Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Immosud a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 ainsi que des intérêts de retard.
Par un jugement n° 1907871 du 23 mars 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 mai 2021, la SARL Immosud représentée par la SCP SAMH et Leperre, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 mars 2021 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige et des intérêts de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 670 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la taxe sur la valeur ajoutée, concernant les opérations de revente d'un terrain à bâtir, doit être calculée sur la marge, en application de l'article 268 du code général des impôts, alors même que ce terrain à bâtir, faisait partie, lors de son acquisition, avant les divisions parcellaires, d'un terrain comprenant une maison d'habitation ;
- c'est à tort que l'administration, qui ajoute à la loi, exige une stricte identité entre le bien acquis et le bien revendu au regard de ses caractéristiques physiques et juridiques, l'article 392 de la directive n° 2006/112/CE ne prévoit d'ailleurs pas une absence de transformation de l'immeuble entre le rachat et la revente pour que la taxe sur la valeur ajoutée soit applicable ;
- pour justifier sa position, l'administration ne peut se prévaloir de sa doctrine administrative référencée BOI-TVA-IMM-10-10-10-40 dans les prévisions de laquelle elle n'entre pas ;
- deux divisions parcellaires ont été régulièrement effectuées préalablement à l'acquisition des deux biens immobiliers situés à A... et à B... ;
- l'interprétation du service est contraire au principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut à titre principal, au rejet de la requête et à titre subsidiaire, à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente des arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne concernant le régime de la taxe sur la valeur ajoutée calculée sur la marge.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'arrêt C-299/20 de la Cour de justice de l'Union européenne du 30 septembre 2021 ;
- l'ordonnance C-191/21 de la Cour de justice de l'Union européenne du 10 février 2022 ;
- la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Immosud, qui exerce une activité de marchand de biens, a procédé le 29 avril 2014 à la cession d'un terrain à bâtir, situé sur le territoire de la commune de A..., résultant de la division d'une parcelle unique sur laquelle était édifiée, à la date de l'acquisition, une maison d'habitation. Elle a également cédé le 6 novembre 2015 et le 24 novembre 2015, deux terrains à bâtir, situés sur le territoire de la commune de B..., cadastrés BI 244 et BI 245 résultant de la division d'une parcelle unique sur laquelle était édifiée, à la date de l'acquisition, une maison d'habitation. Elle a appliqué à ces cessions de terrains le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge. A l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a estimé que les ventes de ces terrains ne pouvaient pas relever de ce régime particulier de taxation sur la marge et aurait dû faire l'objet d'une taxation sur le prix total. Des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ont été ainsi mis à la charge de la requérante pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. La SARL Immosud relève appel du jugement du 23 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces rappels et intérêts de retard.
2. En premier lieu, le I de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable, issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2 du b de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.
3. L'article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les Etats membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction également issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (...), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / - soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain(...); / - soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués. ".
4. Il résulte de ces dernières dispositions, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d'assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, soit que le bâtiment qui y était édifié ait fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur soit que le bien acquis ait fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment. En outre, à une réponse à une question préjudicielle posées par le Conseil d'Etat dans sa décision n° 416727 du 25 juin 2020, la Cour de justice de l'Union européenne, dans un arrêt C-299/20 du 30 septembre 2021, rendu dans le cadre du régime de taxe sur la valeur immobilière applicable avant le 11 mars 2010, mais également applicable au régime actuel, est venue confirmer que l'article 392 de la directive de 2006 doit être interprété en ce sens qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des livraisons de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, notamment par l'effet d'une division parcellaire, des terrains à bâtir. Par une ordonnance n° C-191/21, en date du 10 février 2022, en réponse à une question préjudicielle posée par la Cour administrative d'appel de Lyon le 25 mars 2021, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé que le régime dérogatoire prévu à l'article 392 de la directive TVA s'applique aux seuls terrains à bâtir qui, définis comme tels par les Etats membres, sont achetés en vue de la revente et qu'ainsi l'application du régime de la taxation sur la marge suppose, en vertu de cet article 392, une identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu. Elle a ajouté qu'il s'agit dès lors de vérifier, en tenant compte des définitions prévues par la législation nationale et de toutes les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations en cause, si les biens acquis par le contribuable relèvent de la notion de " terrain à bâtir " au sens de l'article 12§3 de la directive TVA et, ainsi, du champ d'application de son article 392.
5. En l'espèce, il est constant que la SARL Immosud a acquis, par un acte authentique du 29 novembre 2013, une parcelle cadastrée AN 138, d'une superficie de 7 a 70 ca, comprenant une maison d'habitation et son terrain d'assiette situés à A.... La parcelle a par la suite été divisée en deux parcelles, cadastrées AN 509 d'une superficie de 4 a 74 ca et AN 510 d'une superficie de 2 a 91 ca, suivant un document d'arpentage établi le 10 janvier 2014. La parcelle AN 510 a été revendue comme terrain à bâtir, par acte notarié du 29 avril 2014, avec une taxe sur la valeur ajoutée sur la marge. Le 10 février 2014, elle s'est également livrée à l'acquisition, à hauteur de 50 %, d'une maison d'habitation avec terrain attenant, à B..., parcelle cadastrée BP 5. Cette parcelle BP 5 a fait l'objet d'une division parcellaire, suivant un document d'arpentage établi le 22 septembre 2015, pour constituer deux terrains à bâtir, référencés BP 116, d'une superficie de 5 a 16 ca, et BP 117, d'une superficie de 5 a, cédés respectivement le 6 novembre 2015 et le 24 novembre 2015, avec une taxe sur la valeur ajoutée sur la marge.
6. Il résulte ainsi de ce qui vient d'être dit que les terrains à bâtir cédés par la SARL Immosud faisaient partie, au moment de leur acquisition, avant les divisions parcellaires, d'une seule et même unité foncière supportant une maison d'habitation, et que ces terrains avaient donc, au moment de leur acquisition, la qualité d'immeuble bâti et non de terrain à bâtir. La circonstance que les divisions parcellaires dont procèdent les lots vendus à A... et B..., auraient été régulièrement autorisés, antérieurement à l'acquisition des biens, par une déclaration préalable accordée le 12 juin 2013 par le maire de A..., ainsi que par un permis d'aménager accordé le 18 juillet 2013 par le maire de B..., est sans incidence sur la qualification de ces terrains, dès lors qu'ils n'ont pas été acquis séparément par la société requérante. Par suite, cette dernière n'est pas fondée à soutenir qu'elle pouvait bénéficier du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge pour les ventes de ces terrains et c'est par une exacte application des dispositions précédemment mentionnées, et non en se fondant sur les énonciations de la doctrine administrative référencée BOI-TVA-IMM-10-10-10-40, que l'administration a estimé que l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée était constituée par le prix de cession.
7. En second lieu, le principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de taxe sur la valeur ajoutée s'oppose, d'une part, à ce que des livraisons de biens semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la taxe et, d'autre part, à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la taxe.
8. En l'espèce, la SARL Immosud estime que, si elle avait vendu après division parcellaire des biens qui étaient initialement des terrains à bâtir lors de leur acquisition, elle aurait pu bénéficier du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge. En tout état de cause, une telle situation, qui correspond au cas où le bien initialement acheté n'était pas bâti, est différente de celle en litige dans la présente instance pour laquelle les biens acquis comportaient une maison d'habitation et il ne résulte pas de l'instruction qu'il existerait une distorsion de concurrence à appliquer des régimes différents de taxe sur la valeur ajoutée pour ces opérations qui ne sont pas identiques.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que la SARL Immosud n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Immosud est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Immosud et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2022, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- Mme Carotenuto, première conseillère,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 septembre 2022.
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N° 21MA01919