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10/11/2020 | FRANCE | N°18MA03410

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 9ème chambre, 10 novembre 2020, 18MA03410


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 25 novembre 2016 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial présentée au bénéfice de sa fille et d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône à titre principal, de faire droit à sa demande, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation sous condition de délai et d'astreinte.

Par le jugement n° 1703166 du 19 juin 2018, le tribunal administratif de Marseille a a

nnulé la décision du 25 novembre 2016 du préfet des Bouches-du-Rhône et a enjoint au ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 25 novembre 2016 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial présentée au bénéfice de sa fille et d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône à titre principal, de faire droit à sa demande, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation sous condition de délai et d'astreinte.

Par le jugement n° 1703166 du 19 juin 2018, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 25 novembre 2016 du préfet des Bouches-du-Rhône et a enjoint au préfet de délivrer à Mme B... l'autorisation de regroupement familial sollicitée, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 juillet 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 juin 2018 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de rejeter la demande de Mme B....

Il soutient que :

- la décision en litige ne méconnaît pas l'intérêt supérieur de l'enfant de Mme B... au sens de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- en tout état de cause, cet article 3-1 ne peut pas être invoqué à l'appui d'une demande d'annulation d'une décision administrative régie par les lois françaises ;

- le signataire de la décision en litige est compétent ;

- la décision en litige est suffisamment motivée ;

- les ressources de Mme B... ne sont ni stables ni suffisantes au sens de l'article 4 de l'accord franco-algérien ;

- ce refus ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 octobre 2018, Mme B..., représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mise à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 2 500 euros, qui sera versée à Me C... en contrepartie de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Elle fait valoir que :

- la décision en litige méconnaît l'intérêt supérieur de son enfant au sens de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- par l'effet dévolutif, cette décision est insuffisamment motivée ;

- elle justifie de ressources suffisantes ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 14 décembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les observations de Me C..., représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., de nationalité algérienne, est entrée en France le 6 janvier 2004 et y séjourne sous couvert d'une carte de séjour valable pendant dix ans jusqu'au 10 janvier 2027. Elle a demandé le 15 mars 2016 au préfet des Bouches-du-Rhône le bénéfice du regroupement familial au profit de sa fille mineure A..., née le 13 novembre 2000, de nationalité algérienne. Par décision en litige du 25 novembre 2016, le préfet a rejeté sa demande au motif que Mme B... ne remplissait pas les conditions de ressources suffisantes sur la période de référence telles qu'exigées par l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Saisi à sa demande, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 25 novembre 2016 du préfet des Bouches-du-Rhône et a enjoint au préfet de délivrer à Mme B... l'autorisation de regroupement familial sollicitée, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement. Le préfet des Bouches-du-Rhône relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Pour annuler la décision en litige, les premiers juges ont estimé que le refus de regroupement familial en litige méconnaissait l'intérêt supérieur de la fille mineure A... au sens de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

3. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations que, dans son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Ces stipulations sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation. Contrairement à ce que soutient le préfet des Bouches-du-Rhône, ces stipulations peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours en excès de pouvoir.

4. L'intérêt d'un enfant mineur au sens des stipulations de la convention relative aux droits de l'enfant est, en principe, de vivre auprès de ses parents. Ainsi, dans le cas où est demandé le regroupement familial en vue de permettre à un enfant mineur, qui ne vit pas auprès de l'un de ses parents dans son pays d'origine, de rejoindre en France, son ou ses parents y séjournant régulièrement depuis au moins dix-huit mois ainsi que les autres membres de sa fratrie, l'autorisation de regroupement familial ne peut, en règle générale, être refusée pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès d'autres personnes dans ce pays. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, l'autorité administrative peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de cet enfant en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement de ses parents, contraires à son intérêt.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a obtenu la garde de sa fille née le 13 novembre 2000 par jugement du tribunal algérien d'Annaba du 15 octobre 2002 et qu'elle a obtenu la tutelle légale sur sa fille par jugement du 28 janvier 2015 du même tribunal. Il est établi que le père de l'enfant, dont Mme B... a divorcé par jugement du 29 janvier 2002, n'a jamais vécu avec son enfant et n'a contribué ni à son entretien, ni à son éducation, ce que ne conteste d'ailleurs pas le préfet. La fille de Mme B... a d'abord vécu chez sa grand-mère en Algérie jusqu'en 2014, puis elle a été hébergée dans plusieurs familles en Algérie et vit actuellement chez une amie de sa mère. Si le préfet soutient que l'enfant, âgée de seize ans à la date de la décision en litige, n'a pas vécu avec sa mère depuis son plus jeune âge dès lors que A... n'était âgée que de trois ans lorsque Mme B... est entrée en France le 6 janvier 2004 et que l'enfant A... a ainsi nécessairement construit ses attaches en Algérie sans sa mère, cette circonstance ne permet pas par elle-même d'établir que l'intérêt de l'enfant serait de demeurer auprès de sa grand-mère, de sa tante et d'autres proches en Algérie qui pourraient selon le préfet continuer à la prendre en charge, alors qu'il ressort au surplus des certificats médicaux versés à l'instance que l'enfant souffre de sa séparation avec sa mère. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a subvenu dans la mesure de ses moyens aux besoins de sa fille pendant leur séparation par l'envoi de mandats cash et qu'elle s'est rendue en Algérie pour voir sa fille. Eu égard au relatif isolement de l'enfant et à l'instabilité de ses conditions d'hébergement en Algérie, son intérêt supérieur est de vivre auprès de sa mère.

6. En revanche, le préfet peut utilement soutenir que les conditions d'accueil de cet enfant en France seraient contraires à son intérêt. Il ressort du rapport de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 13 octobre 2016 que Mme B... dispose d'un logement conforme pour accueillir sa fille. Si le préfet indique dans la décision en litige que les revenus de 1 245 euros brut par mois, inférieurs au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), de Mme B..., employée en qualité d'aide à domicile auprès d'une association, ne permettraient pas d'accueillir l'enfant dans des conditions conformes à son intérêt, il ressort des bulletins de salaire de juin 2015 à juin 2016, soit sur la période de douze mois précédant sa demande de regroupement familial, ainsi que des attestations de paiement des indemnités journalières pour la période de juin 2015 à mai 2016, que la moyenne des ressources de Mme B... sur la période de référence est supérieure au SMIC. En tout état de cause, lorsque l'intéressé ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille, le préfet dispose néanmoins d'un pouvoir d'appréciation de la situation personnelle et familiale du demandeur et n'est donc pas tenu par les conditions de ressources énoncées à l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, en particulier dans l'hypothèse où un éventuel refus opposé à la demande de regroupement familial porterait atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant. En outre, le contrat à durée déterminée de Mme B... a été transformé le 1er juillet 2016 en contrat à durée indéterminée. Dans ces conditions, Mme B... doit être regardée comme disposant de revenus stables et suffisants pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que la décision en litige méconnaissait l'intérêt supérieur de sa fille mineure garanti par l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.

7. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Bouches-du-Rhône n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé sa décision du 25 novembre 2016 et lui a enjoint de délivrer à Mme B... l'autorisation de regroupement familial sollicitée, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement attaqué.

Sur les frais liés au litige :

8. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'instance engagée.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du préfet des Bouches-du-Rhône est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me C..., la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme E... B... et à Me C....

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 27 octobre 2020, où siégeaient :

- M. Chazan, président de chambre,

- Mme Simon, président assesseur,

- Mme D..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 10 novembre 2020.

2

N° 18MA03410


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA03410
Date de la décision : 10/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Règles de procédure contentieuse spéciales.


Composition du Tribunal
Président : M. CHAZAN
Rapporteur ?: Mme Marie-Claude CARASSIC
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : SEDDAIU

Origine de la décision
Date de l'import : 21/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-11-10;18ma03410 ?
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