Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Delta Beauté Distribution a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 mars 2016, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er avril 2015 au 31 mars 2016, ainsi que des majorations correspondantes.
Par un jugement no 2100956 du 28 février 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire récapitulatif, enregistrés le 25 avril 2023 et le 14 mai 2024, la SAS Delta Beauté Distribution, représentée par la SCP BBLM avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 février 2023 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et des majorations en litige ;
3°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à la charge de M. ...au titre de l'année 2016 ;
4°) de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucun débat contradictoire n'a eu lieu au cours de la réunion de synthèse, dès lors que le montant de la rectification réalisée est supérieur à celui annoncé au cours de cette réunion ;
- l'administration l'a induite en erreur sur la nature des investigations réalisées, en méconnaissance du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales ;
- sa comptabilité a été écartée à tort concernant l'exercice 2016 ;
- le service a retenu des prix unitaires d'achat erronés ;
- M. A... B... n'avait pas la qualité du maître de l'affaire ;
- les majorations sont injustifiées par voie de conséquence.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 octobre 2023, le 14 mars et le 25 juin 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Delta Beauté Distribution ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à la décharge de l'imposition d'un tiers.
Un mémoire a été enregistré en réponse à cette mesure d'information le 15 mai 2024 pour le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mérenne,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Strella, représentant la SAS Delta Beauté Distribution.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Delta Beauté Distribution, qui exerce une activité de commerce de gros de produits de beauté et de matériels d'esthétique et de coiffure, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a écarté sa comptabilité et reconstitué son chiffre d'affaires pour les exercices 2015 et 2016. Par une proposition du 17 décembre 2018, l'administration a mis à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre de l'exercice clos le 31 mars 2016, et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er avril 2015 au 31 mars 2016. Elle fait appel du jugement du 28 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions, ainsi que des majorations afférentes.
Sur l'irrecevabilité des conclusions relatives à l'imposition de M. B... :
2. La SAS Delta Beauté Distribution a la qualité de tiers à l'égard des impositions supplémentaires mises à la charge de M. B.... Elle est donc dépourvue d'intérêt à agir pour en demander la décharge, d'ailleurs pour la première fois en appel. Ces conclusions doivent être rejetées comme irrecevables.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. " Si ces dispositions ont pour conséquence que toute vérification de comptabilité doit en principe se dérouler dans les locaux de l'entreprise vérifiée, la vérification n'est toutefois pas nécessairement entachée d'irrégularité du seul fait qu'elle ne s'est pas déroulée dans ces locaux. Il en va ainsi lorsque, notamment, la comptabilité ne se trouve pas dans l'entreprise et que, d'un commun accord entre le vérificateur et les représentants de l'entreprise, les opérations de vérification se déroulent au lieu où se trouve la comptabilité, dès lors que cette circonstance ne fait, par elle-même, pas obstacle à ce que la possibilité d'engager avec le vérificateur un débat oral et contradictoire demeure offerte aux représentants de l'entreprise vérifiée. Dans cette hypothèse, il appartient au requérant d'apporter la preuve que l'entreprise a été privée des garanties ayant pour objet d'assurer aux contribuables la possibilité d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur.
4. Le vérificateur a rencontré le représentant de la SAS Delta Beauté Diffusion à une douzaine de reprises au siège de la société, dont, en dernier lieu, lors d'une réunion de synthèse qui s'est tenue le 10 décembre 2018. La société était à même de faire part de ses observations lors de ces rencontres. Elle a donc bénéficié de la possibilité d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur. Contrairement à ce que soutient la société requérante, la tenue de ce débat oral n'imposait pas la remise préalable d'un fichier informatique de synthèse élaboré par l'administration. En outre, l'absence de conformité de la rectification notifiée aux indications données par le vérificateur à l'issue du contrôle, et l'absence d'évocation de la discordance entre le montant des ventes présentées dans les fichiers et les ventes comptabilisées, au cours des réunions des 7 septembre et 11 octobre 2018, ne sont en tout état de cause pas de nature à établir que le vérificateur ne se serait pas prêté au débat oral et contradictoire auquel il était tenu.
5. D'autre part, aux termes du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige : " En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : / a) Les agents de l'administration peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable ; / b) Celui-ci peut effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. Dans ce cas, après, le cas échéant, la remise des copies prévue au second alinéa du présent b, l'administration précise par écrit au contribuable, ou à un mandataire désigné à cet effet, les travaux à réaliser ainsi que le délai accordé pour les effectuer. (...) / c) Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. Il met alors à la disposition de l'administration, dans les quinze jours suivant la formalisation par écrit de son choix, les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que le vérificateur qui envisage un traitement informatique sur une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés est tenu d'indiquer au contribuable, au plus tard au moment où il décide de procéder au traitement, par écrit et de manière suffisamment précise, la nature des investigations qu'il souhaite effectuer, c'est-à-dire les données sur lesquelles il entend faire porter ses recherches ainsi que l'objet de ces investigations, afin de permettre au contribuable de choisir en toute connaissance de cause entre les trois options offertes par ces dispositions. Le vérificateur n'est, à cet égard et conformément aux dispositions du b du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, tenu de préciser au contribuable la description technique des travaux informatiques à réaliser en vue de la mise en œuvre de ces investigations que si celui-ci a fait ensuite le choix d'effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification.
7. L'administration a informé la SAS Delta Beauté Distribution, par une lettre du 21 juin 2018 comportant dix-sept pages et trois annexes, qu'elle entendait faire porter ses recherches sur les données relatives à la facturation, aux achats, à la valorisation des stocks et à la comptabilité matière, et que ces investigations avaient pour objet, en vue de procéder au contrôle de la taxe sur la valeur ajoutée collectée, de la taxe sur la valeur ajoutée déductible, des acquisitions intracommunautaires, du chiffre d'affaires déclaré et de la vérification de la correcte quantification de chaque article dans les achats, les ventes, et les inventaires des stocks pour l'ensemble de la période vérifiée. Par suite, le vérificateur a indiqué les données sur lesquelles il envisageait de conduire ses investigations et l'objet de celles-ci, sans qu'il ait eu à indiquer, dès ce stade, qu'il envisageait de procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de la société. Ces informations permettaient à la SAS Delta Beauté Sistribution d'effectuer un choix éclairé entre les trois options qui lui étaient ouvertes par les dispositions du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, ce qui lui a permis de mettre à disposition de l'administration fiscale le 30 juillet 2018 la copie des fichiers informatiques. La société ayant été correctement informée des possibilités qui lui étaient ainsi offertes, la procédure suivie ne saurait être considérée comme irrégulière.
Sur le rejet de la comptabilité :
8. Pour rejeter la comptabilité de la SAS Delta Beauté Distribution, l'administration fiscale s'est fondée sur la différence entre le chiffre d'affaires inscrit en comptabilité, s'élevant à 5 476 534,84 euros pour l'exercice clos en 2016, et les données des ventes, s'élevant non à 5 437 020,17 euros, comme le soutient la société requérante, mais à 4 450 898,47 euros. L'administration, surtout, a retenu l'existence de nombreuses discordances entre les stocks, les achats et les ventes, ce qui n'est pas contesté. La société requérante ajoute d'ailleurs elle-même qu'une partie des opérations, relative aux ventes réalisées sur internet, n'était pas comptabilisée. Par ailleurs, elle s'est abstenue de communiquer à l'administration les données du logiciel de facturation " Swing Business ", enregistrant les commandes des clients. Ces éléments, auxquels s'ajoutaient d'autres anomalies relevées par le service, remettaient en cause la sincérité de la comptabilité de la SAS Delta Beauté Distribution et permettaient à l'administration de la rejeter à bon droit comme dépourvue de valeur probante.
Sur la reconstitution du chiffre d'affaires :
9. L'administration a procédé à la reconstitution des recettes de la SAS Delta Beauté Distribution à partir des quantités de ventes présumées non déclarées, déterminées par la différence entre les quantités en stock en début d'exercice et les achats au cours de l'exercice, d'une part, et les quantités en stock en fin d'exercice, les ventes comptabilisées, et le reliquat de commandes, d'autre part. Elle a évalué le montant de ces ventes en appliquant le prix le plus élevé entre le prix d'achat, tel que figurant dans les inventaires de la société, et le prix d'achat unitaire moyen pondéré. Après avoir constaté que le taux réel de marge s'élevait à 25,39 % au titre de l'exercice clos en 2015 et 25,70 % au titre de l'exercice clos en 2016, elle a appliqué un taux de marge de 25 % aux ventes reconstituées pour déterminer le chiffre d'affaires omis.
10. En premier lieu, la SAS Delta Beauté Distribution fait valoir que les chiffres ne correspondent pas à ceux issus de son logiciel comptable. Cependant, la comptabilité de la société a, ainsi qu'il a été dit, été écartée à bon droit comme non probante. En outre, la société requérante ne prouve pas l'existence des erreurs alléguées en se bornant à produire des tableaux informatiques réalisés par ses propres soins.
11. En deuxième lieu, la SAS Delta Beauté Distribution fait valoir que les prix unitaires retenus par le service ne tiennent pas compte des remises et des offerts par les fournisseurs. Ainsi qu'il a été dit, les prix retenus par le service correspondent au prix le plus élevé entre le prix d'achat figurant dans les inventaires de la société et le prix d'achat unitaire moyen pondéré. La société requérante n'établit pas que les prix figurant dans son inventaire ne tiendraient pas compte des remises et offerts.
12. En troisième lieu, pour remettre en cause la reconstitution réalisée par le service, la société se réfère aux tableaux informatiques réalisés par ses propres soins, qui se fondent d'ailleurs sur les mêmes données que celles remises au service, mais substituent aux prix retenus par le service des prix unitaires " recalculés " selon une méthode dégagée pour les besoins de la cause. Une partie des prix d'achat à reconstituer en comptabilité sont alignés sur les prix de vente en postulant que la marge et le bénéfice imposable sont nuls - alors que le taux de marge reconstitué sur les ventes déclarées s'élève approximativement à 25 %, ainsi qu'il a été dit au point 9. Ce faisant, la société requérante ne prouve ni que la méthode proposée serait plus pertinente que celle retenue par le service, ni que les prix retenus par le service seraient erronés. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires employée par l'administration fiscale, à partir des variations de stock et des prix unitaires, aurait été excessivement sommaire ou radicalement viciée.
13. En troisième lieu, si la société requérante fait valoir que le prix unitaire du produit dénommé " Global Keratin The Best Litre " s'élève à 139,33 euros au lieu de 380 euros, elle ne le justifie pas, et, en particulier, ne produit pas les pièces permettant de s'assurer des prix et des quantités d'acquisition de ces produits.
14. En quatrième lieu, le service a tenu compte des sorties d'articles à prix nul, regardées comme étant constitutives d'offres promotionnelles. La SAS Delta Beauté Distribution n'établit pas que la reconstitution de recettes aurait à tort tenu compte d'autres articles offerts à titre promotionnel. Elle n'établit pas davantage que le service aurait inclus à tort des articles repris par les fournisseurs. Enfin, elle s'abstient également de produire les pièces qui justifieraient que le code de l'article 5 " SAV MEGUENNI " correspondrait à un service après-vente, et non à des articles en stock.
15. Il suit de là que la reconstitution de chiffre d'affaires opérée par l'administration fiscale ne saurait être considérée comme ayant conduit à une imposition exagérée. La société requérante n'est pas plus fondée à contester les majorations par voie de conséquence.
16. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SAS Delta Beauté Distribution n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Sa requête doit donc être rejetée, y compris ses conclusions relatives aux frais non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Delta Beauté Distribution est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Delta Beauté Distribution et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée pour information à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 18 décembre 2024, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président-assesseur,
- M. Mérenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2025.
2
No 23MA01027