Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'agence régionale de santé Occitanie à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts assortie des intérêts au taux légal.
Par un jugement n° 1600543 du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 4 mai 2018, le 23 octobre 2019 et
10 juillet 2020, Mme C... D..., représentée par l'association Alain Ottan - Marina Ottan, avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 6 avril 2018 ;
2°) de condamner l'agence régionale de santé Occitanie à lui verser la somme de
50 000 euros à titre de dommages et intérêts assortie des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge de l'agence régionale de Santé Occitanie la somme de
4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a fait l'objet d'une agression lors de l'entretien professionnel du 4 avril 2014 qui s'assimile à un accident du travail, à partir duquel elle a subi une situation caractérisée de harcèlement moral ;
- son employeur a commis une faute dans le traitement de sa situation professionnelle.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 25 septembre 2019 et 14 octobre 2019, l'agence régionale de Santé Occitanie, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête, et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme D... la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'agence soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Un avis d'audience du 18 juin 2020 a inscrit une première fois au rôle du 7 juillet 2020 à 10h00 la requête de Mme D....
Un avis du 15 juillet 2020 renvoie l'audience de la requête de Mme D... à une date ultérieure.
Par ordonnance du 15 juillet 2020, l'instruction de la requête de Mme D... a été rouverte.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a été recrutée par l'agence régionale de santé (ARS),
Languedoc-Roussillon devenue ARS Occitanie, par un contrat à durée déterminée conclu
le 21 février 2013 pour une durée de trois ans à compter du 1er mars 2013, pour occuper un
poste de catégorie A en qualité de " référent VIH, IST, hépatites et addictions ". Elle fait
appel du jugement n° 1600543 du 6 avril 2018 du tribunal administratif de Montpellier
qui a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l'ARS Occitanie à lui verser une
somme de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'agissements de harcèlement moral et en raison de fautes qu'elle estime avoir été commises dans la gestion de sa situation professionnelle.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne le harcèlement moral :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".
3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établi, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
5. Mme D... soutient que le 4 avril 2014, elle a subi une agression verbale ayant entraînée un accident de service suivie de vexations diverses, l'ensemble de ces faits étant constitutif de harcèlement moral.
6. Premièrement, il résulte de l'instruction que, le 4 avril 2014, Mme D... a eu un entretien portant sur ses aptitudes professionnelles avec son supérieur hiérarchique, le directeur de la santé publique et de l'environnement, en présence de la directrice adjointe de cette direction et de la coordinatrice de l'unité de prévention et de promotion de la santé, au cours duquel il lui a été annoncé la décharge des missions " VIH, IST et hépatites ", le maintien de la mission " addictions " et l'adjonction de l'animation territoriale dans le cadre du contrat local de santé de Quillan. La mise en cause de ses compétences d'une manière qui a été vécue par l'intéressée comme très fortement dévalorisante, a provoqué chez elle une décompensation psychique qui a été reconnue comme un accident imputable au service par un arrêté du
27 mars 2015. Il est constant qu'au cours de cet échange, le directeur a directement mis en cause l'intéressée en lui disant : " vous n'êtes pas bonne ". Ces propos, tenus par un chef de service dans le cadre de ses fonctions, n'ont cependant pas été réitérés. Ainsi, cette mise en cause verbale isolée qui a provoqué un choc psychologique chez Mme D... constitue une circonstance particulière qui ne caractérise pas, à elle seule, un comportement vexatoire et de discrimination persistant de la part de sa hiérarchie.
7. Deuxièmement, d'une part, il résulte de l'instruction que la requérante a été placée en arrêt de travail pour maladie du 14 avril 2014 au 14 décembre 2014. Si, par note de service du
17 novembre 2014, le responsable des ressources humaines a lancé un avis de candidature pour reprendre la mission " addictions " qui faisait partie du poste de l'intéressée, cette dernière n'est pas fondée à soutenir que cette initiative visait à l'isoler du service puisque cette mission devait nécessairement être assurée durant son absence, et exigeait ainsi la nomination d'un nouveau titulaire. Par ailleurs, l'ancien poste de l'intéressée sera partagé par la suite entre deux agents, ce qui démontre son caractère sensible, la mission référent addiction étant confiée au 2 février 2015 à un agent titulaire, et celle de responsable VIH IST " hépatites " étant attribuée à un agent contractuel. Enfin, si l'intéressée fait valoir que c'est à tort que la direction de l'agence l'a écartée de son poste initial à son retour de maladie, il ressort des éléments du dossier que son état fragile imposait de l'affecter à une autre mission, ce qui est attesté par sa reprise du travail en
mi-temps thérapeutique à 50% jusqu'au 25 octobre 2015, puis à 70% à compter du
26 octobre 2015. En raison d'une rechute de l'état séquellaire lié à l'accident du travail du
4 avril 2014, l'intéressée a d'ailleurs été placée en congé maladie du 12 novembre 2015 au
12 février 2016, puis a repris son activité à temps partiel thérapeutique à 70%. Cette gestion de la situation professionnelle de l'intéressée n'est pas davantage de nature à caractériser un harcèlement moral.
8. D'autre part, à son retour de congé maladie, Mme D... a été affectée au pôle des soins de premier secours de la direction de l'offre de soins et de l'autonomie. Si Mme D... soutient que ce poste ne correspond pas à son niveau de qualification de cadre A, elle n'apporte aucun élément au soutien de son argumentation. Par ailleurs, si elle fait valoir des conditions dégradées de travail en raison de l'absence d'un bureau personnel, il résulte de l'instruction que la pénurie de bureaux était une situation généralisée au service des soins de premiers secours, et que le seul bureau disponible existant étant isolé de tout environnement professionnel, sa hiérarchie ne le lui a pas attribué eu égard à son état psychique fragile. Pour regrettables qu'elles soient, les conditions matérielles compliquées dans lesquelles l'intéressée a repris son activité ne révèlent pas une volonté systématique de lui nuire de la part de sa hiérarchie.
9. Troisièmement, il résulte de l'instruction que plusieurs postes ont été proposés à l'intéressée, qui en a refusé un auquel elle trouvait intérêt au motif qu'il se situait dans le Gard et non au siège à Montpellier, ce qui constituait pour elle une gêne, et qui a également refusé un autre poste de " chargé de la politique de la ville ", considéré par elle comme relevant de la catégorie B, bien que classé par son administration au niveau d'un emploi de cadre A. Elle a par la suite accepté le poste de " chargé de missions aux politiques territoriales au sein du pôle études et prospectives en santé ". Dans ces conditions, Mme D... n'est fondée à soutenir, ni qu'elle a " été mise au placard ", ni qu'elle a été isolée et discriminée au sein de l'agence.
10. Quatrièmement, Mme D... a été affectée au 1er octobre 2015 au poste de " chargé de missions politiques territoriales " mais a rechuté par la suite en maladie pour une période de trois mois suivie d'un temps partiel thérapeutique à 70% jusqu'à la fin de son contrat. La circonstance que son contrat qui se terminait en février 2016 n'a pas été renouvelé ne constitue pas en elle-même une violence psychologique dès lors que l'intéressée n'avait aucun droit acquis à ce renouvellement. Par ailleurs, si elle fait valoir une mise en cause fallacieuse de sa manière de servir, comme il a été déjà dit, elle ne l'établit pas en faisant valoir que malgré sa demande elle n'a pas été réintégrée dans ses fonctions antérieures, ou qu'elle n'a pas fait l'objet d'entretiens d'évaluations pour les années 2014 et 2015, alors qu'elle a été durant de longues périodes en arrêt maladie.
11. Il résulte de ce qui précède que les éléments avancés par Mme D..., pris isolément ou dans leur ensemble, ne permettent pas de laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral. Par voie de conséquence, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions indemnitaires fondées sur le harcèlement moral dont elle estime avoir été victime.
En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité de l'agence régionale de santé pour faute :
12. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 3 novembre 2015, Mme D... a sollicité le bénéfice des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 à raison de ces mêmes faits de harcèlement moral. Il résulte de ce qui vient d'être dit qu'elle n'apporte pas d'éléments permettant de présumer l'existence d'un tel comportement de la part de sa hiérarchie. Par suite, en rejetant implicitement sa demande de protection fonctionnelle, l'Agence n'a commis aucune faute.
13. La soudaineté et le caractère excessif de l'échange verbal du 4 avril 2014 par le supérieur hiérarchique de Mme D..., qui demeure isolé, ne constitue pas une faute de nature à elle seule à engager la responsabilité de l'administration. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à demander une somme en réparation de son préjudice moral constitué par cet évènement.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Montpellier a considéré qu'en l'absence de toute illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'agence, les conclusions indemnitaires de l'intéressée devaient être rejetées.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'agence régionale de santé Occitanie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande Mme D... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme D... la somme demandée par l'agence au titre des frais de justice.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'agence régionale de santé Occitanie présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et à l'agence régionale de santé Occitanie.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 septembre 2020.
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N° 18MA02120