Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. H... et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner SNCF Réseau à leur verser la somme de 615 000 euros au titre du préjudice financier résultant de la perte de valeur vénale de leur propriété causée par le projet de création d'une ligne ferroviaire à grande vitesse et la somme de 50 000 euros au titre de leur préjudice moral à raison de l'anxiété liée à la dépréciation anormale de leur bien immobilier.
Par jugement n° 1601782 du 21 février 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 avril 2019, M. J... et Mme F... C..., représentés par Me B..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 février 2019 du tribunal administratif de Toulon ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme globale de 665 000 euros au titre des préjudices financier et moral résultant de la perte de valeur vénale de leur propriété causée par le projet de création d'une ligne ferroviaire à grande vitesse.
3°) de mettre à la charge de SNCF Réseau le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier faute d'avoir joint les deux requêtes indemnitaires qui ont respectivement été présentées contre l'Etat et contre SNCF Réseau ;
- le jugement ne répond pas à l'ensemble des arguments présentés :
- leur maison était située au milieu des fuseaux C2 et C4 de la ligne à grande vitesse (LGV) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur parmi d'autres options de tracé, notamment le C5, présentés lors d'une réunion de concertation publique ; le fuseau C4 a été retenu le 26 décembre 2011 par le comité de pilotage comme lieu de passage du tracé du train rapide ; cette situation a eu pour effet de dévaloriser le bien qu'ils n'ont pas réussi à céder malgré plusieurs baisses de prix, car le tracé de la LGV n'a jamais été avalisé officiellement ; cette incertitude a entrainé une désaffection des acquéreurs potentiels pour leur maison ;
- la responsabilité de SNCF Réseau est engagée en raison de la diffusion de renseignements confidentiels et internes qui ont été portés à la connaissance du public et qui leur ont porté préjudice par une impossibilité de vendre leur maison à son juste prix ;
- la responsabilité sans faute de SNCF Réseau est engagée alors même que l'ouvrage en cause n'était qu'à l'état de projet ;
- les indemnités sollicitées de 615 000 euros et de 50 000 euros sont justifiées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 décembre 2019, SNCF Réseau, représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête, et à ce qu'il soit mis à la charge des requérants la somme de 3 000 euros au titre des frais de justice.
SNCF Réseau soutient que les moyens des requérants sont infondés.
Une ordonnance du 5 juin 2020 a clos l'instruction au 5 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. D...,
- les observations de Me B..., représentant M. H... et Mme C..., et de Me E..., substituant Me G..., représentant SNCF Réseau.
Considérant ce qui suit :
1. M. H... et Mme C... ont acquis en 2006 une maison d'habitation située dans la commune du Beausset pour un montant de 875 000 euros. Ils exposent avoir cherché à revendre ce bien dès 2010 au prix de 1 200 000 euros, en raison de leur situation financière dégradée. Cette intention aurait, selon eux, été contrariée par le projet de construction de la ligne à grande vitesse (LGV) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) prévue à proximité de leur propriété, ce qui a entraîné une perte significative de la valeur de leur bien immobilier. Sur demande d'un créancier bancaire, ce bien a finalement été cédé au terme d'une procédure de saisie immobilière par adjudication, le 9 octobre 2014, au prix de 350 000 euros. M. H... et Mme C... relèvent appel du jugement n° 1601782 du 21 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur requête tendant à faire condamner SNCF Réseau à leur verser une somme de 615 000 euros au titre du préjudice matériel et financier, ainsi qu'une somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral, qu'ils estiment avoir subis à raison de la dépréciation anormale de leur bien immobilier.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La faculté de joindre plusieurs requêtes constitue un pouvoir propre du juge. Par suite, le moyen tiré de ce que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas joint les requêtes indemnitaires respectivement présentées contre l'Etat et contre SNCF Réseau, ne peut être utilement invoqué pour contester la régularité du jugement attaqué.
3. Le tribunal, qui n'avait pas obligation de répondre à l'ensemble des arguments présentés par les requérants, a répondu, par une motivation suffisante, au moyen tiré de la responsabilité sans faute de SNCF Réseau à raison du dommage de travaux publics lié à l'ouvrage en cause, et à celui tiré de l'engagement pour faute de la responsabilité de SNCF Réseau.
Sur le principe de la responsabilité :
En ce qui concerne l'acceptation du risque :
4. Il résulte de l'instruction que M. H... et Mme C... ont acquis leur bien immobilier le 7 août 2006, postérieurement à l'engagement du projet de LGV dont l'élaboration est envisagée dès les années 1990 par l'Etat, dont la mise en oeuvre a débuté en 2004, et qui a donné lieu à un débat public qui s'est tenu du 21 février 2005 au 8 juillet 2005, dont le bilan a été publié le 20 juillet 2005. Eu égard au retentissement de cette opération dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, les requérants ne peuvent raisonnablement pas soutenir qu'ils n'étaient pas informés à la date de leur achat de cette opération de très vaste portée. Dès lors que les intéressés avaient une connaissance antérieure de l'éventualité que la ligne passe par la commune du Beausset, et à travers les différentes hypothèses de tracé, d'empiéter sur leur propriété, ils doivent être regardés comme ayant été alertés de l'existence de ce risque et comme l'ayant accepté.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute pour dommage de travaux publics :
5. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Les personnes mises en cause doivent alors, pour dégager leur responsabilité, établir que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse utilement être invoqué le fait du tiers. La victime doit toutefois apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'elle allègue avoir subis, et de l'existence d'un lien de causalité entre cet ouvrage et lesdits préjudices, qui doivent en outre présenter un caractère anormal et spécial.
6. Il est constant que le projet de LGV n'existe qu'à l'état de projet. Par voie de conséquence, M. H... et Mme C... ne sont pas fondés à se plaindre de la perte de la valeur vénale de leur bien immobilier non du fait de l'existence d'un ouvrage public mais en raison du seul projet de sa réalisation.
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
7. Les requérants soutiennent que la responsabilité de SNCF Réseau serait engagée au motif que des documents " internes et confidentiels " à la société portant sur le projet de la LGV, notamment un document intitulé " C 40 ", ont été mis en ligne de manière inopportune, ont contribué à accroître la connaissance par le public de cette opération, et par suite, ont eu pour effet de dévaloriser la valeur de leur bien immobilier, et de dissuader des acheteurs potentiels de leur bien. Toutefois, il est constant que cette opération a fait l'objet d'une large communication officielle et médiatique, et que, comme l'indiquent eux-mêmes les intéressés, de nombreuses manifestations d'opposition à ce projet ont encore renforcé sa médiatisation. Au surplus, il n'est pas contesté que le 26 décembre 2011, le comité de pilotage validait le tracé par le fuseau C4 passant par leur propriété, décision qui a été rendue publique. Enfin, la seule diffusion du document " C 40 ", qui est un document de travail de l'équipe porteuse du projet dont les requérants ont parlé avec un responsable de l'établissement public, ne peut constituer à elle seule un manquement de SNCF Réseau. Par suite, et en tout état de cause, les requérants ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de SNCF Réseau pour une faute au titre d'une méconnaissance des règles de confidentialité lors de l'élaboration du projet de LGV.
8. Il résulte de ce qui précède, que M. H... et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur requête.
Sur les frais liés au litige:
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chacune des parties la charge des frais d'instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. H... et de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de SNCF Réseau présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. I..., à Mme F... C... et à SNCF Réseau.
Copie en sera adressée au préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
N° 19MA01680 2