Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... E... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner solidairement le centre hospitalier (CH) de Bastia et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à payer à Mme E... une somme globale de 151 669,39 euros et à M. C... une somme de 10 000 euros, en réparation des conséquences dommageables de la prise en charge médicale dont Mme E... a fait l'objet à la suite de l'accident dont elle a été victime le 30 juillet 2012.
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône, agissant pour le compte de la CPAM de l'Isère, a demandé la condamnation du CH de Bastia à lui verser une somme de 177 558,21 euros ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n° 1700665 du 29 mai 2019, le tribunal administratif de Bastia a solidairement condamné le CH de Bastia et la SHAM à verser à Mme E... une somme de 92 140,12 euros, sous déduction de la provision versée, à la CPAM du Rhône une somme de 177 567,21 euros au titre des débours et de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, a mis à la charge du CH de Bastia les frais d'expertise ainsi qu'une somme de 1 500 euros au profit de Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 1er août, 2 septembre et 25 novembre 2019, le CH de Bastia et la SHAM, représentés par Me G..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 29 mai 2019 en tant qu'ils les a solidairement condamnés à verser à Mme E... une somme de 92 140,12 euros, à la CPAM du Rhône une somme de 177 567,21 euros au titre des débours et de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et a mis à la charge du CH de Bastia les frais d'expertise ainsi qu'une somme de 1 500 euros au profit de Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter les demandes présentées par Mme E..., M. C... et la CPAM du Rhône devant le tribunal.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- une nouvelle expertise est nécessaire ;
- le fait d'avoir différé l'ablation du plâtre de Mme E... de plusieurs heures n'est pas constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement de soins ;
- en toute hypothèse, les complications subies par Mme E... ne trouvent pas leur cause directe dans cette faute et l'infection qui en aurait résulté ;
- à titre subsidiaire, les premiers juges ont fait une évaluation exagérée des préjudices subis par Mme E... au titre des souffrances endurées, du déficit fonctionnel permanent et du préjudice esthétique permanent.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 octobre 2019, la CPAM du Rhône, agissant pour le compte de la CPAM de l'Isère, représentée par Me H..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge des requérants d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le CH de Bastia et la SHAM ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense enregistrés les 28 octobre et 18 novembre 2019, Mme E... et M. C..., représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête du CH de Bastia et de la SHAM ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Bastia du 29 mai 2019 en tant, d'une part, qu'il a limité l'indemnité que le CH de Bastia et la SHAM ont été solidairement condamnés à verser à Mme E... à la somme de 92 140,12 euros et de porter le montant de cette indemnité à la somme de 166 629,39 euros et, d'autre part, en tant qu'il a rejeté la demande indemnitaire de M. C..., dont le préjudice moral doit être indemnisé à hauteur de la somme de 10 000 euros ;
3°) de mettre à la charge du CH de Bastia et de la SHAM une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés par le CH de Bastia et la SHAM ne sont pas fondés ;
- Mme E... a droit à l'indemnisation de ses dépenses de santé futures, de l'incidence professionnelle et du préjudice d'agrément ;
- elle a droit à une meilleure indemnisation de l'assistance pour tierce personne actuelle, des frais d'assistance à expertise, des pertes de gains professionnels actuels, du déficit fonctionnel temporaire, du déficit fonctionnel permanent, des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire ;
- elle a également subi, du fait du défaut d'information, un préjudice d'impréparation qui doit être indemnisé par l'allocation d'une somme de 15 000 euros ;
- M. C... a droit à la réparation de son préjudice moral.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 6117 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur des moyens relevés d'office tirés de :
- l'irrecevabilité de la demande de Mme E... en tant qu'elle excède le montant demandé devant le tribunal dès lors que, si la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, elle n'est pas recevable à invoquer des chefs de préjudice ne se rattachant pas au même fait générateur ou à majorer ses prétentions en appel en l'absence d'aggravation du dommage ou de révélation de celui-ci dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque ;
- et de l'irrecevabilité des conclusions présentées par M. C... par la voie de l'appel incident tendant à la réformation du jugement, d'une part, en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire, dès lors que ces conclusions soulèvent un litige distinct de celui dont le centre hospitalier et la SHAM ont saisi la Cour et ont été présentées après l'expiration du délai de recours contentieux, et, d'autre part, en ce qu'il a limité l'indemnisation de Mme E..., dès lors que M. C... ne présente pas de qualité pour agir à l'encontre de cette partie du jugement qui ne concerne que Mme E....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme I...,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., représentant le CH de Bastia et la SHAM.
Considérant ce qui suit :
1. Le CH de Bastia et la SHAM relèvent appel du jugement du 29 mai 2019 en tant que le tribunal administratif de Bastia les a solidairement condamnés à verser à Mme E... une somme de 92 140,12 euros, sous déduction de la provision de 5 800 euros versée en exécution de l'ordonnance du 3 août 2017 du juge des référés du même tribunal, à la CPAM du Rhône une somme de 177 567,21 euros au titre des débours et de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et a mis à la charge du CH de Bastia les frais d'expertise ainsi qu'une somme de 1 500 euros au profit de Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la voie de l'appel incident, Mme E... et M. C... demandent une meilleure indemnisation des préjudices subis par Mme E... et l'indemnisation du préjudice moral de M. C....
Sur la recevabilité des conclusions incidentes présentées par Mme E... en tant qu'elles excédent le montant sollicité devant le tribunal et par M. C... concernant son préjudice moral :
2. D'une part, si la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, elle n'est pas recevable à invoquer des chefs de préjudice ne se rattachant pas au même fait générateur ou à majorer ses prétentions en appel en l'absence d'aggravation du dommage ou de révélation de celui-ci dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. La majoration des prétentions de Mme E... en appel n'est pas recevable en l'absence d'aggravation du dommage ou de révélation de celui-ci dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.
3. D'autre part, les conclusions présentées au titre du préjudice moral de M. C..., qui soulèvent un litige distinct de celui dont le centre hospitalier et la SHAM ont saisi la Cour et ont été présentées après l'expiration du délai de recours contentieux, constituent un appel principal tardif et doivent pour ce motif être rejetées.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué, soulevé par le centre hospitalier et la SHAM dans leur mémoire introductif d'instance et non repris dans leurs écritures ultérieures, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit, pour ce motif, être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) ".
6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Bastia, que Mme E... a été prise en charge le 30 juillet 2012 pour une fracture fermée du quart inférieur de la jambe gauche par le CH de Bastia où a été réalisée le 31 juillet 2012 une ostéosynthèse par vis et plaque sur le péroné et le tibia, suivie de la mise en place d'une contention, et qu'elle a développé dans les suites post-opératoires un syndrome des loges avec des lésions nécrosantes et une infection qui ont nécessité différentes interventions chirurgicales pour une aponévrotomie, l'ablation du matériel d'ostéosynthèse avec pose d'un fixateur externe et greffe de lambeau, l'ablation du fixateur externe et la réduction de la rétractation des tendons fléchisseurs des orteils. Toutefois, l'état du dossier ne permet à la Cour ni de connaître l'origine précise de l'infection, ni de déterminer, compte tenu en particulier de la nature et de l'importance de la fracture présentée par Mme E... et de l'existence d'un risque de syndrome des loges et de nécrose associé à une telle fracture en l'absence même de tout abord chirurgical, dans quelle mesure les éventuelles fautes commises par le centre hospitalier concernant notamment la pose d'une contention et le délai relatif à l'enlèvement de celle-ci ou à la réalisation d'une intervention chirurgicale de décharge du syndrome des loges, ou aux deux, ont causé l'entier préjudice ou ont fait perdre à la victime une chance de guérison en l'absence, notamment, d'information précise sur le taux de perte de chance dans son cas particulier. Par suite, il y a lieu, avant de statuer sur les droits à réparation de Mme E..., d'ordonner une expertise sur ces points dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.
D É C I D E :
Article 1er : Les conclusions incidentes présentées par Mme E... en tant qu'elles excèdent la somme globale de 151 669,39 euros demandée devant le tribunal et par M. C... concernant son préjudice moral sont rejetées.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions du centre hospitalier et de la SHAM ainsi que, le cas échéant, le surplus des conclusions de Mme E..., procédé par un expert, désigné par la présidente de la Cour, à une expertise en présence de Mme E..., du CH de Bastia, de la SHAM et de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, avec pour mission de :
1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme E... et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins et aux diagnostics pratiqués sur elle et les précédentes expertises réalisées ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen sur pièces du dossier médical de Mme E... ;
2°) décrire exhaustivement la prise en charge de Mme E... par le CH de Bastia, donner son avis sur la conformité de cette prise en charge aux bonnes pratiques médicales et sur la ou les causes du syndrome des loges dont Mme E... a été victime, en précisant, en particulier :
- d'une part, si et dans quelle mesure les éventuels manquements du centre hospitalier de Bastia relatifs à la pose d'une contention et au délai relatif à l'enlèvement de celle-ci ou à la réalisation d'une intervention chirurgicale de décharge du syndrome des loges, ou aux deux, ont causé l'entier préjudice ou ont fait perdre à Mme E... une chance de guérison, en apportant alors une information précise sur le taux (pourcentage) de perte de chance dans son cas particulier,
- d'autre part, la nature et l'origine de l'infection, en indiquant notamment si elle présente un lien avec la prise en charge du syndrome des loges, et, le cas échéant, dans quelle mesure elle a contribué à l'aggravation du préjudice subi par Mme E... ;
3°) préciser si la patiente a été informée des risques de syndrome des loges et d'infection attachés à la réalisation d'une ostéosynthèse du membre inférieur et, le cas échéant, les conséquences d'un tel défaut d'information ;
4°) de fournir toutes précisions complémentaires que l'expert jugera utile à la solution du litige.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 6212 à R. 62114 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la Cour dans sa décision le désignant.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Bastia, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à Mme B... E..., à M. A... C..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 20 mai 2021, où siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente de la cour,
- Mme I..., présidente assesseure,
- M. Sanson, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juin 2021.
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N° 19MA03623
kp