plans annexés à cette décision. Il résulte de la consultation de ces plans, notamment celui ultérieurement approuvé en date du 27 mai 2019, que la villa n° 1 objet du litige est située dans une vaste zone qui était libellée, sur le plan initial joint à cette décision sur lequel ne figurait alors aucun aménagement, " centre d'entretien péage ". Il ressort expressément des énonciations tant de la décision précitée du 7 février 1983 que de celle du 27 mai 2019 du ministre de la transition écologique et solidaire approuvant la délimitation modificative des emprises de l'autoroute A8 sur la commune de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, à laquelle était joint le plan précité, que seuls les terrains situés en dehors des emprises ainsi matérialisées de l'autoroute, sont " reconnus inutiles à la concession ".
8. Eu égard, d'une part, à la spécificité du réseau autoroutier qui nécessite, afin d'assurer la continuité de la circulation et de bonnes conditions de sécurité et de commodité pour les usagers de ces axes de circulation à vitesse élevée, l'intervention en tous cas et en tous temps voire en urgence, sous régime d'astreintes, de personnels chargés d'opérations de maintenance et de surveillance du réseau, qui constitue un service public, d'autre part, à la configuration de la zone au sein de laquelle est située la villa en litige, que la société Escota avait contractuellement mis à la disposition de M. D... au titre de ses fonctions de " patrouilleur ", ladite zone se trouvant à proximité des voies de circulation autoroutière et bénéficiant d'une route d'accès direct vers ces voies pour former un ensemble indissociable, enfin à la destination que l'Etat a entendu donner à la totalité de l'emprise de la concession, révélée par les actes précités, cette zone, et donc la villa en cause, relèvent du domaine public routier national concédé.
9. Ainsi qu'il a été dit au point 5 ci-dessus, Il n'appartient qu'aux juridictions judiciaires de connaître d'une demande d'expulsion de ce type de domaine.
En ce qui concerne la demande indemnitaire présentée par la société ESCOTA :
10. L'occupation sans droit ni titre d'une dépendance du domaine public constitue une faute commise par l'occupant irrégulier et celui-ci doit réparer le dommage ainsi causé au gestionnaire du domaine par le versement d'une indemnité, calculée par référence, en l'absence de tarif applicable, au revenu, tenant compte des avantages de toute nature, qu'aurait pu produire l'occupation régulière de la dépendance en cause.
11. Par sa demande tendant à ce que M. D... soit condamné à lui verser les sommes qu'elle a arrêtées, la société ESCOTA a entendu voir réparer le préjudice qu'elle a subi résultant de la faute commise par celui-ci en se maintenant dans la villa en cause postérieurement au 30 avril 2016 alors qu'il était à cette date dépourvu de titre. Compte tenu de ce qui a été dit au point 8 ci-dessus, cette demande a trait à la réparation d'un préjudice causé au domaine public routier à la suite d'une infraction intéressant son utilisation ou sa conservation et se rattache par conséquent au contentieux de la répression des infractions à la police de la conservation de ce domaine. En conséquence, ainsi qu'il a été dit au point 5 ci-dessus, la juridiction administrative est incompétente pour connaître de ce litige.
12. Par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur les exceptions d'incompétence de la juridiction administrative soulevées par M. D..., il y a lieu d'annuler le jugement du 15 février 2018 du tribunal administratif de Toulon aussi bien en tant qu'il a statué sur la demande de la société ESCOTA tendant à l'expulsion de M. D... du logement qu'il occupait sur le domaine public autoroutier, qu'en tant qu'il a statué sur la demande indemnitaire présentée par cette société et, statuant par voie d'évocation, de rejeter ces demandes comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Sur les conclusions incidentes de la société ESCOTA :
13. Eu égard à ce qui a été dit au point précédent, il y lieu de rejeter les conclusions incidentes de la société ESCOTA par lesquelles elle demande d'actualiser le montant de la condamnation prononcée par le tribunal.
Sur les frais liés au litige :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société ESCOTA la somme que M. D... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article font par ailleurs obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par la société ESCOTA soit mise à la charge de M. D..., qui n'est pas la partie perdante.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 15 février 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société ESCOTA devant le tribunal administratif de Toulon tendant à l'expulsion de M. D... et de tous occupants de son chef de la villa n° 1 située quartier Bonneval à Saint-Maximin et celle tendant à la condamnation de l'intéressé à lui verser les sommes par elle fixées sont rejetées comme étant présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et le surplus des conclusions de la société ESCOTA sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et à la société des autoroutes Esterel, Côte d'Azur, Provence, Alpes (ESCOTA).
Délibéré après l'audience du 5 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président-assesseur,
- M. Coutier, premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 juin 2020.
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N° 18MA01642
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