Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Ranex Builders a demandé au tribunal administratif de Nice, par deux actes introductifs d'instance, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, ainsi que des majorations correspondantes.
Par un jugement no 1804411, 2100606 du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes après les avoir jointes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistré le 28 juin 2022, la SAS Ranex Builders, représentée par Me Ciaudo, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 25 avril 2022 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et des majorations en litige ;
3°) de mettre la somme de 5 000 euros à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les factures de sous-traitance travaux réalisés au profit des sociétés Alba Properties, Tennis Properties, Promocour 1850 et Olive Properties ne présentent pas un caractère fictif, de sorte que leur paiement ne constitue pas un acte anormal de gestion ;
- les conditions de mise en œuvre de l'article 57 du code général des impôts ne sont pas remplies ;
- l'administration a méconnu le principe de loyauté ;
- les achats de fournitures et de matières premières remis en cause par l'administration fiscale ne peuvent pas davantage être regardés comme des actes anormaux de gestion ;
- les majorations pour manœuvres frauduleuses sont injustifiées ;
- les retenues à la source sont injustifiées, dès lors que M. A... n'est pas le bénéficiaire des distributions de la SAS Ranex Builders à la société Ranex UK ;
- elles doivent être écartées en vertu de l'article 115 quinquies du code général des impôts ;
- la société Ranex UK était déficitaire pour les exercices concernés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen relatif aux achats de fournitures et de matières premières est irrecevable, dès lors qu'il reprend strictement celui développé en première instance ;
- les moyens soulevés par la SAS Ranex Builders ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mérenne,
- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Ranex Builders, dont M. B... A... est le dirigeant et l'associé unique, exerce une activité de maçonnerie générale et de gros œuvre dans le bâtiment. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2013, 2014 et 2015. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale l'a assujettie, par une proposition de rectification du 7 juillet 2017, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et à des retenues à la source assises sur les revenus distribués à la société Ranex Angleterre dont M. A..., dirigeant et associé unique, est également dirigeant. La SAS Ranex Builders fait appel du jugement du 25 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes tendant à la décharge de ces impositions et des majorations correspondantes.
Sur la procédure d'imposition :
2. Contrairement à ce que soutient la SAS Ranex Builders, le seul fait, pour l'administration fiscale, d'avoir écarté des factures comme fictives ne peut suffire, en tout état de cause, pour caractériser un manquement à son obligation de loyauté, la société requérante ne prétendant d'ailleurs à aucun moment avoir été induite en erreur au cours du déroulement de la procédure contradictoire de rectification.
Sur l'impôt sur les sociétés :
3. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ". Aux termes de l'article 39 de ce code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Les charges pouvant être admises en déduction du bénéfice imposable, en application de l'article 39 du code général des impôts, doivent avoir été exposées dans l'intérêt direct de l'entreprise ou se rattacher à sa gestion normale, correspondre à des charges effectives et être appuyées de justificatifs.
4. Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci, il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
5. S'agissant, en premier lieu, des travaux réalisés au profit de la société luxembourgeoise Alba Properties, relatifs à la réfection de la toiture d'un hôtel situé à Juan les Pins, l'administration fiscale a relevé que les contrats de sous-traitance conclus avec la société Ranex Angleterre comportaient une adresse antidatée de plus de deux ans, et que les déclarations de détachement, les contrats de sous-traitance, les factures en cause et les paiements étaient postérieurs à l'achèvement du chantier et au règlement définitif des travaux à l'entreprise principale. En outre, le service soutient sans être contredit que les incohérences relevées dans les explications de la société contribuable ont été confirmées par l'exercice du droit de communication auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui a relevé qu'aucune déclaration de détachement n'avait été déposée au nom du sous-traitant Ranex Angleterre, et par les informations communiquées par l'assistance administrative internationale, les autorités britanniques, n'ayant pu obtenir de justificatif du cabinet comptable de l'entreprise Ranex Angleterre. Ces éléments sont de nature à établir que les prestations de sous-traitance n'ont pas été effectivement réalisées, sans que l'invocation des mauvaises conditions financières du chantier par la SAS Ranex Builders permette de contredire l'absence de réalisation effective des prestations par le sous-traitant.
6. S'agissant, en deuxième lieu, des travaux réalisés au profit de la société luxembourgeoise Tennis Properties, et relatifs à la démolition, le terrassement et les fondations d'une villa sise à Juan-les-Pins, l'administration fiscale a retenu que les contrats de sous-traitance conclus avec la société Ranex Angleterre comportaient une adresse antidatée de plus de deux ans, que les factures, qui semblaient faire doublon avec celles établies par une autre société sous-traitante, ne comportaient pas le détail des prestations, que les montants étaient incohérents avec la déclaration de sous-traitance, et que les investigations menées auprès de tiers avaient été infructueuses sur la réalité des prestations. Ces éléments sont de nature à établir que les prestations de sous-traitance n'ont pas été effectivement réalisées. La SAS Ranex Builders se borne à faire valoir que l'existence de doublons n'est pas certaine. Cependant cette question, tenant à l'appréciation des prestations d'une autre société, est en réalité indifférente, dans la mesure où l'absence de réalisation de ces prestations par la société Ranex Angleterre est établie.
7. S'agissant, en troisième lieu, des travaux réalisés au profit de la société Promocour 1850, pour la réalisation d'un chantier à Courchevel comprenant un hôtel, une résidence de tourisme et un centre aquatonique, l'administration fiscale a relevé que les factures sont insuffisamment précises quant aux marchandises, matières premières et temps de travail facturé, et que les contrats de sous-traitance conclus avec la société Ranex Angleterre comportaient la même adresse antidatée. En outre, le service soutient sans être contredit que les incohérences relevées dans les explications de la société contribuable ont été confirmées par l'exercice du droit de communication auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation et de l'emploi Rhône-Alpes, qui a relevé qu'aucune déclaration de détachement n'avait été déposée au nom du sous-traitant Ranex Angleterre, et par les informations communiquées par l'assistance administrative internationale, les autorités britanniques, n'ayant pu obtenir de justificatif du cabinet comptable de l'entreprise Ranex Angleterre. La société requérante en se bornant à rappeler des faits et à citer un extrait du jugement attaqué, ne conteste pas le caractère fictif de ces factures.
8. S'agissant, en quatrième lieu, des travaux réalisés au profit de la société Olive Properties, pour la réhabilitation d'un immeuble au cap d'Antibes avec création d'appartements, l'administration fiscale a retenu que les contrats de sous-traitance conclus avec la société Ranex Angleterre comportaient la même adresse antidatée, que les factures ne comportaient pas le détail des prestations, que les informations comportaient de nombreuses incohérences, et que l'entreprise principale disposait des moyens en interne pour réaliser les travaux sans faire appel à une société sous-traitante étrangère. Contrairement à ce que soutient la SAS Ranex Builders, l'administration fiscale n'a pas entendu lui reprocher le non-respect de la législation française sur la sous-traitance. Elle s'est bornée à retenir, ainsi qu'elle pouvait légalement le faire, que l'absence des actes juridiques pouvant normalement être attendus en cas de recours à la sous-traitance était un indice de l'absence de réalisation des prestations. Ainsi, et quelles qu'aient été les conditions dans lesquelles les autorités britanniques ont répondu à la demande d'assistance administrative internationale formulée par l'administration fiscale, ces éléments sont de nature à établir que les prestations de sous-traitance n'ont pas été effectivement réalisées. La SAS Ranex Builders se borne à reprendre des arguments et des pièces évoqués à différentes reprises au cours de la procédure d'imposition, qui, par leur caractère général et peu probant, ne permettent pas de retenir la réalisation effective des prestations par le sous-traitant.
9. Enfin, s'agissant des factures d'achat de matériel aux sociétés Ranex Angleterre et Natural Stones production Ltd, le tribunal administratif a écarté les moyens par des motifs appropriés, figurant aux points 13 à 17 du jugement attaqué, qui ne sont pas utilement contestés et qu'il convient d'adopter en appel.
10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède alors que l'administration fiscale qui n'a pas remis en cause les prix pratiqués par l'entreprise anglaise mais la réalité des prestations effectuées en contrepartie, n'était pas tenue de recourir à la procédure de transfert de bénéfices prévue à l'article 57 du code général des impôts. Compte tenu des éléments tendant à établir le caractère fictif des charges, produits par l'administration fiscale, et de l'insuffisance de ceux produits par la société, c'est à bon droit que les sommes litigieuses ont été réintégrées.
Sur la retenue à la source :
11. Aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...). " Aux termes du 1 du 1° de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués, tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. "
12. Il résulte de l'instruction et des points 5 à 10 que les sommes comptabilisées à tort par la SAS Ranex Builders comme factures de sous-traitance et de matériel constituent des rehaussements à l'impôt sur les sociétés de la SAS Ranex Builders. Pour justifier la retenue à la source dont elles ont fait l'objet, l'administration fiscale a procédé à une substitution de motifs dans sa réponse aux observations du contribuable en retenant qu'elles avaient été encaissées par la société Ranex Angleterre, domiciliée fiscalement à l'étranger. En contestant l'appréhension de ces sommes par le gérant tout en confirmant qu'elles ont bien été encaissées par la société Ranex Angleterre, la société requérante ne conteste pas utilement le motif substitué par l'administration fiscale.
13. La SAS Ranex Builders fait valoir que la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis constitue une restriction injustifiée à la libre circulation des capitaux protégée par le droit de l'Union européenne, dès lors que la société Ranex Angleterre était déficitaire. Toutefois, la production de copies de déclarations de résultats non vérifiable ne suffit pas à établir la réalité du déficit de la société. En outre, les dividendes d'origine française non imposés ont pour effet de remettre en cause le caractère déficitaire des exercices concernés.
14. En outre, Le tribunal administratif a écarté les moyens de l'applicabilité de la convention franco-britannique et du 3. de l'article 115 quinquies du code général des impôts par des motifs appropriés, figurant aux points 20, 23 et 24 du jugement attaqué, qui ne sont pas utilement contestés et qu'il convient d'adopter en appel.
15. Enfin, la SAS Ranex Builders ne peut utilement invoquer le régime de taxation des dividendes versés aux sociétés non-résidentes, dès lors que le litige ne porte pas sur cette question. De même, si elle entend se prévaloir " mutatis mutandis " d'une jurisprudence relative à la déduction des frais professionnels par les non-résidents, cette question est étrangère au litige. Ces moyens doivent donc également être écartés comme inopérants.
Sur les majorations pour manœuvres frauduleuses :
16. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de : / (...) / c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses ". L'administration fiscale a établi que la SAS Ranex Builders avait eu recours à des factures fictives, ce qui est en soi constitutif de manœuvres frauduleuses, ainsi que l'a déjà retenu le tribunal administratif. L'administration a donc pu appliquer à bon droit ces majorations aux cotisations supplémentaires d'impôts sur les sociétés résultant de la remise en cause de factures fictives.
17. Il résulte de ce qui précède que la SAS Ranex Builders n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Sa requête doit donc être rejetée, y compris ses conclusions relatives aux frais non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Ranex Builders est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Ranex Builders et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée pour information à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 13 février 2025, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président-assesseur,
- M. Mérenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 mars 2025.
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No 22MA01850