Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 2 février 2023 par lequel le préfet des Alpes-de-Haute-Provence lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a accordé un délai de départ volontaire de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2302002 du 11 avril 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet des Alpes-de-Haute-Provence de procéder au réexamen de la situation de M. B..., en lui délivrant, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au conseil de l'intéressé sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 avril 2023, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence demande à la cour d'annuler les articles 1er à 3 de ce jugement.
Il soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable faute pour M. B... d'avoir produit un mémoire complémentaire dans un délai de quinze jours ;
- l'arrêté contesté a été signé par une autorité compétente, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge ;
- les moyens invoqués par M. B... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 juin 2023, M. B..., représenté par Me Cerf, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du préfet des Alpes-de-Haute-Provence et de confirmer le jugement attaqué ;
2°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-de-Haute-Provence de l'admettre au séjour au titre de l'asile et de lui délivrer un récépissé de demande d'asile, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de trente jours suivant la notification de l'arrêt à venir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, de la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- sa demande de première instance, qui n'était pas une demande sommaire contrairement à ce que soutient le préfet, était recevable ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation ;
- cette décision a été signée par une autorité incompétente, ainsi que l'a relevé le premier juge ;
- elle méconnaît le 1° de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation ;
- la décision fixant le pays de destination est dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la mesure d'éloignement ;
- elle méconnaît le 1° de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant interdiction de retour, qui est dépourvue de base légale, ne vise pas les articles L. 612-6 et L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le préfet n'a pas recherché l'existence de circonstances humanitaires.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mouret a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant turc né en 1997, a sollicité l'asile. Par une décision du 31 mai 2022, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'asile. La légalité de cette décision a été confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 10 janvier 2023. Par un arrêté du 2 février suivant, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a accordé un délai de départ volontaire de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet des Alpes-de-Haute-Provence relève appel du jugement du 11 avril 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté du 2 février 2023, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B... et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au conseil de l'intéressé sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Par une décision du 13 juillet 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions du requérant à fin d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article R. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente pour édicter la décision portant obligation de quitter le territoire français, la décision fixant le délai de départ volontaire et l'interdiction de retour sur le territoire français est le préfet de département (...) ". Selon l'article 43 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements : " Le préfet de département peut donner délégation de signature (...) : / 1° En toutes matières (...), au secrétaire général (...) ".
4. Pour annuler l'arrêté contesté du 2 février 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a relevé que si cet arrêté a, selon les mentions qui y figurent, été signé, pour le préfet des Alpes-de-Haute-Provence, par M. Paul-François Schira, secrétaire général de la préfecture, le préfet n'a pas produit l'arrêté de délégation de signature pertinent, ni justifié devant lui de la régularité de la publication de cet arrêté de délégation. Toutefois, il ressort des pièces qu'il produit pour la première fois en appel que, par un arrêté du 6 janvier 2023 régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a donné délégation à M. C... à l'effet de signer notamment tous les arrêtés et décisions relevant de l'exercice des attributions du représentant de l'Etat dans le département, à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions relevant de la police des étrangers. Par suite, c'est à tort que le premier juge a retenu le motif énoncé ci-dessus pour annuler l'arrêté du 2 février 2023.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... devant le tribunal administratif ainsi que devant la cour.
6. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée ".
7. Il ressort des pièces du dossier que la décision portant obligation de quitter le territoire français comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, elle est suffisamment motivée.
8. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet des Alpes-de-Haute-Provence n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B... avant de l'obliger à quitter le territoire français.
9. En troisième lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'impliquant pas, par elle-même, le renvoi de M. B... dans son pays d'origine, l'intéressé ne peut utilement invoquer, à l'encontre de cette mesure d'éloignement, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles sont relatives à la désignation du pays de renvoi. M. B... ne saurait davantage utilement se prévaloir de la méconnaissance des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, celle-ci n'ayant ni pour objet ni pour effet de le renvoyer dans son pays d'origine ainsi qu'il vient d'être dit.
10. En quatrième lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige a été prise sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à la suite du rejet de la demande d'asile de M. B.... Il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu des conditions du séjour en France de l'intéressé qui a déclaré être célibataire et sans charge de famille, que le préfet des Alpes-de-Haute-Provence aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement en litige sur la situation de M. B....
11. En cinquième lieu, M. B... n'est pas fondé à soutenir, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, que la décision fixant le pays de destination serait illégale du fait de l'illégalité de la mesure d'éloignement prise à son encontre.
12. En sixième lieu, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...) ". Selon l'article 3 de la même convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". L'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile (...). / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
13. M. B... n'établit pas, en se bornant à se prévaloir de ses origines ethniques et à évoquer son " appartenance présumée " au Parti des travailleurs du Kurdistan, que sa vie ou sa liberté seraient effectivement menacées en cas de retour dans son pays d'origine. La demande d'asile de l'intéressé a d'ailleurs été rejetée dans les conditions rappelées au point 1. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations et dispositions citées au point précédent ne saurait être accueilli.
14. En septième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour (...) ". Selon l'article L. 612-7 du même code : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour (...) ". Son article L. 612-8 dispose que : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et
L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ".
15. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que la décision portant interdiction de retour de M. B... sur le territoire français pour une durée d'un an a été prise sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et non sur celui des dispositions des articles L. 612-6 ou L. 612-7 du même code. Contrairement à ce qui est soutenu, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence n'était pas tenu de viser les dispositions de ces articles L. 612-6 et L. 612-7, ni de se prononcer sur l'existence d'éventuelles circonstances humanitaires au sens de ces dernières dispositions qui ne sont pas applicables à la situation de M. B.... Par suite, le moyen, au demeurant imprécis, tiré de ce que la décision portant interdiction de retour serait dépourvue de base légale ne saurait être accueilli.
16. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les articles 1er à 3 du jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a annulé son arrêté du 2 février 2023, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B..., de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au conseil de l'intéressé sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dès lors, il y a lieu d'annuler les articles 1er à 3 de ce jugement et de rejeter la demande de première instance de M. B.... Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction présentées par ce dernier devant la cour, ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... à fin d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Les articles 1er à 3 du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille du 11 avril 2023 sont annulés.
Article 3 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Marseille et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... B... ainsi qu'à Me Cerf.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-de-Haute-Provence et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Digne-les-Bains.
Délibéré après l'audience du 31 août 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Portail, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Mouret, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023.
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N° 23MA01029