Vu la requête, enregistrée le 11 janvier 2011, présentée pour M. Ahmed A, demeurant ..., par Me Mugerin ;
M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0702241 du 18 novembre 2010 du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande en condamnant le centre hospitalier universitaire de Reims à lui verser une somme de 42 000 euros au titre du préjudice financier, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, sous déduction de la provision de 80 000 euros déjà versée en application de l'ordonnance du 26 juin 2008 du président de la cour administrative d'appel de Nancy, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2007 ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Reims à lui verser une somme de 63 580,57 euros au titre de son préjudice financier, une somme de 7 500 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence, une somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral et une somme comprise entre 20 704 et 30 688 euros au titre du rachat des cotisations de retraite, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2007 ;
3°) d'enjoindre au centre hospitalier universitaire de Reims de payer les sommes dues dans les deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à Me Mugerin en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
Il soutient que :
- ses demandes de première instance, précisément chiffrées, étaient recevables ;
- étant très impliqué dans la vie estudiantine au sein de l'IRFMEM, puisqu'il était le responsable de sa promotion et le correspondant régional du président de la commission étudiant de l'association française du personnel paramédical d'électroradiologie, il ne pouvait pas être considéré comme un élément perturbateur ;
- son dommage, direct et certain, n'est pas sérieusement contestable et doit être intégralement réparé : il a été contraint de suspendre sa formation pendant plus de trois ans du fait de la décision illégale ; il a perdu une chance sérieuse de répondre dès 2003 aux nombreuses offres d'emploi dont il bénéficiait ; il a dû cumuler plusieurs emplois peu qualifiés durant sa période d'éviction, pour atteindre un niveau de rémunération compatible avec ses besoins matériels, alors qu'il bénéficiait d'une bourse pour le financement de ses études en 2001-2002 ; il a perçu des revenus peu élevés pendant sa période d'éviction, et a donc, pendant cette période, cotisé pour sa retraite future à un niveau inférieur à celui correspondant à son diplôme ; le rachat de trimestres est coûteux et quatre trimestres sont irrécupérables, car le rachat n'est possible que dans la limite de 12 trimestres ; il a droit à une somme comprise entre 20 704 et 30 688 euros au titre de ses droits futurs à retraite ;
- la réalité de sa perte de chance est établie, comme en attestent ses résultats et les appréciations des évaluateurs, et le redoublement, le passage lors de sessions de rattrapage ou des notes inférieures à la moyenne à telle ou telle épreuve ne remettent pas en cause les qualités des étudiants ;
- dès lors que les offres d'emploi proposaient une rémunération indicative moyenne de 1 887 euros, il a droit à une somme de 63 580,57 euros au titre de son préjudice financier ;
- il a droit à une somme de 7 500 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence ;
- il a droit à une somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral, consistant en une atteinte à sa personnalité et à sa réputation, alors que les appréciations de ses évaluateurs pendant ses stages de formation accomplis aux mois de septembre 2005 à juin 2007 étaient très favorables, et que les tableaux de notes de contrôle continu de 2ème année et de 3ème année démontraient qu'il était en bonne voie pour obtenir son diplôme ; la sanction dont il a fait illégalement l'objet était très discriminatoire ; il a subi l'effet de la décision illégale pendant trois ans et quatre mois et n'a obtenu son diplôme que le 27 juin 2007, dès la première session, au lieu du 26 juin 2003 ; il ne pouvait pas, après trois ans d'interruption, reprendre ses études au 2 mai 2005, du fait notamment de l'évolution des disciplines dans lesquelles exercent les manipulateurs d'électroradiologie médicale ;
- il a droit à une somme de 4 279,68 euros au titre de l'emprunt qu'il a dû contracter pour financer la fin de ses études ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu l'ordonnance du 1er juin 2011 du magistrat délégué par le président de la troisième chambre de la Cour fixant la clôture de l'instruction de la présente instance au 23 juin 2011 à 16 heures ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2011, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Reims par la SELAS Cabinet Devarenne Associés, qui conclut :
1°) au rejet de la requête de M. A ;
2°) par voie d'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a fait droit aux conclusions de M.A et au rejet de la demande de ce dernier devant le tribunal ;
3°) à ce que soit mise à la charge de M. A une somme de 2 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés :
- la requête d'appel est irrecevable, M. A s'étant borné à reproduire littéralement le texte de ses mémoires de première instance ;
- la requête de première instance était irrecevable, dès lors que M. A demandait une somme d'un montant plus élevé et des postes de réclamation autres que ceux sollicités dans le cadre de sa demande préalable ;
- l'appelant est de mauvaise foi ;
- la demande de l'appelant au titre de l'emprunt prétendument contracté devait être rejetée, dès lors que le document produit ne constitue qu'une offre préalable de prêt, que la partie acceptation de l'offre n'est pas signée, que le document n'est pas daté et qu'il n'est pas établi que l'offre en cause était destinée à financer les études de l'intéressé ;
- la perte de chance de M. A d'obtenir son diplôme n'est pas établie et ne saurait donc être indemnisée ; la perte de chance de l'intéressé d'entrer dès 2003 dans la vie active n'est pas davantage établie, et ne saurait donc davantage être indemnisée ;
- la somme de 1 887 euros avancée par l'appelant n'est pas une rémunération indicative moyenne ; la décision d'exclusion ayant été annulée le 14 décembre 2004, le manque à gagner sur 5 années (2003 à 2007) n'est pas justifié ;
- les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral ne sont pas établis ;
- le préjudice tiré du rachat de trimestres de cotisations retraite ne peut pas être indemnisé, l'intéressé ne l'ayant pas invoqué dans sa demande préalable ; les sommes réclamées sont au surplus fantaisistes ;
Vu l'ordonnance du 16 juin 2011 du magistrat délégué par le président de la troisième chambre de la Cour portant réouverture de l'instruction ;
Vu le mémoire en réplique, enregistrée le 14 septembre 2011, présentée pour M. A, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;
Il soutient en outre que sa requête d'appel est recevable ;
Vu le mémoire, enregistré le 18 septembre 2011, présenté pour M. A ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 septembre 2011 :
- le rapport de M. Favret, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Dulmet, rapporteur public,
- et les observations de Me Mugerin, avocat de M. A, et de Me Keyser pour la Selas cabinet Devarenne Associés, avocat du centre hospitalier universitaire de Reims ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier universitaire de Reims :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : La juridiction est saisie par requête. La requête ...contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ; que si le centre hospitalier universitaire de Reims soutient que la requête d'appel de M. A est irrecevable, l'intéressé s'étant borné, devant la Cour, à reproduire littéralement le texte de ses mémoires de première instance, il ressort des écritures de l'intéressé qu'il a critiqué le raisonnement du tribunal en réclamant des sommes supérieures à celles qui lui ont été accordées par les premiers juges, et en soutenant notamment que les ces derniers n'ont pas suffisamment motivé le rejet de ses conclusions tendant à obtenir la condamnation du CHU de Reims selon les chiffres qu'il a abondamment justifiés et ont fait une appréciation imprécise et erronée de son préjudice; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier universitaire régional de Reims doit être écartée ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
Considérant qu'il y a lieu d'adopter les motifs retenus par les premiers juges, qui ont écarté la fin de non recevoir tirée de ce que M. A avait demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Reims à lui verser une somme de 63 580, 57 euros au titre du préjudice tiré du manque à gagner résultant de l'irrégularité de son éviction, alors que la demande préalable en date du 15 juin 2007 ne faisait état que d'une somme de 63 215,21 euros ;
Considérant qu'en jugeant que M. A n'était pas recevable à demander la condamnation du centre hospitalier universitaire de Reims à lui payer une somme au titre du préjudice allégué, tiré du rachat de trimestres de cotisations à l'assurance retraite et de la perte de quatre trimestres irrécupérables, le tribunal a commis une erreur de droit, dès lors, d'une part, qu'une demande de réparation complémentaire d'un manque à gagner relatif à une pension de retraite doit être regardée comme portant sur une aggravation du préjudice initial de perte de rémunération dont la réparation a été initialement demandée à l'administration et, d'autre part, que le manque à gagner relatif à la pension de retraite, qui peut être évalué en tenant compte de l'espérance de vie de l'intéressé, ne peut être regardé comme ne présentant pas un caractère certain ; que M. A est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté ses conclusions tendant à condamner le centre hospitalier universitaire de Reims à lui payer une somme comprise entre 20 704 et 30 688 euros au titre de ses droits futurs à retraite ;
Sur la réparation des pertes de chance :
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que la décision en date du 30 avril 2002, annulée par jugement devenu définitif du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 14 décembre 2004, par laquelle le directeur technique de l'Institut régional de formation de manipulateur d'électroradiologie médicale de Reims, dépendant du Centre hospitalier universitaire, a privé M. A des chances sérieuses qu'il avait d'obtenir son diplôme dès l'année 2003, alors qu'il ne l'a obtenu qu'en juin 2007 après sa réintégration en deuxième année en août 2005 ; que les circonstances notamment que l'intéressé avait redoublé sa deuxième année de formation, et qu'il n'avait pu valider sa première année qu'à l'issue de la session de rattrapage, ne sont pas de nature à remettre en cause la réalité de cette perte de chance ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que la décision précitée du 30 avril 2002 a également privé M. A des chances sérieuses qu'il avait, compte tenu des offres d'emplois faites à l'époque dans la spécialité de manipulation d'électroradiologie médicale, de trouver un emploi dès 2003 ;
Considérant que le préjudice de M.A lié à cette perte de chance doit être évalué en considération d'un retard de trois ans dans l'obtention de son diplôme, et non de quatre ans come le soutient l'intéressé, dès lors qu'il aurait pu, s'il n'avait pas redoublé cette même année, l'obtenir dès l'année 2006 ; que le requérant n'établit par ailleurs pas que les offres d'emploi dont il disposait correspondraient à une rémunération indicative moyenne de 1 887 euros par mois ; que, dans ces conditions, les premiers juges n'ont pas fait une appréciation insuffisante de la créance que M. A détient à ce titre sur le centre hospitalier universitaire de Reims en condamnant cet établissement à lui verser une somme de 32 000 euros au titre de la perte de chance sus rappelée, sous déduction de la provision de 80 000 euros déjà versée en application de l'ordonnance du 26 juin 2008 du président de la cour administrative d'appel de Nancy ; qu'il y a également lieu, compte tenu de ce qui a été dit plus haut, de condamner le centre hospitalier à verser à M. A une somme au titre du préjudice tiré du rachat de trimestres de cotisations à l'assurance retraite ; que, toutefois, eu égard à ce qui précède, et notamment à la durée de trois ans au terme de laquelle l'intéressé aurait pu obtenir son diplôme, le mode de calcul de son préjudice qu'il présente ne peut être retenu ;qu'il sera fait une juste appréciation de la créance que M. A détient à ce titre sur le centre hospitalier en condamnant cet établissement à lui verser une somme de 15 000 euros ; qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier régional universitaire de Reims doit être condamné à verser au requérant la somme totale de 47 000 euros en réparation du préjudice né de sa perte de chance;
Sur la réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :
Considérant, d'une part, que l'exclusion illégale dont M. A a été l'objet est la cause directe de troubles dans ses conditions d'existence, l'intéressé ayant dû notamment cumuler plusieurs emplois durant sa période d'éviction, alors qu'il bénéficiait d'une bourse pour le financement de ses études en 2001-2002 ;
Considérant, d'autre part, que la décision d'exclusion a également entraîné pour M. A un préjudice moral dont il est fondé à demander la réparation ;
Considérant toutefois que les premiers juges n'ont pas fait une appréciation insuffisante de ces chefs de préjudice en condamnant le centre hospitalier régional universitaire de Reims à lui verser une somme de 10 000 euros à ce titre ;
Sur l'emprunt contracté :
Considérant qu'il y a lieu d'adopter le motif retenu par les premiers juges qui ont estimé que M. A n'avait pas établi l'existence d'un lien direct et certain entre l'obligation qu'il a eue de contracter un emprunt en février 2006 et la décision d'exclusion dont il a fait l'objet, et que sa demande tendant à la réparation de ce chef de préjudice devait donc être rejetée ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A est fondé à demander la réformation du jugement attaqué, en tant qu'il a limité à 42000 euros la réparation due au titre du préjudice financier, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, sous déduction de la provision de 80 000 euros déjà versée en application de l'ordonnance du 26 juin 2008 du président de la cour administrative d'appel de Nancy, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2007 ; que l'appel incident du centre hospitalier doit être également rejeté ;
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relatives à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;que, toutefois, ces dispositions ne peuvent trouver application en l'espèce dès lors que M.A n'a déposé aucune demande d'aide juridictionnelle ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims une somme de 1 500 euros à verser à M.A en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que les dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le centre hospitalier universitaire de Reims au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
Article1er : La somme de 42000 euros que le centre hospitalier universitaire de Reims a été condamné à verser à M. A par le jugement du tribunal administratif de Châlons-en Champagne du 18 novembre 2010 est portée à 57 000 euros.
Article 2 :Le jugement du 18 novembre 2010 du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Reims versera à M. A, une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.
Article 5 : L'appel incident et les conclusions du centre hospitalier universitaire de Reims au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Ahmed A et au centre hospitalier universitaire de Reims.
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