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19/06/2025 | FRANCE | N°24MA00363

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 3ème chambre, 19 juin 2025, 24MA00363


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société de droit luxembourgeois Palomata a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires de retenue à la source auxquelles la société anonyme d'économie mixte (SAEM) de gestion du Port Vauban a été assujettie en application des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts au titre des années 2009, 2010 et 2011.



Par un jugement n° 1603699 du 27 juin 201

9, le tribunal administratif de Nice a prononcé la décharge demandée.



Par un arrêt avant di...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société de droit luxembourgeois Palomata a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires de retenue à la source auxquelles la société anonyme d'économie mixte (SAEM) de gestion du Port Vauban a été assujettie en application des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts au titre des années 2009, 2010 et 2011.

Par un jugement n° 1603699 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Nice a prononcé la décharge demandée.

Par un arrêt avant dire droit n°s 19MA04577, 20MA02311 du 6 avril 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel et requête à fin de sursis à exécution du jugement du ministre de l'économie, des finances et de la relance, jugé :

" Article 1er : L'intervention de la SELARL Xavier Huertas et Associés, administrateur provisoire de la société IYCA, dans la requête enregistrée sous le n° 19MA04577 est admise.

Article 2 : Avant-dire droit sur la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance enregistrée sous le n° 19MA04577, il est ordonné à la société Palomata de justifier, par tous moyens, avant le 6 mai 2021, au titre des années 2009 à 2011 le montant des frais professionnels, notamment les frais de gestion prélevés par la société de gestion du Port Vauban, qui sont directement liés à l'activité de sous-location du poste à quai.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties concernant la requête enregistrée sous le n° 19MA04577 demeurent réservés, à l'exception de ceux sur lesquels il est statué par le présent arrêt.

Article 4 : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance enregistrée sous le n° 20MA02311 est rejetée.

Article 5 : Les conclusions de la société Palomata au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées dans la requête enregistrée sous le n° 20MA02311 sont rejetées ".

Par un arrêt n°s 19MA04577, 22MA01042 du 30 juin 2022, la cour administrative d'appel de Marseille, a jugé :

" Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Nice du 27 juin 2019 sont annulés.

Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu correspondant à la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts auxquelles la SAEM de gestion du Port Vauban a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011 à raison des redevances qu'elle a versées à la société Palomata, dont les premiers juges ont prononcé la décharge, sont remises à la charge, en droits et pénalités, de la SAEM de gestion du Port Vauban.

Article 3 : La société Palomata reversera à l'Etat la somme de 1 500 euros qui lui a été accordée en première instance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La demande d'exécution du jugement précité, présentée par la société Palomata et enregistrée sous le n° 22MA01042, est rejetée ".

Par une décision n° 468673 du 16 février 2024, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté pour la société Palomata, annulé les articles 2, 3 et 5 de l'arrêt n°s 19MA04577, 20MA02311 du 6 avril 2021 et l'arrêt n°s 19MA04577, 22MA01042 du 30 juin 2022 et décidé de renvoyer l'affaire dans cette mesure devant la cour administrative d'appel de Marseille.

Procédures devant la Cour :

I. Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 octobre 2019, 9 juillet 2020, 22 octobre 2020, 2 février 2022 sous le numéro 19MA04577 et des mémoires enregistrés les 12 mars 2024 et 16 mai 2024 sous le numéro 24MA00363, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1603699 du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Nice ;

2°) de rétablir, en droits et majorations, les rappels de retenue à la source déchargés à tort par les premiers juges.

Il soutient que :

- la demande de la société Palomata était irrecevable, dès lors qu'elle n'est pas le redevable de la retenue à la source à laquelle la société de gestion du Port Vauban a été assujettie et que les sommes correspondant à sa quote-part dans cette retenue à la source ne se sont pas imputées sur les redevances qui lui ont été versées ;

- l'application de la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts, qui porte sur des revenus d'une activité prévue à l'article 92 du même code, n'est pas contraire au principe de libre circulation des capitaux prévu par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la preuve de la situation déficitaire de la société de droit luxembourgeois Palomata n'est pas rapportée ;

- les moyens invoqués par la société Palomata en défense ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense enregistrés les 23 juin 2020, 25 août 2020, 7 septembre 2020, 7 janvier 2021, 5 mai 2021, 12 avril 2024 et 7 février 2025, la société Palomata, représentée par Me Stifani, conclut au rejet de la requête du ministre et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 5 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande est recevable ;

- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;

- la procédure d'imposition est irrégulière, en l'absence de notification de la procédure aux actionnaires de la société International Yacht Club d'Antibes, ce qui méconnaît notamment le principe de loyauté et les droits de la défense ;

- les redevances versées en contrepartie de la mise à disposition d'un poste à quai ne procèdent pas d'une activité productrice de revenus relevant de l'article 92 du code général des impôts ;

- le taux d'imposition de 50 % sans déduction de charges n'a pas été établi par la loi et méconnaît le droit de l'Union européenne ;

- la base de la retenue doit être réduite, en application des articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, des frais, charges, amortissements et taxe sur la valeur ajoutée qui ont diminué les redevances perçues et dont elle justifie ;

- elle subit un traitement différent de celui appliqué à une société résidente, contraire aux articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dès lors qu'elle justifie d'une situation déficitaire au titre de chacune des années en litige ;

- la convention franco-luxembourgeoise fait obstacle à l'imposition, les sommes en litige ne constituant pas des revenus du travail issus d'une base fixe au sens de son article 15 ;

- la pénalité prévue à l'article 1728 du code général des impôts n'est pas fondée et conduit à un taux d'imposition confiscatoire sanctionné par les juridictions suprêmes.

Par un mémoire, enregistré le 7 janvier 2021, la SELARL Xavier Huertas et associés, administrateur provisoire de la société International Yacht Club d'Antibes (IYCA), représentée par Me Stifani, a présenté des observations et demande le rejet de la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Elle soutient que :

- que les conditions permettant l'application de la retenue à la source prévue par l'article 182 B du code général des impôts ne sont pas réunies ;

- l'activité est structurellement déficitaire, compte tenu des charges annuelles des postes à quai et de l'amortissement de l'investissement initial pendant la durée de la concession soit une somme 890 233,96 euros chaque année pendant cette période.

II. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 juillet 2020 et le 22 octobre 2020 sous le n° 20MA02311, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a demandé à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nice du 27 juin 2019.

Il soutient que l'exécution de ce jugement est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables et qu'il justifie de moyens sérieux en l'état de l'instruction à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation de ce jugement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2020, la société Palomata, représentée par Me Stifani, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne sont pas fondés.

III. Sous le n° 22MA01042, par une ordonnance du 6 avril 2022, la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille a, sur la demande de la société Palomata enregistrée le 23 juin 2020, décidé l'ouverture d'une procédure juridictionnelle en vue de pourvoir à l'exécution du jugement n° 1603699 du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Nice.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention franco-luxembourgeoise tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 1er avril 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Le président de la Cour a désigné M. Platillero, président assesseur, pour présider la formation de jugement, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Platillero,

- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,

- et les observations de Me Larroche, substituant Me Stifani, pour la société Palomata.

Considérant ce qui suit :

1. En vertu d'un contrat de concession conclu avec la commune d'Antibes le 29 décembre 1987, la société anonyme d'économie mixte (SAEM) de gestion du Port Vauban assure l'exploitation et la gestion du port de plaisance Vauban, notamment en affectant les postes à quai inoccupés à des usagers de passage moyennant le versement d'une redevance, conformément au règlement de police du port. A l'intérieur du port et dans le périmètre du bassin de grande plaisance, la commune d'Antibes a consenti en contrepartie de l'étude et de la réalisation d'ouvrages dans le port à la société International Yacht Club d'Antibes (IYCA), société immobilière de copropriété régie par les dispositions de l'article 1655 ter du code général des impôts constituée de sociétés étrangères dont la société de droit luxembourgeois Palomata, un droit de jouissance sur dix-neuf postes à quai conçus pour accueillir des yachts de grande dimension. Ainsi, lorsque ces postes à quai ne sont pas occupés, la SAEM de gestion du Port Vauban les loue à des plaisanciers de passage, perçoit les redevances correspondantes et les reverse, amputées de frais de gestion, aux associés de la société IYCA qui ont chacun la jouissance de ces postes, dont la société Palomata.

2. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a estimé que les sommes versées par la SAEM de gestion du Port Vauban aux associés de la société IYCA devaient être soumises à la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts. La société Palomata a saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à la décharge, en droits et majorations, de la retenue à la source à laquelle la SAEM de gestion du Port Vauban a ainsi été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011. Par un jugement du 27 juin 2019, le tribunal a prononcé la décharge demandée. A la suite d'un arrêt avant dire droit du 6 avril 2021 et par un arrêt du 30 juin 2022, la Cour, saisie par le ministre, a notamment annulé ce jugement et remis à la charge, en droits et pénalités, de la SAEM de gestion du Port Vauban ces retenues à la source. Par une décision du 16 février 2024, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté pour la société Palomata, annulé les articles 2, 3 et 5 de l'arrêt du 6 avril 2021 et l'arrêt du 30 juin 2022 et décidé de renvoyer l'affaire dans cette mesure devant la cour.

Sur le motif de décharge retenu par le tribunal :

3. Aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. (...) ". L'article 57 du même traité stipule : " Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. / Les services comprennent notamment : / a) des activités de caractère industriel, / b) des activités de caractère commercial, / c) des activités artisanales, / d) les activités des professions libérales. / Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, le prestataire peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l'État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants ". Aux termes de l'article 63 de ce traité : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres (...) sont interdites ".

4. Pour prononcer la décharge demandée, le tribunal administratif de Nice a retenu que l'application d'une retenue à la source aux sommes versées à une société non-résidente alors que, lorsqu'elles sont perçues par une société résidente, leur imposition, établie selon le régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés, ne se réalise à la fin de l'exercice au cours duquel elles ont été perçues qu'à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice, une telle imposition pouvant, le cas échéant, ne jamais intervenir si ladite société cesse ses activités sans avoir atteint un résultat bénéficiaire depuis la perception de ces sommes, constitue une différence de traitement injustifiée et, par suite, une restriction à la libre circulation des capitaux et que, dès lors que la société Palomata se trouvait, au regard de la législation de son Etat de résidence, en situation déficitaire au titre des années en litige, elle était fondée à soutenir que la restriction résultant des dispositions du a du I de l'article 182 B du code général des impôts méconnaît les stipulations de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en tant qu'elle prive une société installée dans un autre Etat membre de la faculté d'apporter la preuve qu'elle est déficitaire et qu'elle pourrait, par conséquent, si elle était établie en France, bénéficier du report d'une telle imposition. Toutefois, l'activité de sous-location de postes à quai dont la société IYCA était amodiataire, par l'entremise de la SAEM de gestion du Port Vauban, constitue une prestation de services, au sens des articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui définit comme services les prestations fournies normalement contre rémunération qui ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. Le ministre est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a prononcé la décharge de la retenue à la source contestée en se fondant sur une contrariété des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts avec la liberté de circulation des capitaux garantie par l'article 63 de ce traité.

5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Palomata devant le tribunal administratif de Nice et devant elle.

Sur la régularité de la procédure :

6. En premier lieu, ainsi qu'il est exposé au point 14 ci-après, le redevable légal de la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts est la personne qui verse les rémunérations visées par ce texte, en l'espèce la SAEM de gestion du Port Vauban. Aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à l'administration d'informer les bénéficiaires des sommes versées de la rectification à l'origine de cette retenue à la source, alors même que l'administration aurait eu connaissance de ces bénéficiaires pour avoir contrôlé tant la situation fiscale de la société IYCA que celle de ses actionnaires. En notifiant les rectifications en matière de retenue à la source à la seule SAEM de gestion du Port Vauban, qui était tenue d'opérer cette retenue sur les sommes réglées aux actionnaires de la société IYCA et de la verser au Trésor, l'administration, qui a à juste titre mis en cause le débiteur des rémunérations et non pas les bénéficiaires de celles-ci, dont la société Palomata, n'a ni méconnu les règles garantissant le caractère contradictoire de la procédure fiscale de rectification et les droits de la défense, ni, en tout état de cause, manqué à son devoir de loyauté et aux exigences résultant de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. En deuxième lieu, la société Palomata fait valoir que le défaut d'information des actionnaires de la société IYCA porte atteinte au droit garanti par l'article 40 de l'accord sur l'Espace économique européen (EEE), en invoquant une décision Fokus Bank ASA du 24 novembre 2004, aff. E 01/04 par laquelle la cour de l'Association européenne de libre-échange a jugé incompatible avec cet article le fait qu'un Etat suive la procédure de rectification avec la seule société distributrice des dividendes, sans en avertir les actionnaires non-résidents. Cependant, si la France est partie à l'accord sur l'EEE, elle n'est pas membre de l'AELE établie par la convention de Stockholm du 4 janvier 1960. En outre, ni l'article 108 de l'accord précité, ni aucune autre disposition de droit interne ou stipulation conventionnelle ne prévoient que l'interprétation donnée par la Cour de l'AELE du droit de l'accord sur l'EEE ou de celui de l'Union européenne, s'impose à un Etat non membre de cette association pour l'exercice, par un Etat non membre, de sa compétence fiscale. Par suite, le moyen tiré de l'atteinte au droit garanti par l'article 40 de l'accord sur l'EEE doit être écarté comme inopérant.

8. En troisième lieu, la société Palomata soutient que le défaut d'information des actionnaires de la société IYCA méconnaît les stipulations de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne mentionnées au point 3, dont la rédaction est similaire à celle de l'article 40 de l'accord sur l'EEE. Il résulte de ces stipulations, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 8 novembre 2007, Amurta SGPS, affaire C-379/05, point 32, que lorsqu'un Etat membre exerce sa compétence fiscale à l'égard de contribuables résidents et non-résidents, pour que la réglementation fiscale nationale qu'il applique à ces contribuables puisse être regardée comme compatible avec les stipulations du traité relatives à la liberté de circulation des capitaux, la différence de traitement qu'elle instaure entre les contribuables selon leur Etat de résidence doit concerner des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général. En l'espèce, la SAEM de gestion du Port Vauban, résidente française, qui seule a fait l'objet du contrôle et qui est la seule redevable de la retenue à la source qui en a résulté, ne se trouve pas dans une situation comparable à celle des actionnaires de la société IYCA. En outre, la circonstance que les sociétés actionnaires étrangères ne sont pas informées par l'administration des retenues à la source auxquelles la SAEM de gestion du Port Vauban a été assujettie ne constitue en tout état de cause pas, par elle-même, une restriction à la libre circulation des capitaux.

9. En quatrième lieu, l'insuffisance alléguée de la motivation de la décision de rejet de la réclamation contentieuse de la société Palomata est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition suivie à son égard comme sur le bien-fondé de la retenue à la source.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'application de l'article 182 B du code général des impôts :

10. Aux termes de l'article 182 B du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " I. Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : / a. Les sommes versées en rémunération d'une activité déployée en France dans l'exercice de l'une des professions mentionnées à l'article 92 (...) ". Aux termes du 1 de l'article 92 du même code, codifié sous un VI intitulé " Bénéfices des professions non commerciales " de la 1ère sous-section de la section II du chapitre premier de la première partie de son livre premier : " Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. ".

11. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires préalables à l'adoption de la loi du 29 décembre 1976 modifiant les règles de territorialité et les conditions d'imposition des Français à l'étranger ainsi que des autres personnes non domiciliées en France dont est issu l'article 182 B précité, que la retenue à la source instituée par cet article s'applique, en vertu de son a, aux sommes versées en rémunération de toute activité déployée en France dont les bénéfices entrent dans le champ de l'article 92 du code général des impôts, qu'il s'agisse des bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants ou de ceux de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus.

12. L'administration fiscale a constaté que la SAEM de gestion du Port Vauban procédait, pour le compte des associés de la société IYCA qui en ont la jouissance, dont la société Palomata, à la location de leurs anneaux d'amarrage lorsque ceux-ci sont libres d'occupation, avant de leur reverser les loyers afférents minorés de ses frais de gestion. Estimant que les revenus tirés de cette activité de location constituaient des bénéfices non commerciaux, versés à des sociétés n'ayant pas en France une installation professionnelle permanente, et dont la SAEM était la débitrice, elle a assujetti cette dernière à la retenue à la source à raison des sommes ainsi versées à la société Palomata.

13. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les associés de la société IYCA, alors même qu'ils n'avaient pas contractuellement la jouissance des postes à quai confiée à cette société, exerçaient, par l'entremise de la SAEM de gestion du Port Vauban, une activité de sous-amodiation des postes de mouillage dont la première était amodiataire en vertu du contrat conclu avec la commune d'Antibes et dont elle leur attribuait la jouissance. Quels que soient les termes des conventions conclues, les rôles dévolus à chacun en application de leurs stipulations et les modalités selon lesquelles les relations financières auraient dû être comptabilisées de part et d'autre, les revenus tirés de cette activité de sous-location d'immeubles nus, qui avaient la nature de bénéfices non commerciaux, étaient imposables entre les mains des associés de cette société immobilière de copropriété. Si la société Palomata fait valoir que les redevances perçues des utilisateurs des postes à quai constituent la contrepartie du service public d'amarrage, facturé sur la base d'un tarif public déterminé en fonction des charges d'entretien et de gestion du port, et que son intention initiale n'était pas la réalisation de profits, ces circonstances ne font pas obstacle à l'existence d'une activité de sous-location d'anneaux d'amarrage, laquelle, contrairement à ce que soutient la requérante, présentait le caractère d'une profession mentionnée à l'article 92 du code général des impôts au sens du a de l'article 182 B du même code.

14. En deuxième lieu, la notion de " débiteur " au sens de l'article 182 B du code général des impôts renvoie à la personne qui, concrètement, paye les sommes, quand bien même, comme en l'espèce, elle ne sert que d'intermédiaire et n'est pas le débiteur, au sens juridique, de ces sommes. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu et ainsi que l'a retenu l'administration fiscale, le débiteur de la retenue à la source, au sens et pour l'application des dispositions citées au point 10 de l'article 182 B du code général des impôts est la SAEM de gestion du Port Vauban et non les usagers de passage qui utilisent les anneaux.

15. En troisième lieu, il n'est pas contesté que la SAEM de gestion du Port Vauban exerce une activité en France. Il n'est ni établi ni même allégué que la société Palomata qui a reçu les sommes versées disposerait d'installations professionnelles en France et qu'elle ne revêtirait pas la forme de société. Cette société étrangère qui perçoit de la SAEM du Port Vauban des sommes regardées constitutives de bénéfices non commerciaux, relève de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, peu important, à cet égard, qu'elle y ait été effectivement soumise ou non. Par suite, les conditions d'application de l'article 182 B du code général des impôts sont remplies.

16. En quatrième lieu, la société Palomata fait valoir que le taux qui lui a été appliqué est de 50 %, alors que le taux de la retenue à la source, prévu à l'article 182 B du code général des impôts, qui renvoie sur ce point au I de l'article 219 du même code, est de 33,1/3 %. Cependant, la prise en charge par le débiteur du montant de la retenue à la source, sans qu'il en demande le remboursement au bénéficiaire des sommes versées, constitue un supplément de rémunération qui doit être intégré dans le calcul de cette même retenue. Compte tenu du taux de 33,1/3 % de la retenue, qui, en tout état de cause, ne fait pas peser une charge fiscale plus lourde sur les contribuables non-résidents par rapport aux contribuables résidents créant ainsi une restriction contraire au droit de l'Union européenne ni n'instaure une imposition confiscatoire, la somme brute que le débiteur a versée au bénéficiaire correspond dès lors aux deux tiers du montant sur lequel la retenue à la source doit être calculée, de sorte que l'application du taux de 33,1/3 % à l'assiette ainsi déterminée, conduit finalement à imposer la somme brute versée par le débiteur au taux de 50 %, conformément à la loi. La circonstance que la société IYCA se serait engagée, postérieurement au fait générateur des retenues à la source litigieuses, à garantir la SAEM de gestion du Port Vauban du montant de la retenue à la source mise à sa charge, est, en tout état de cause, sans incidence sur la règle de droit applicable pour le calcul de cette retenue. Par suite, le moyen tiré de la contestation du taux de retenue à la source ainsi appliqué doit être écarté.

17. En cinquième lieu, la société Palomata soutient que l'administration aurait dû admettre en déduction des sommes ayant servi d'assiette à la retenue à la source les divers frais professionnels engagés, notamment les frais d'entretien du port de plaisance, les frais de gestion prélevés par la SAEM de gestion du Port Vauban au titre de l'activité de sous-location des postes à quai, les amortissements et les frais d'administration. Toutefois, il résulte des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts que la retenue à la source est assise sur les sommes brutes versées par le débiteur en rémunération de l'activité déployée en France par le bénéficiaire des revenus visés à l'article 92 du code général des impôts. Ainsi, l'administration pouvait calculer la retenue à la source en application de cet article sur les montants des loyers sans déduire de frais professionnels.

En ce qui concerne les moyens tirés de la restriction à la liberté de prestation de services :

18. En premier lieu, les stipulations des articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne citées au point 3, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, s'opposent à une législation nationale qui exclut que le débiteur de la rémunération versée à un prestataire de services non résident, déduise, lorsqu'il procède à la retenue à la source de l'impôt, les frais professionnels que ce prestataire lui a communiqués et qui sont directement liés à ses activités dans l'Etat membre où est effectuée la prestation, alors qu'un prestataire de services résident de cet Etat ne serait soumis à l'impôt que sur ses revenus nets, c'est-à-dire sur ceux obtenus après déduction des frais professionnels.

19. Ainsi qu'il a été dit précédemment, l'activité concernée de sous-location des anneaux d'amarrage exercée en France constitue une prestation de services au sens de ces stipulations. En outre, le fait de soumettre les loyers versés en contrepartie de ces anneaux à un prestataire résidant dans un autre Etat membre de l'Union européenne à un impôt assis sur un montant brut sans possibilité de déduire les frais directement liés à l'activité ayant contribué à la création de ces revenus imposables, alors que les mêmes loyers versés à un prestataire résident seraient imposés sur la base d'un montant net, après déduction des frais professionnels, constitue une restriction à la liberté de prestation de services protégée par le droit de l'Union européenne. Il s'en déduit que la société Palomata est fondée à soutenir que l'article 182 B du code général des impôts méconnaît, dans cette mesure, le principe de libre prestation de services protégé aux articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et à s'en prévaloir pour demander, au titre de la période concernée, la déduction de la base de la retenue à la source des frais professionnels supportés en tant que société bénéficiaire des rémunérations de ces prestations de service, à condition qu'ils soient directement liés à ces prestations. Il appartient à la société Palomata, bénéficiaire de la part des revenus perçus en contrepartie de l'occupation temporaire du poste à quai dont elle dispose et objet de la retenue à la source en litige, de justifier des charges à déduire des revenus imposables.

20. Afin d'établir le montant de ces frais professionnels, la société Palomata produit notamment les demandes de provisions qui lui ont été adressées par la société IYCA et fait valoir que ces appels de fonds sont employés au paiement des charges afférentes à l'exploitation, la gestion et l'entretien des postes d'amarrage du bassin de grande plaisance, ainsi que le prévoit l'article 17 du règlement intérieur de la société IYCA, qu'en l'absence de paiement de ces charges, aucune exploitation lucrative ne pouvait avoir lieu et que les extraits des compte annuels de la société IYCA démontrent que les charges, telles que dépenses d'eau, électricité, essence, fournitures, entretien et réparation des quais, locaux, mouillages, matériel de transport, réseaux, maintenance, alarme, assurance, gardiennage, téléphone, banque, impôts, salaires, sont en relation avec la gestion du poste à quai. Elle produit également des extraits du grand livre des tiers de la SAEM de gestion du Port Vauban qui établiraient le montant des charges supportées par la société Palomata correspondant aux honoraires prélevées sur les locations et à la taxe sur la valeur ajoutée reversée, les honoraires mentionnés dans les extraits du grand livre des tiers correspondant aux frais facturés par la SAEM à raison de la gestion de la sous-location de l'anneau d'amarrage dont elle avait la jouissance, mentionnant au crédit les profits relevant d'une activité d'amarrage, au débit le prélèvement d'honoraires en contrepartie de cette activité et la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les loyers facturés aux sous-locataires.

21. Toutefois, les extraits des comptes annuels et des grands livres de la société IYCA, les demandes de provisions et les extraits des grands livres des tiers de la SAEM de gestion du Port Vauban produits ne permettent pas d'établir que les frais invoqués ont été engagés dans le cadre de l'activité de location des anneaux d'amarrage à des usagers occasionnels. En effet, alors que le poste à quai n'est mis à disposition de navires de passage que lorsque la société Palomata ne l'occupe pas et que celle-ci ne peut demander la déduction de la base de la retenue à la source des charges dues à sa propre occupation du poste à quai mais seulement celle des frais professionnels directement liés à l'activité de sous-location de ce poste, ces documents ne permettent pas, compte tenu du caractère global des montants indiqués, de déterminer la quote-part, en ce qui concerne les charges appelées par la société IYCA, du montant des frais généraux afférents au bassin de grande plaisance directement affectés à l'activité de sous-location des postes à quai, celle des frais de gestion prélevés par la SAEM de gestion du Port Vauban sur les loyers versés à la société Palomata à raison de cette seule activité et, en tout état de cause, de la facturation d'une taxe sur la valeur ajoutée y afférente.

22. Par ailleurs, si la société Palomata demande la prise en compte de l'amortissement du droit de jouissance conféré par la commune d'Antibes à la société IYCA en contrepartie de la réalisation d'ouvrages, c'est cette société qui est l'amodiataire des postes d'amarrage qui sont à l'origine des revenus versés directement à la société Palomata par la SAEM de gestion du Port Vauban en tant qu'occupant d'un des postes et, en tant qu'associée de la société IYCA, la société Palomata ne saurait ainsi prétendre à une réduction de l'assiette de la retenue à la source prenant en compte l'amortissement du droit de jouissance conféré par la commune d'Antibes à la société IYCA en contrepartie de la réalisation d'ouvrages. Enfin, si la société Palomata se prévaut de frais d'administration qu'elle a nécessairement engagés au niveau de son siège, elle n'apporte aucun élément justifiant de tels frais engagés pour la réalisation de l'activité en litige.

23. Dans ces conditions, en l'absence de justification par la société Palomata du montant de frais professionnels qui seraient en lien direct avec l'activité de sous-location du poste d'amarrage dont elle dispose dans le port de plaisance d'Antibes, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance des articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne sur ce point.

24. En second lieu, les dispositions de l'article 182 B du code général des impôts applicables sont susceptibles d'instituer, pour ce qui concerne les sociétés relevant de l'impôt sur les sociétés, une différence de traitement entre, d'une part, les sociétés non-résidentes imposées immédiatement et définitivement par voie de retenue à la source lors de la perception de ces sommes, et, d'autre part, les sociétés résidentes imposées sur ces sommes en fonction du résultat net, bénéficiaire ou déficitaire, qu'elles enregistrent au cours de l'exercice de perception desdites sommes. Les stipulations des articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne citées au point 3 s'opposent à une telle différence de traitement.

25. Il appartient à la société non-résidente qui sollicite la décharge de la retenue à la source effectuée sur ses rémunérations de source française de justifier devant le juge de l'impôt, au titre de chacun des exercices considérés, de l'existence de résultats déficitaires déterminés conformément au regard de la législation de son Etat de résidence et en tenant compte de ces rémunérations. Lorsque le redevable produit ces éléments, il appartient à l'administration d'apporter des éléments en sens contraire. Il revient alors au juge de l'impôt de se déterminer au vu de l'instruction et d'apprécier, compte tenu de l'argumentation des parties, si, pour chaque exercice en litige, le redevable justifie de sa demande en décharge.

26. Si la société Palomata soutient qu'elle a dégagé des déficits de 334 394,75 euros en 2009, 343 206,61 euros en 2010 et 347 667, 25 euros en 2011, elle se borne à produire les déclarations pour l'établissement en commun des revenus d'entreprises collectives et de copropriété de chacune de ces années souscrites auprès des autorités fiscales luxembourgeoises, qui, si elles mentionnent ces montants à la ligne relative au bénéfice commercial, ne sont appuyées d'aucun document émanant de ces autorités et dont il ne résulte d'ailleurs pas que les sommes perçues de la SAEM de gestion du Port Vauban auraient été déclarées. Quant aux annexes à ces déclarations exposant les comptes annuels de chacun des exercices, produites en première instance, et aux procès-verbaux d'assemblée générale produits à l'appui de la requête, outre qu'ils ne sont pas traduits, ils se bornent à mentionner des résultats annuels sans explication, alors qu'ils contiennent une ligne intitulée " result brought forward " faisant état d'importantes sommes en négatif qui n'apparaissent par ailleurs pas dans les déclarations souscrites. Ces documents, de même que l'attestation de la société en charge de la comptabilité établie le 10 août 2020 produite, corroborent en outre l'absence de déclaration des sommes perçues en rémunération des prestations de services en litige.

27. Dans ces conditions, et alors que le ministre fait notamment valoir que les déclarations produites ne sont appuyées d'aucun document probant, notamment émanant des autorités fiscales luxembourgeoises, ce que ne conteste pas la société Palomata qui se borne à se prévaloir de sa situation bilancielle déficitaire et de la possibilité pour l'administration fiscale française de mettre en œuvre les mécanismes d'assistance mutuelle, il ne résulte pas de l'instruction que la société Palomata aurait effectivement présenté un résultat déficitaire au titre de chacune des années en litige, déterminé au regard de la législation luxembourgeoise. Au demeurant et en tout état de cause, à supposer même qu'elle aurait présenté un résultat déficitaire au titre de chacune de ces années, la société Palomata, qui indique qu'elle est au regard du droit luxembourgeois une société civile " transparente ", n'apporte aucun élément permettant de supposer que, compte tenu de son statut au regard du droit luxembourgeois, elle subirait une différence de traitement avec une société civile française présentant les mêmes caractéristiques. Par suite, il y a également lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance des articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne sur ce point.

En ce qui concerne l'application de la convention franco-luxembourgeoise :

28. Aux termes de l'article 15 de la convention entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958 alors en vigueur : " 1. Les revenus provenant de l'exercice d'une profession libérale et, d'une manière générale, tous revenus du travail autres que ceux qui sont visés aux articles 11, 12, 13 et 14 de la présente Convention sont imposables seulement dans l'État où s'exerce l'activité personnelle. 2. Pour l'application du paragraphe précédent, l'activité personnelle n'est considérée comme s'exerçant dans l'un des deux États que si elle a un point d'attache fixe dans cet État. 3. Sont considérées comme professions libérales, au sens du présent article, notamment l'activité scientifique, artistique, littéraire, enseignante ou pédagogique ainsi que celle des médecins, avocats, architectes ou ingénieurs (...) ".

29. D'une part, la société Palomata, qui ne peut utilement se prévaloir de l'absence d'établissement stable en France au sens de l'article 4 de la convention franco-luxembourgeoise selon lequel " 1. Les revenus des entreprises industrielles, minières, commerciales ou financières ne sont imposables que dans l'État sur le territoire duquel se trouve un établissement stable (...) ", dès lors que ne sont pas en litige de tels revenus susceptibles d'être qualifiés de bénéfices industriels et commerciaux, a perçu des sommes versées par la SAEM de gestion du Port Vauban en rémunération de l'activité de sous-location d'anneaux d'amarrage exercée en tant qu'associée de la société IYCA, laquelle, contrairement à ce que soutient la société Palomata, présentait le caractère d'une profession, ainsi qu'il a été dit au point 13, et non pas celui de gestion d'un capital. Par ailleurs, contrairement à ce qui est également soutenu, les stipulations du 1. de l'article 15 de la convention franco-luxembourgeoise ne visent pas seulement les revenus des professions libérales qui y sont mentionnées mais de manière générale l'ensemble des revenus du travail autres que ceux qui sont visés aux articles 11, relatif aux rémunérations des administrateurs de sociétés par actions, 12, relatif aux traitements et pensions publics, 13, relatif aux pensions privées et rentes viagères et 14, relatif aux traitements et salaires privés.

30. D'autre part, l'activité de sous-location d'anneaux d'amarrage situés en France est exercée par les associés de la société IYCA, dont la société Palomata, par l'entremise de la SAEM de gestion du Port Vauban, chargée de procéder à la location des emplacements à des usagers occasionnels dont les revenus sont reversés à ces associés, par le biais de ses moyens en personnels et en équipements nécessaires à cette activité. L'activité personnelle a ainsi un point d'attache fixe en France, alors même que la société Palomata ne dispose pas elle-même d'une installation professionnelle permanente en France.

31. Dans ces conditions, les revenus en litige étant imposables en France sur le fondement de l'article 15 de la convention du 1er avril 1958 entre la France et le Luxembourg alors applicable, la société Palomata n'est pas fondée à soutenir que cette convention ferait obstacle à l'application de la retenue à la source en cause, en application de ses articles 18 selon lequel : " Les revenus non mentionnés aux articles précédents ne sont imposables que dans l'État du domicile fiscal du bénéficiaire " et 19 selon lequel : " 1. Les revenus qui, d'après les dispositions de la présente Convention, ne sont imposables que dans l'un des deux États ne peuvent pas être imposés dans l'autre État, même par voie de retenue à la source (...) ".

Sur les pénalités :

32. Aux termes de l'article 1671 A du code général des impôts : " Les retenues prévues aux articles 182 A, 182 A bis et 182 B sont opérées par le débiteur des sommes versées et celle prévue à l'article 182 A ter est opérée par la personne mentionnée au IV dudit article. Les retenues sont remises au service des impôts accompagnées d'une déclaration conforme au modèle fixé par l'administration, au plus tard le 15 du mois suivant celui du paiement (...) ". L'article 1728 du code général des impôts dispose que " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration (...) entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable (...) d'une majoration de : a) 10 % en l'absence de mise en demeure (...) ".

33. Il résulte de l'instruction que la SAEM de gestion du Port Vauban, qui, ainsi qu'il a été dit précédemment, était redevable de la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts, n'a pas remis de déclarations au service des impôts dans le délai prévu à l'article 1671 A du même code. Par suite, le ministre établit le bien-fondé de l'application de la majoration prévue au a de l'article 1728 du code général des impôts. Par ailleurs, l'imposition et les majorations ayant été établies conformément aux dispositions du code général des impôts, la société Palomata ne peut utilement faire valoir qu'elles ont par leur montant un caractère confiscatoire. Dans la mesure où elle aurait, ce faisant, entendu critiquer la conformité de ces dispositions à des principes constitutionnels, ce moyen n'est en tout état de cause pas recevable, dès lors que la requérante n'a pas soulevé de question prioritaire de constitutionnalité par un mémoire distinct, ainsi que l'exige l'article R. 771-3 du code de justice administrative.

34. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir, que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a prononcé la décharge, en droits et majorations, de la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts en litige, résultant des redevances que la SAEM de gestion du Port Vauban a versées à la société Palomata en contrepartie de l'occupation temporaire de son poste à quai, au titre des années 2009, 2010 et 2011. Il y a ainsi lieu d'annuler l'article 1er de ce jugement attaqué et de rétablir, en droits et majorations, cette retenue à la source.

Sur les frais liés au litige :

35. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Palomata demande au titre des frais qu'elle a exposés dans la présente instance d'appel.

36. D'autre part, compte tenu de ce qui a été dit au point 34, il y a lieu de faire droit aux conclusions du ministre tendant à l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Nice a mis à la charge de l'Etat le versement à la société Palomata de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

37. Enfin, dans sa décision de renvoi, le Conseil d'Etat a annulé l'article 5 de l'arrêt ns 19MA04577, 20MA02311 du 6 avril 2021 rejetant les conclusions de la société Palomata tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans le cadre de la requête à fin de sursis à exécution du jugement présentée par le ministre, enregistrée sous le n° 20MA02311, qui a été rejetée par cet arrêt devenu définitif sur ce point. Il n'y a pas lieu, s'agissant de cette requête tendant au sursis à exécution du jugement, de mettre une somme à la charge de l'Etat à verser à la société Palomata au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

Sur les conclusions à fin d'exécution du jugement :

38. Dès lors que, par le présent arrêt, la Cour annule les articles 1er et 2 du jugement du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Nice, les conclusions de la société Palomata tendant à obtenir l'exécution de ce jugement doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1603699 du tribunal administratif de Nice du 27 juin 2019 sont annulés.

Article 2 : La retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts à laquelle la SAEM de gestion du Port Vauban a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011 à raison des redevances qu'elle a versées à la société Palomata, dont les premiers juges ont prononcé la décharge, est rétablie, en droits et majorations.

Article 3 : La société Palomata reversera à l'Etat la somme de 1 500 euros qui lui a été accordée en première instance sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions à fin d'exécution du jugement n° 1603699 du tribunal administratif de Nice du 27 juin 2019 présentées par la société Palomata et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par la même société en défense de la requête tendant au sursis à exécution de ce jugement sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société civile Palomata.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer, à la société anonyme d'économie mixte de gestion du Port Vauban et à la société International Yacht Club d'Antibes (IYCA).

Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, où siégeaient :

- M. Platillero, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Point, premier conseiller,

- M. Mérenne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 juin 2025.

2

N° 24MA00363


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA00363
Date de la décision : 19/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables - Libertés de circulation - Libre prestation de services.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu - Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers - Retenues à la source.


Composition du Tribunal
Président : M. PLATILLERO
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : SCP STIFANI-FENOUD

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-19;24ma00363 ?
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