Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 26 avril 2018 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a rejeté son recours gracieux formé contre la décision du 19 février 2018 en tant qu'elle met à sa charge les contributions spéciales et forfaitaires pour l'emploi de M. C..., de M. A... et de M. F..., ainsi que la contribution spéciale pour l'emploi de M. E....
Par un jugement n° 1803034 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 19 décembre 2019, 6 avril et 31 juillet 2020 sous le n° 19MA05570, M. D..., représenté par Me Coupard, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 22 octobre 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 26 avril 2018 en tant qu'elle met à sa charge les contributions spéciales et forfaitaires pour l'emploi de M. C..., de M. A... et de M. F..., ainsi que la contribution spéciale pour l'emploi de M. E... ;
3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- la décision contestée a méconnu le principe du contradictoire, les droits de la défense et l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il n'a pas été mis à même de demander la communication du procès-verbal ;
- il était de bonne foi dès lors que M. C... et M. A... ont présenté des faux titres de séjour ;
- il ne pouvait lui être opposé la circulaire du 4 juillet 2007 qui est dépourvue de valeur réglementaire et seulement adressée aux préfets ;
- M. E... bénéficiait, à la date de son embauche en 2015, d'un titre de séjour mention " étudiant " l'autorisant à travailler à titre accessoire ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation concernant la situation de M. E... qui ne faisait pas partie de son personnel en 2016 ;
- il a apporté la preuve de la situation régulière de M. F... lequel était un étudiant bénéficiant d'un titre de séjour marocain et d'une carte d'identité italienne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2020, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête de M. D... et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux,
- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., gérant d'une entreprise de vente ambulante sur les plages, a fait l'objet le 3 août 2017 d'un contrôle par les services de police de l'Hérault. A la suite de ce contrôle, par une décision du 19 février 2018, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge les sommes de 49 560 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi irrégulier de 7 travailleurs et de 12 744 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile concernant 6 travailleurs démunis de titre de séjour. M. D... a formé un recours gracieux le 17 avril 2018 qui a été rejeté par une décision du 26 avril 2018. Il relève appel du jugement du 22 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 26 avril 2018 en tant qu'elle met à sa charge les contributions spéciales et forfaitaires pour l'emploi de M. C..., de M. A... et de M. F..., ainsi que la contribution spéciale pour l'emploi de M. E.... M. D... doit être regardé comme demandant l'annulation des deux décisions des 19 février 2018 et 26 avril 2018.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les contributions spéciales et forfaitaires relatives à l'emploi de M. C..., de M. A... et de M. F... :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat et est au moins égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 et, en cas de réitération, à 25 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution (...) ". Aux termes de l'article L. 8271-17 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Outre les inspecteurs et contrôleurs du travail, les agents et officiers de police judiciaire, les agents de la direction générale des douanes sont compétents pour rechercher et constater, au moyen de procès-verbaux transmis directement au procureur de la République, les infractions aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger sans titre de travail et de l'article L. 8251-2 interdisant le recours aux services d'un employeur d'un étranger sans titre. " Aux termes de l'article R. 8253-6 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 et notifie sa décision à l'employeur ainsi que le titre de recouvrement ".
3. Si ni les articles L. 8253-1 et suivants du code du travail, ni l'article L. 8271-17 du même code ne prévoient expressément que le procès-verbal constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler en France, et fondant le versement de la contribution spéciale, soit communiqué au contrevenant, le respect du principe général des droits de la défense suppose, s'agissant des mesures à caractère de sanction, ainsi d'ailleurs que le précise désormais l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, entré en vigueur le 1er janvier 2016, que la personne en cause soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et mise à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus.
4. Il ne résulte de pas de l'instruction que l'OFII aurait informé M. D... de son droit à demander communication du procès-verbal du 3 août 2017, la lettre du 7 novembre 2017 l'informant qu'il dispose d'un délai de 15 jours pour faire valoir ses observations ne contenant aucune mention sur ce point. Par suite, la décision contestée en tant qu'elle concerne les contributions spéciales et forfaitaires mises à la charge du requérant pour l'emploi de M. C..., de M. A... et de M. F... est entachée d'un vice de procédure.
En ce qui concerne la contribution spéciale relative à l'emploi de M. E... :
5. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu celles de l'article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient également de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur.
6. Par ailleurs, l'emploi d'un travailleur étranger suppose l'existence d'un travail subordonné, lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements. Un tel emploi ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni, le cas échéant, de la dénomination qu'elles auraient pu donner à leur convention, mais seulement des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur étranger.
7. Pour prendre la décision contestée, l'OFII s'est fondé sur le procès-verbal qui indique que M. E... bénéficiait d'un titre de séjour mention " entrepreneur / profession libérale " ne lui permettant pas d'exercer une activité salariée mais l'autorisant à séjourner en France. Dans le procès-verbal du 3 août 2017, l'agent de police judiciaire y précise qu'il a été destinataire d'un courriel du service de l'admission au séjour de la préfecture de l'Hérault signalant l'embauche de cinq étrangers démunis d'autorisation de travail par M. D... et qu'après consultation du fichier des étrangers, il confirme le signalement de la préfecture. Toutefois, ce document ne fait nullement mention du nom de M. E.... Par ailleurs, dans un procès-verbal du 4 août 2017, l'agent de police judiciaire a relevé que " à la lecture de la liste des déclarations préalables à l'embauche de l'URSSAF, M. D... a effectué 134 déclarations de salariés entre le 10/08/2014 et le 04/08/2017 " et indiqué : " E... Alae né le 01/01/1987 déclaré le 7 août 2016 et titulaire d'un titre de séjour mention " entrepreneur / profession libérale " ne lui permettant pas d'exercer une activité salariée ". La liste des salariés annexée à ce procès-verbal mentionne pour M. E... deux dates d'embauche au 4 juillet 2015 ainsi qu'au 8 août 2016 et une déclaration le 7 août 2016. Toutefois, M. D... soutient qu'il a effectué la déclaration concernant ce travailleur en indiquant une date de prise d'effet du contrat au 8 août 2016, soit le lendemain de la déclaration préalable à l'embauche mais que l'intéressé a décliné sa proposition et n'a pas été mis en situation de travail pour l'année 2016. A l'appui de ses allégations, il produit un courrier du 14 janvier 2020 qui lui a été adressé par le centre TESE (service de l'URSSAF) attestant de ce que M. E... n'a pas travaillé dans son établissement en 2016, ainsi qu'une attestation fiscale et un bulletin de paie du mois de septembre 2016 établis par ce centre ne mentionnant aucune rémunération pour M. E... au titre de l'année 2016. Par suite et alors que les procès-verbaux n'ont pas été dressés sur le lieu de travail, il résulte de l'instruction que M. E... n'a exécuté aucun travail pour M. D... au titre de l'année 2016. Ainsi, l'OFII ne pouvait légalement mettre à la charge du requérant la contribution spéciale prévue par les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail pur l'emploi de M. E....
8. Il résulte de tout ce qui précède sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 19 février 2018 et 26 avril 2018 en tant qu'elles portent application des contributions spéciales et forfaitaires pour M. C..., M. A..., et M. F... et de la contribution spéciale pour M. E....
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l'Office français de l'immigration et de l'intégration demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 22 octobre 2019 et les décisions des 19 février 2018 et 26 avril 2018 de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en tant qu'elles mettent à la charge de M. D... les contributions spéciales et forfaitaires pour l'emploi de M. C..., de M. A..., de M. E... et de M. F... sont annulés.
Article 2 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 25 mars 2022, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- Mme Ciréfice, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 avril 2022.
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