Vu la requête, enregistrée le 8 janvier 2010, présentée par la SARL NORMA, dont le siège est 9 rue de Rochefort, porte 3, zone Eurofret à Strasbourg (67100), représentée par Me Koenig ; la SARL NORMA demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 17 décembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge et la restitution de la taxe sur les achats de viande acquittée par elle au titre des années 2001 à 2003 ;
2°) de prononcer en sa faveur la décharge des taxes sur les achats de viande 2001, 2002 et 2003, d'un montant de 3 145 558 euros et, corrélativement, des intérêts moratoires d'un montant de 211 232 euros qui lui ont été octroyés en complément du remboursement d'un montant de 2 852 617 euros regardé comme indus ;
3°) d'ordonner que lui soit payé le solde initialement dégrevé et non remboursé au titre de 2003, d'un montant de 292 941 euros, avec intérêts moratoires à compter de la décision initiale de dégrèvement du 15 septembre 2004 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que, bien qu'ayant obtenu le dégrèvement total et le remboursement partiel de la taxe sur les achats de viande acquittée au titre des années 2001, 2002 et 2003, les sommes correspondantes ont été remises à sa charge alors même qu'elle en avait obtenu le dégrèvement total constaté par des ordonnances de non-lieu du 5 novembre 2004 et que, donc, les contentieux fiscaux y afférents étaient définitivement clos ; qu'elle est fondée à se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80A du livre des procédures fiscales, ensemble, de la déclaration du 17 octobre 2003 du ministre du budget au Parlement, au regard de laquelle le jugement est entaché d'une omission à statuer, de la note de l'administration fiscale du 6 janvier 2004 et des décisions de dégrèvements dont elle a bénéficié des 15 et 22 septembre 2004 , dont elle est également fondée à se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80B ; que la dernière procédure constitue un retrait tardif, donc illégal, des précédents dégrèvements ; qu'à compter du 1er janvier 2001, la taxe sur les achats de viande a été illégalement mise en oeuvre en infraction de l'article 88-3 CE ; que, même réformée par l'article 35 de la loi 2000-1353 du 30 décembre 2000, cette taxe était constitutive d'une aide d'Etat incompatible avec l'article 87 CE ; qu'elle méconnaît également le principe général pollueur-payeur ; qu' en outre, le rétablissement de l'imposition viole les articles 6§1 de la CEDH et l' article premier du premier protocole à cette convention ;
Vu le mémoire, enregistré le 8 avril 2010, présenté par le ministre du budget des comptes publics et de la réforme de l'Etat ; le ministre conclut au rejet de la requête en soutenant que ses moyens ne sont pas fondés ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance du président de la 2ème chambre en date du 13 juillet 2011, fixant la clôture de l'instruction au 18 août 2011 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble son premier protocole additionnel ;
Vu le traité instituant l'Union européenne ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 novembre 2011 :
- le rapport de M. Commenville, président de chambre,
- les conclusions de M. Féral, rapporteur public,
- et les observations de Me Koenig, avocat de la SARL NORMA ;
Considérant que la SARL NORMA, après avoir, conformément aux dispositions de l'article 302 bis ZD du code général des impôts alors en vigueur, déclaré la valeur de ses achats et payé la taxe sur les achats de viande au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2003, en a demandé la restitution par trois réclamations des 6 et 10 décembre 2002 et 17 février 2003 ; qu' en l'absence de décisions de l'administration la requérante a saisi le Tribunal administratif de Strasbourg qui a prononcé sur sa demande un non-lieu à statuer le 5 novembre 2004, compte tenu des dégrèvements intervenus les 22 septembre 2004 (années 2001 et 2002) et 15 septembre 2004 (année 2003) d'un montant total de 3 145 559 euros ; que l'administration a procédé, le 27 octobre 2004, à la restitution de ces sommes, assorties des intérêts moratoires, la différence de 292 941 euros relative à l'année 2003, dont la restitution ressortissait à la compétence de la direction des services fiscaux du Bas-Rhin, n'ayant pas été remboursée ; que l'administration ayant ultérieurement informé la SARL NORMA qu'elle entendait annuler comme étant infondées ses décisions susmentionnées de dégrèvements et restitutions a adressé à l'intéressée deux propositions de rectification en date des 20 décembre et 30 décembre 2004, puis notifié à la redevable, le 18 décembre 2007, un avis de mise en recouvrement portant sur les sommes qui avaient été restituées, y compris les intérêts moratoires ; que, par décision du 8 juillet 2008, l'administration a rejeté la réclamation de la contribuable tendant au dégrèvement du rappel de taxe ainsi mis en recouvrement ; que la SARL NORMA relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu'il ressort du jugement contesté que le Tribunal n'a pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, soulevé par la société requérante tiré de ce qu'elle était fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80A du livre des procédures fiscales, de la prise de position exprimée par le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire lors de la séance de l'Assemblée nationale du 17 octobre 2003 ; que, par suite, la SARL NORMA est fondée à soutenir que le jugement qu'elle critique est entaché d'une omission à statuer et à en demander, pour ce motif, l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SARL NORMA devant le Tribunal administratif de Strasbourg ;
Sur les conclusions à fin de décharge des impositions, sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité en tant qu'elles portent sur un montant de 292 941 euros au titre de l'année 2003 :
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, comme il est dit ci-dessus, qu'à la suite de ses réclamations des 6 et 10 décembre 2002 et 17 février 2003, l'administration a prononcé le dégrèvement les 22 septembre 2004 et 15 septembre 2004 des droits de taxe sur les achats de viande déclarés et acquittés par la SARL NORMA au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2003, puis, à l'issue d'une procédure de redressement contradictoire, émis un nouvel avis de mise en recouvrement, le 18 décembre 2007, portant sur les sommes qui avaient été restituées y compris les intérêts moratoires en exécution de ces dégrèvements ; que, contrairement à ce que soutient la requérante, l'administration a pu, sans commettre d'irrégularité, et sans méconnaître le principe de sécurité juridique établir ce nouvel avis portant sur des droits à l'égard desquels la prescription n'était pas acquise, alors même que ceux-ci reposaient sur le même fondement légal que ceux dont le dégrèvement avait précédemment été prononcé ; que, ce faisant, dès lors que le délai de reprise n'était pas expiré, elle n'a pas non plus méconnu les règles régissant le retrait des décisions administratives, qui ne trouvent pas à s'appliquer dans le domaine du plein contentieux fiscal ; que, pour les mêmes raisons, la procédure susmentionnée de reprise ne méconnaît pas davantage, en tout état de cause, les stipulations du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole à cette convention ;
En ce qui concerne le bien fondé des impositions :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne : Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ; qu'aux termes de l'article 88 du même traité : 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. (...) / 2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87 (...) elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier (...) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ;
Considérant qu'il résulte de ces stipulations que, s'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission européenne de décider, sous le contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes, si une aide de la nature de celles mentionnées à l'article 87 du traité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par ce traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité de dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres le paragraphe 3 de l'article 88 du traité, d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet ; que l'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions dont l'application est contestée instituent un régime d'aide, ou si une taxe fait partie intégrante d'une telle aide ;
Considérant qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, d'une part, que les taxes n'entrent pas dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, à moins qu'elles constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de sorte qu'elles font partie intégrante de cette mesure, d'autre part que, pour que l'on puisse juger qu'une taxe, ou une partie d'une taxe, fait partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide ;
Considérant que l'article 1er de la loi du 26 décembre 1996 relative à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs et modifiant le code rural a inséré dans le code général des impôts un article 302 bis ZD instituant, à compter du
1er janvier 1997, une taxe sur les achats de viande due par les personnes qui réalisent des ventes au détail de viande, dont le produit était affecté à un fonds faisant l'objet d'une comptabilité distincte, ayant pour objet de financer la collecte et l'élimination des cadavres d'animaux et des saisies d'abattoirs reconnus impropres à la consommation humaine et animale, activités correspondant au service public de l'équarrissage défini à l'article 264 du code rural en vigueur au cours des années d'imposition en litige ; que le II de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000, entré en vigueur le
1er janvier 2001, a limité à la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2000 l'affectation de la taxe sur les achats de viande au fonds mentionné ci-dessus ; qu'en conséquence, à compter du 1er janvier 2001, en l'absence de dispositions prévoyant l'affectation de cette taxe, celle-ci est devenue une recette du budget général de l'Etat ; qu'à compter de cette même date, le service public de l'équarrissage a été financé au moyen d'une dotation inscrite au budget général de l'Etat ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, en vigueur au cours des années d'imposition en litige : Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont imputées à un compte unique, intitulé budget général ; qu'en vertu du principe à valeur constitutionnelle d'universalité budgétaire résultant de ces dispositions, les recettes et les dépenses doivent figurer au budget de l'Etat pour leur montant brut, sans être contractées, et l'affectation d'une recette déterminée à la couverture d'une dépense déterminée est interdite, sous réserve des exceptions prévues au second alinéa de l'article 18 ; qu'en application de ce principe et de la législation nationale relative à la taxe sur les achats de viande, et sans qu'il soit besoin de se référer aux travaux parlementaires dont est issu l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000, à compter du 1er janvier 2001, il n'existait juridiquement aucun lien d'affectation contraignant entre la taxe et le service public de l'équarrissage, et aucun rapport entre le produit de la taxe et le montant du financement public attribué à ce service ; qu'en exécution des règles ainsi applicables, à compter de cette même date, la taxe sur les achats de viande était une recette du budget général, dépourvue de tout lien avec le budget du ministère de l'agriculture et la dotation inscrite à ce budget servant à financer le service public de l'équarrissage ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, depuis le 1er janvier 2001, il n'existait aucun lien d'affectation contraignant entre la taxe sur les achats de viande et le service public de l'équarrissage ; que la taxe sur les achats de viande n'entrant pas, ainsi, à compter du 1er janvier 2001, dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, la SARL NORMA ne peut invoquer, au soutien de sa demande en décharge de l'imposition en litige, une éventuelle méconnaissance par les autorités françaises, à l'occasion de la modification du mode de financement du service public de l'équarrissage résultant des dispositions de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000, des obligations qu'imposent la première et la dernière phrases du paragraphe 3 de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne ;
Considérant, en deuxième lieu, que la taxe sur les achats de viande n'assurant pas dans le cadre d'un lien d'affectation contraignant, à compter du 1er janvier 2001, le financement du service public de l'équarrissage, le moyen de la société tiré de la méconnaissance du principe pollueur-payeur doit être écarté ;
Considérant, en troisième lieu, que la note du 6 janvier 2004 émanant du service juridique de la direction générale des impôts présente le caractère d'un document interne à l'administration qui n'a pas fait l'objet de la part de celle-ci d'une diffusion destinée aux contribuables ; que, dès lors, elle ne peut être utilement invoquée sur le fondement des dispositions de l'article L. 80A du livre des procédures fiscales ; que la société ne saurait, en tout état de cause, davantage se prévaloir, sur le même fondement, des propos tenus par le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire lors de la séance de l'Assemblée Nationale du 17 octobre 2003, qui ne constituent pas une interprétation d'un texte fiscal formellement admise par l'administration, ni davantage des décisions de dégrèvements du 27 octobre 2004 qui n'étaient pas motivées ;
Considérant, en quatrième lieu, que la SARL NORMA n'est pas davantage fondée à soutenir sur le fondement de l'article L. 80B du livre des procédures fiscales que la décision de dégrèvement non motivée susmentionnée du 27 octobre 2004, afférente aux cotisations de taxe sur les achats de viande initialement déclarées et acquittées au titre de la période d'imposition en litige, constituerait une prise de position formelle de l'administration sur l'appréciation d'une situation de fait au regard du texte fiscal ;
Considérant, en dernier lieu, que la société requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à invoquer une méconnaissance par l'administration des principes de sécurité juridique et de confiance légitimes consacrés par le droit communautaire à l'encontre de cotisations de taxe sur les achats de viande et de procédures de redressements uniquement régies par la loi fiscale interne ;
Sur les conclusions tendant à ce que soit ordonné le paiement de la somme de 292 941 euros avec intérêts moratoires au titre de l'année 2003 en complément d'exécution de la de la décision de dégrèvement du 15 septembre 2004 :
Considérant que l' exécution du présent arrêt, qui rejette les conclusions de la SARL NORMA tendant à la décharge des impositions qui ont été remises à sa charge après dégrèvement, n'impliquent pas, au vu des moyens invoqués, que soit ordonné le paiement de la somme de 292 941 euros avec intérêts moratoires au titre de l'année 2003 en complément d'exécution de la de la décision de dégrèvement du 15 septembre 2004 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l' Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SARL NORMA demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0803964 du 17 décembre 2009 du Tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : La demande de la SARL NORMA présentée devant le Tribunal administratif de Strasbourg, ensemble ses demandes tendant à l'application des dispositions de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3. : Le présent arrêt sera notifié à la société SARL NORMA et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du gouvernement.
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N° 10NC00034