Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille de mettre à la charge de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affectations iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) une provision d'un montant de 1 267 413, 27 euros à valoir sur l'indemnisation de son entier préjudice.
Par une ordonnance n° 2401269 du 28 février 2025, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a mis à la charge de l'ONIAM la somme provisionnelle de 91 038,40 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 mars et 2 avril 2025, l'ONIAM, représenté par Me Fitoussi du Cabinet De La Grange et Fitoussi, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 28 février 2025 de la juge des référés du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. D... et ses conclusions d'appel.
Il soutient que :
- la créance est sérieusement contestable ;
- le dommage de M. D... ne résulte pas d'un accident médical non fautif indemnisable par la solidarité nationale, aucun lien de causalité direct et certain ne pouvant être établi entre le dommage et la prise en charge médicale discutée ;
- ni la neuromyopathie de réanimation, ni l'atteinte du plexus brachial par élongation ne sont anormales au sens de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;
- les préjudices en lien avec ces complications n'atteignent pas les seuils de gravité nécessaires à l'intervention de l'ONIAM ;
- les atteintes au plexus peuvent résulter du virus lui-même ;
- le dommage qui aurait résulté de l'absence de soins est notablement plus grave que celui qui s'est réalisé ;
- la juge des référés a fait une évaluation excessive des préjudices.
Par un mémoire, enregistré le 25 mars 2025, M. D..., représenté par la SELARL Lelievre-Saint-Pierre, agissant par Me Saint- Pierre, conclut au rejet de la requête, à la réformation de l'ordonnance du 28 février 2025 en tant qu'elle a limité le montant de la provision mise à la charge de l'ONIAM à une somme de 91 038,40 euros, à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM une somme de 1 267 413,27 euros à titre de provision ainsi que la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les critères pour que la responsabilité de l'ONIAM soit engagée au titre de la solidarité nationale dans le cadre du risque thérapeutique sont remplis ;
- le virus du COVID-19 n'est pas à l'origine des complications survenues ;
- l'ensemble de ses préjudices peut être évalué à la somme de 1 267 413,27 euros.
Par un mémoire, enregistré le 4 avril 2025, l'assistance publique-hôpitaux de Marseille demande à être mise hors de cause.
Elle fait valoir qu'aucune faute ne peut lui être reprochée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné Mme Fedi, présidente de la 2ème chambre, pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues par les juges des référés des tribunaux du ressort.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., porteur du virus du COVID-19, a été hospitalisé à l'hôpital Nord à Marseille le 22 août 2021. Il a été transféré en réanimation le 12 septembre 2021 puis en unité de soins continus le 5 novembre 2021. Il a souffert d'une neuromyopathie diffuse aux quatre membres et reste aujourd'hui atteint notamment de séquelles du membre supérieur gauche.
2. L'ONIAM relève appel de l'ordonnance du 28 février 2025 de la juge des référés du tribunal administratif de Marseille qui a mis à sa charge une provision de 91 038,40 euros au titre de la solidarité nationale au bénéfice de M. D.... Ce dernier conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'ordonnance du 28 février 2025 en tant qu'elle a limitée la provision qui lui a été accordée à une somme de 91 038,40 euros.
3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.
Sur la responsabilité :
4. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire...". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24%. Un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale présente également le caractère de gravité mentionné à l'article L. 1142-1 lorsque la durée de l'incapacité temporaire de travail résultant de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale est au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois. A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence ".
5. Il résulte des dispositions précitées du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1.
6. Il résulte de l'instruction, notamment de deux expertises réalisées par le docteur A... et le professeur C... les 31 juillet 2023 et 10 janvier 2024 à la demande de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux auxquelles l'ONIAM n'a pas participé, que M. D... ne pouvait se soustraire à une hospitalisation en réanimation son pronostic vital étant engagé. Cet acte médical n'a donc pas entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. En outre, s'agissant, d'une part, de la neuromyopathie de réanimation, il s'agit de la plus fréquente des pathologies neuromusculaires de réanimation qui peut se manifester par une simple faiblesse musculaire à une tétraplégie. Il ne résulte pas des expertises, en l'état de l'instruction, que le taux de survenance d'une pathologie neuromusculaire de réanimation a un niveau de gravité identique à celui qui a atteint M. D... serait inférieur à 5 %. S'agissant, d'autre part, des complications neurologiques liées au placement prolongé en décubitus ventral en service de réanimation, certes, les experts affirment qu'on les retrouve dans des fréquences de l'ordre de 5%. Toutefois, l'ONIAM produit des études dont il ressort que le virus du COVID-19 peut lui-même être à l'origine de ce type de lésions. Il existe donc, à ce stade de l'instruction, des incertitudes importantes non seulement sur le taux de survenance d'une pathologie neurosmusculaire de réanimation à un degré de gravité identique à celui qui s'est manifesté chez M. D..., mais aussi sur la cause de la complication liée au placement en décubitus ventral dont a souffert l'intimé. Dans ces conditions, l'obligation dont se prévalait M. D... devant le tribunal administratif de Marseille ne peut être regardée, en l'état de l'instruction, comme présentant un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
7. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille l'a condamné à payer une provision à M. D.... Il y a donc lieu d'annuler l'ordonnance du 28 février 2025, de rejeter l'appel incident de M. D... et de rejeter la demande présentée par ce dernier devant la juge des référés du tribunal administratif de Marseille.
Sur la déclaration de décision commune :
8. La caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, à laquelle la requête a été communiquée, n'ayant pas produit de mémoire, il y a lieu de lui déclarer commune la présente ordonnance.
Sur les frais liés au litige :
9. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par M. D... doivent dès lors être rejetées.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance du 28 février 2025 de la juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant la juge des référés du tribunal administratif de Marseille, son appel incident présenté devant la Cour ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 3 : La présente ordonnance est déclarée commune à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'ONIAM, à M. B... D..., à l'assistance publique-hôpitaux de Marseille et à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Fait à Marseille, le 17 avril 2025.
N° 25MA00675 2