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05/07/2022 | FRANCE | N°20MA01807

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 05 juillet 2022, 20MA01807


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Selarl Pharmacie des quatre chemins a demandé au tribunal administratif de Bastia, par deux requêtes enregistrées sous le n° 1801072 et le n° 1801073, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 741 000 euros en réparation du préjudice financier résultant de l'illégalité de la décision du 29 mai 2012 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé de Corse a autorisé le transfert de l'officine pharmaceutique exploitée par la Selarl Pharmasud, assortie des intérêts au taux l

gal à compter du 23 juillet 2018.

Par un jugement n° 1801072 et 1801073 du 6 mar...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Selarl Pharmacie des quatre chemins a demandé au tribunal administratif de Bastia, par deux requêtes enregistrées sous le n° 1801072 et le n° 1801073, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 741 000 euros en réparation du préjudice financier résultant de l'illégalité de la décision du 29 mai 2012 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé de Corse a autorisé le transfert de l'officine pharmaceutique exploitée par la Selarl Pharmasud, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2018.

Par un jugement n° 1801072 et 1801073 du 6 mars 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté les requêtes de la Selarl Pharmacie des quatre chemins, a mis à sa charge une somme de 1 500 euros à verser à l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la requête n° 1801072, et a rejeté le surplus des conclusions de l'agence régionale de santé (ARS) de Corse au titre des frais d'instance.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 mai et le 1er septembre 2020, la Selarl Pharmacie des quatre chemins, représentée par Me Job, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 6 mars 2020 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 741 000 euros en réparation du préjudice financier résultant de l'illégalité de la décision du 29 mai 2012 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé de Corse a autorisé le transfert de l'officine pharmaceutique exploitée par la Selarl Pharmasud, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens de l'instance ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la faute constituée par l'illégalité de la décision du 29 mai 2012 par laquelle le directeur général de l'ARS de Corse a autorisé la société Pharmasud à transférer son officine de pharmacie, qui a été confirmée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 21 août 2015, est de nature à engager la responsabilité de l'État ;

- ce transfert illégal d'officine a été à l'origine d'une baisse de son chiffre d'affaires du 24 décembre 2012, date à laquelle elle a acquis le fonds de commerce d'officine de pharmacie de la société Denfendini, Gallucci, Codaccioni, Mattei, au 10 mars 2014, date à laquelle la décision de transfert du 29 mai 2012 a été annulée par le tribunal administratif de Bastia ; son préjudice, lié à une perte de marge brute en raison de ce transfert, est estimé à 741 000 euros pour cette période ;

- ce préjudice lui est bien personnel dès lors que pendant la période d'ouverture illégale de l'officine exploitée par la société Pharmasud, elle a subi une baisse de fréquentation et donc une perte de marge ;

- il n'y a pas lieu de prendre en considération le prix d'achat du fonds de commerce qui lui a été cédé par la société Denfendini, Gallucci, Codaccioni, Mattei.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2020, l'agence régionale de santé de Corse, représentée par Me Boisneault, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'il soit porté une somme de 3 000 euros à la charge de la Selarl Pharmacie des quatre chemins, au titre des frais d'instance.

Elle soutient que les moyens de la Selarl Pharmacie des quatre chemins ne sont pas fondés.

La requête a été transmise au ministre des solidarités et de la santé qui n'a produit aucune écriture.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me Job, représentant la Selarl Pharmacie des Quatre Chemins.

Une note en délibéré, enregistrée le 23 juin 2022, a été présentée pour la Selarl Pharmacie des quatre chemins.

Considérant ce qui suit :

1. En 2007, la Selarl PHARMASUD a demandé le transfert de sa licence de pharmacie du centre-ville de Porto-Vecchio vers le quartier de La Poretta situé en périphérie de la ville. Par un jugement n° 0800411 du 4 juin 2009, le tribunal administratif de Bastia a rejeté le recours dirigé contre la décision du 21 février 2008 du ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, qui annule la décision du 3 novembre 2007 du préfet de la Corse-du-Sud qui autorisait le transfert sollicité. Par une décision du 8 octobre 2010, le directeur général de l'agence régionale de santé de Corse a autorisé une nouvelle fois le transfert de l'officine de pharmacie exploitée par la société Pharmasud dans le centre-ville de Porto-Vecchio dans un local situé dans le quartier de La Poretta, dans le nord du territoire communal. Sur demande de la SNC Defendini - Galucci - Codaccioni - Mattei et de ses associés à titre personnel, qui exploitent la pharmacie des Quatre Chemins située à moins d'un kilomètre du nouveau site d'implantation de l'officine de la société Pharmasud, cette décision a été annulée par le tribunal administratif de Bastia par un jugement n° 1100175 du 8 mars 2012, confirmé par un arrêt n° 12MA01434 du 28 mai 2013 de la présente Cour devenu définitif, au motif que le transfert de l'officine de la société Pharmasud ne permettait pas de répondre de façon optimale aux besoins en médicaments de la population résidant dans le quartier d'accueil, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique. Par jugement n° 1400707 du 12 mai 2016, le même tribunal a condamné l'agence régionale de santé de Corse à verser à la SNC Defendini - Galucci - Codaccioni - Mattei la somme de 431 000 euros en réparation du préjudice financier résultant de l'illégalité fautive de cette décision et a rejeté le surplus de la demande. Par un arrêt

n° 16MA02229 du 29 septembre 2017 de la présente Cour, saisie de l'appel du jugement du 12 mai 2016 précité, l'Etat a été condamné à payer à la SNC Defendini - Galucci - Codaccioni - Mattei la somme de 430 000 euros, en réparation du préjudice financier résultant de l'illégalité fautive de la décision du 8 octobre 2010 pour la période d'ouverture de l'officine de la Selarl Pharmasud comprise entre le 8 octobre 2010, date d'ouverture de l'officine, et le 29 mai 2012. Par un jugement n° 1200835 du 10 mars 2014, le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision du 29 mai 2012 par laquelle le directeur de l'agence régionale de Corse a de nouveau autorisé le transfert de l'officine de pharmacie de la Selarl Pharmasud et la décision implicite par laquelle le ministre de la santé a rejeté le recours hiérarchique de la SNC Defendini - Gallucci - Codaccioni - Mattéi, confirmé par un arrêt n°14MA01979 du 21 août 2015 de la présente Cour. La SELARL Pharmacie des quatre chemins a demandé au tribunal administratif de Bastia, par deux requêtes enregistrées sous le n° 1801072 et le n° 1801073, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 741 000 euros en réparation du préjudice financier résultant de l'illégalité de la décision du 29 mai 2012 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé de Corse a autorisé le transfert de l'officine pharmaceutique exploitée par la Selarl Pharmasud, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2018. La Pharmacie des quatre chemins relève appel du jugement du 6 mars 2020, par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté ses requêtes, a mis à sa charge une somme de 1 500 euros à verser à l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la requête n° 1801072, et a rejeté le surplus des conclusions de l'agence régionale de santé de Corse au titre des frais d'instance.

Sur les conclusions d'annulation :

2. L'illégalité d'une décision administrative constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. L'indemnisation d'un préjudice allégué est subordonnée à la démonstration, cumulativement de sa réalité et de son imputabilité directe et certaine à un agissement fautif de l'administration.

3. Ainsi qu'il a été dit au point 1, la juridiction administrative a définitivement reconnu l'illégalité de la décision du 29 mai 2012 autorisant le transfert de l'officine pharmaceutique exploitée par la SARL Pharmasud. Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

4. Il résulte de l'instruction que la SNC Defendini - Galucci - Codaccioni - Mattei s'est transformée fin 2012 en Selarl à la suite du départ à la retraite de l'un de ses associés et de l'arrivée d'une autre associée, pour devenir la Selarl Pharmacie des quatre chemins.

La SNC Defendini - Galucci - Codaccioni - Mattei a cédé le 20 décembre 2012 son fonds de commerce à la Selarl Pharmacie des quatre chemins, comprenant les mêmes associés à l'exception de l'un d'entre eux parti à la retraite et d'un nouveau pharmacien. La Selarl Pharmacie des quatre chemins fait valoir qu'elle exploite le même local que la SNC à laquelle elle a succédé, et que, compte tenu de l'identité des parties et des faits de la cause au regard de la procédure ayant abouti à l'illégalité de la décision du 29 mai 2012, elle est fondée à obtenir la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à hauteur de 741 000 euros, à raison de l'ouverture illégale au public de l'officine de la Selarl Pharmasud à compter du 29 mai 2012, date de la licence de transfert, jusqu'au 10 mars 2014, date de lecture du jugement n° 1200835 du tribunal administratif de Bastia. Toutefois, d'une part, il est constant que la société requérante a acquis le fonds de commerce pour la somme de 6 000 000 d'euros, valeur très nettement inférieure à au moins une année de chiffre d'affaires, qui est la norme s'agissant de ce type de transaction, et alors que les chiffres d'affaires de ladite officine sur les années 2010, 2011 et 2012 s'élèvent respectivement en hors taxes à 8 308 040, 8 846 596 et 8 601 665 euros. D'autre part, la Pharmacie des quatre chemins a acquis le fonds de commerce de la SNC Defendini - Galucci - Codaccioni - Mattei en connaissance de la situation de concurrence provoquée par la Selarl Pharmasud dès lors que l'acte de cession du fonds de commerce indique que " la présente cession a été négociée et acceptée en considération de l'évolution du contexte concurrentiel résultant du transfert d'une officine de pharmacie située au centre commercial géant Casino ". Dans ces conditions, la société requérante, qui a acquis le fonds de commerce en toute connaissance de cause, a sciemment acquiescé à la minoration de son chiffre d'affaires induit par la présence d'une pharmacie ayant obtenu le transfert de sa licence. Ainsi, elle doit être regardée comme ayant accepté les conséquences de la situation de concurrence créée par le transfert en cause, dont les pertes d'exploitation potentielles.

5. Il résulte de ce qui précède que la Selarl Pharmacie des quatre chemins n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du 6 mars 2020 qui rejette ses deux requêtes tendant à condamner l'Etat à lui verser une somme de 741 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la décision du 29 mai 2012 par laquelle le directeur de l'agence régionale de santé de Corse a autorisé la Selarl Pharmasud à transférer son officine de pharmacie.

Sur les dépens :

6. La présente instance n'a pas donné lieu à des dépens. Par suite, les conclusions présentées par la Selarl Pharmacie des quatre chemins doivent être rejetées.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Les conclusions de la Selarl Pharmacie des quatre chemins présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'affaire, les conclusions de l'agence régionale de santé de Corse présentées sur le même fondement à l'encontre de la Selarl Pharmacie des quatre chemins, doivent être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la Selarl Pharmacie des quatre chemins est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions de l'agence régionale de santé de Corse au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Selarl Pharmacie des quatre chemins, à l'agence régionale de santé de Corse et à la ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2022, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022.

N° 20MA018072


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA01807
Date de la décision : 05/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Absence ou existence du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL JTBB AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-07-05;20ma01807 ?
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