Vu la requête, enregistrée le 21 septembre 2007, présentée pour Mlle Séverine X, demeurant ..., par Me Curt ; Mlle X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0501221 en date du 12 juillet 2007 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à condamner l'Etat et l'Université Nancy I à lui verser une somme de 170 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à ses droits à la propriété intellectuelle, à ordonner la confiscation en vue de leur destruction, de tous modèles reproduisant les photographies litigieuses, de faire interdiction à l'Etat et à l'Université Nancy I à reproduire, exposer et utiliser les photographies dont elle est l'auteur et d'ordonner la publication du jugement dans cinq journaux aux frais de l'Etat et de l'Université Nancy I ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 11 février 2005 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle et le président de l'Université de Nancy I ont rejeté sa demande d'examen de sa situation ;
3°) de constater que les photographies litigieuses, ayant fait l'objet de la saisie contrefaçon en date du 4 novembre 2003, constituent des contrefaçons des photographies relevant incontestablement de sa propriété intellectuelle aux termes des articles L. 521-1 et L. 521-4 et suivants du code de la propriété intellectuelle ;
4°) de valider la saisie contrefaçon à laquelle il a été procédé à sa demande le 4 novembre 2003 dans les locaux du laboratoire de mécanique et d'ingénierie cellulaire et tissulaire, UMR, CNRS, 7563 LEMTA et IFR 111 Bio Ingénierie CHRS UHP IMPL CHU, faculté de médecine de Nancy, Plateau de Brabois à Vandoeuvre-lès-Nancy ;
5°) de dire et juger que M. Y, Mme Z, M. A et Mlle C, agents publics pour certains d'entre eux, et pour une partie des actes incriminés, ont commis des actes de contrefaçon de sa propriété intellectuelle aux termes des articles L. 521-14 et suivants du code de la propriété intellectuelle ;
En conséquence :
- de faire interdiction aux défendeurs, et à tous intervenants de leur chef, sous astreinte de 5 000,00 euros par infraction constatée, à compter de la signification du jugement, de reproduire, exposer, utiliser sous quelque forme que ce soit les photographies dont elle est l'auteur ;
- d'ordonner la confiscation en vue de leur destruction, en présence d'un huissier de justice aux frais des défendeurs in solidum, de tous modèles reproduisant les caractéristiques des photographies litigieuses ;
- de désigner, s'il échet, tel expert qu'il plaira au tribunal de nommer, afin d'évaluer son préjudice ;
- de condamner in solidum les défendeurs à lui payer une indemnité de
170 000,00 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation des différents chefs de préjudice subis ;
- d'ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir dans cinq journaux de son choix et aux frais des défendeurs in solidum, sans que le coût de chaque insertion puisse excéder la somme de 2 000,00 euros, et ce au besoin à titre de supplément de dommages et intérêts ;
- de condamner in solidum l'Etat et l'Université de Nancy I à lui verser une somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient :
- qu'il est établi que MM. Y et A, Mme Z et Mlle C ont mis des actes caractérisés de contrefaçon de photographies dont la propriété intellectuelle lui revient ;
- que ces personnes, qui ont la qualité d'agent public, ont engagé la responsabilité de l'administration en se rendant coupables d'actes de contrefaçon ;
- qu'elle a subi un préjudice professionnel, tiré de l'impossibilité de réutiliser ses travaux, de l'obstacle à sa valorisation professionnelle qui résulte de ces contrefaçons, et de la remise en question de ses perspectives de carrière, qui doit être évaluée à 100 000 euros ;
- que son préjudice financier s'élève à 50 000 euros ;
- que les faits considérés ont entraîné la dégradation de son état général et justifient l'indemnisation de son préjudice personnel à hauteur de 20 000 euros ;
- que sa demande est recevable ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 janvier 2008, présenté pour l'Université Nancy I par Me Vivier ; l'Université Nancy I conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mlle X au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que la demande de la requérante est irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre elle faute de demande préalable, et, subsidiairement, infondée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2008, présenté par le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui conclut au rejet de la requête et soutient que celle-ci est irrecevable faute d'être accompagnée de la décision attaquée, et, subsidiairement, infondée ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 12 mars 2008, présenté pour Mlle X, qui conclut aux mêmes fins que sa requête ;
Elle soutient en outre que sa requête a été précédée d'une demande préalable formée tant devant le préfet de Meurthe-et-Moselle que devant le président de l'Université Nancy I ;
Vu la correspondance en date du 20 janvier 2009 par laquelle les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de fonder sa décision sur un moyen relevé d'office ;
Vu, enregistrées le 26 janvier 2009, les observations présentées pour l'Université
Nancy I consécutivement à la correspondance de la Cour :
Vu, enregistré le 3 février 2009, le mémoire complémentaire présenté pour Mlle X, qui soutient en outre :
- que la juridiction administrative est compétente pour statuer sur la demande qu'elle lui a soumise, constitutive d'une action en responsabilité dirigée contre l'université à raison de l'atteinte portée à ses droits d'auteur dans l'accomplissement d'une mission de service public administratif, les actes de contrefaçon commis par les agents publics en cause n'étant pas détachables du service ;
Vu le mémoire complémentaire en défense, enregistré le 9 février 2009, présenté pour l'Université Nancy I, qui fait valoir en outre que les demandes en interdiction et confiscation dirigées contre elle sont irrecevables ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 février 2009 :
- le rapport de M. Vincent, président de chambre,
- les observations de Me Glorian, pour Me Curt, avocat de Mlle X, et de Me Vivier, avocat de l'Uuniversité Henri Poincaré - Nancy I,
- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public ;
Sur l'étendue et la nature des conclusions de Mlle X :
Considérant que les conclusions susénoncées de Mlle X doivent être regardées comme tendant à la condamnation de l'Etat et de l'Université Nancy I à réparer le préjudice subi sur le fondement de la faute procédant de l'atteinte portée à ses droits à la propriété intellectuelle par divers agents publics dans l'exercice de leur activité professionnelle ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant que, hormis le prononcé des mesures conservatoires prévues par le code de la propriété intellectuelle et sous réserve des autres dispositions dudit code attribuant expressément compétence aux juridictions de l'ordre judiciaire, la juridiction administrative est seule compétente pour se prononcer sur le fond de l'action en responsabilité à raison de la violation du droit à la propriété intellectuelle par une personne publique ; qu'il s'ensuit que le jugement attaqué doit être annulé en tant que les premiers juges se sont déclarés incompétents pour connaître de l'action en responsabilité dirigée contre l'Etat et l'Université Nancy I en tant qu'elle est fondée sur l'existence de contrefaçons auxquelles certains agents se seraient livrés dans l'exercice de leurs fonctions ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que Mlle X fait grief au jugement attaqué d'avoir fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par M. Y, Mme Z, M. A et Mlle C tirée de l'incompétence du Tribunal administratif de Nancy pour statuer sur sa requête, motif pris de ce que Mlle C n'aurait plus la qualité d'agent de l'Etat ; qu'il ressort toutefois de l'examen de son jugement que le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce point, que ce soit directement ou indirectement ; que les personnes précitées, qui n'étaient au demeurant pas parties à l'instance engagée par Mlle X devant le Tribunal administratif de Nancy et n'avaient d'ailleurs pas à l'être, s'agissant d'actes non détachables du service, n'ont au surplus déposé aucun mémoire en ce sens ; qu'il s'ensuit que le moyen doit être écarté ;
Sur les conclusions de Mlle X dirigées contre l'Etat :
Considérant que la seule circonstance que M. Y, Mme Z, M. A et Mlle C aient la qualité d'agents de l'Etat, les premiers en tant que fonctionnaires de l'Etat et la dernière en tant qu'allocataire de recherche sous contrat conclu avec le recteur de l'académie de Nancy-Metz agissant au nom de l'Etat, ne saurait engager la responsabilité de ce dernier à raison des actes commis par les intéressés dans l'exercice de leurs fonctions de chercheurs scientifiques, dès lors que celles-ci étaient effectuées exclusivement pour le compte de l'Université Nancy I à laquelle ils étaient affectés ;
Sur les conclusions de Mlle X dirigées contre l'Université Nancy I :
Sans qu'il soit besoin d'examiner le fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande de l'intéressée pour défaut de liaison du contentieux :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle : L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété intellectuelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. ; qu'aux termes de l'article L. 112-2 dudit code : « Sont considérés notamment comme oeuvres de l'esprit au sens du présent code : 1° Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ... 9° Les oeuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie ... » ; qu'en vertu de l'article L. 121-1 de ce code, l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, ce droit étant attaché à sa personne ; qu'enfin, aux termes des articles L. 121-2 et L 122-4 dudit code : L'auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre... et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou des ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ;
Considérant que Mlle X, étudiante, a, dans le cadre de la préparation de sa thèse de doctorat au sein du laboratoire de mécanique et d'ingénierie cellulaire et tissulaire de la faculté de médecine de l'Université Nancy I dirigé par M. Y, réalisé des images sous l'application du Cellscan, qui est un microscope électronique associé à un dispositif de déplacement axial nanométrique et à de puissants algorithmes de restauration et de reconstruction d'images ; que le traitement informatique desdites images permet d'obtenir des images monoplan positives, c'est-à-dire avec objet blanc sur fond noir, exploitables pour une diffusion sous forme de publications ou de présentation lors du congrès ;
Considérant que Mlle X, qui avait laissé au laboratoire précité cinq de ces images à l'exclusion de tout autre document avant son départ aux Etats-Unis pour poursuivre ses recherches entre septembre 1998 et mars 2000, recherche la responsabilité de l'Université Nancy I pour avoir laissé diffuser sans son consentement les images litigieuses dans diverses publications mentionnant ou non son nom ou lors de congrès, puis laissé une autre doctorante les utiliser pour ses propres travaux, en violation des droits attachés à sa propriété intellectuelle sur ces photos ;
Considérant, toutefois, que la protection des droits d'auteur instituée par les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle ne porte que sur les éléments présentant un caractère original ; qu'il n'en n'est pas ainsi s'agissant de photographies prises par l'intéressée, qui ne sont que la représentation objective de phénomènes biologiques, qui ne présente en elle-même aucune originalité alors même que les phénomènes photographiés seraient reproduits dans des conditions qui n'ont rien de naturel dès lors que les cellules utilisées pour cette opération résulteraient d'une préparation technique préalable ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mlle X n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa requête tendant à engager la responsabilité de l'Etat et de l'Université Nancy I à raison de l'atteinte portée à sa propriété intellectuelle ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mlle X tendant à faire interdiction aux défendeurs de reproduire, exposer ou utiliser lesdites photographies, à ordonner la confiscation en vue de leur destruction de tous modèles reproduisant les caractéristiques des photographies litigieuses et à ordonner la publication du dispositif du présent arrêt dans cinq journaux aux frais des défendeurs doivent en tout état de cause être rejetées ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de l'Université Nancy I, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, la somme que demande Mlle X au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mlle X la somme que demande l'Université Nancy I au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nancy en date du 12 juillet 2007 est annulé en tant qu'il s'est reconnu incompétent pour statuer sur la responsabilité de l'Etat et de l'Université Nancy I à raison de contrefaçons.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mlle X est rejeté ainsi que les conclusions de l'Université Nancy I tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mlle Séverine X, à l'Université de Nancy I et au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
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N° 07NC01327