Vu la requête, enregistrée le 8 juin 2006, complétée par mémoire enregistré le 10 novembre 2006, présentée pour Mme Marguerite A demeurant ..., par Me Mor, avocat ; Mme A demande la Cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 28 mars 2006 par lequel le Tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision en date du 9 février 2004 par laquelle le ministre de la santé et de la protection sociale a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser diverses indemnités en réparation des préjudices consécutifs à une vaccination contre l'hépatite B et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser une rente annuelle de 12 000 € pour la période allant du 16 juin 1991 au 1er octobre 1996 et de 25 000 € à compter du 1er octobre 1996, ainsi qu'une somme de 30 000 € en réparation de ses préjudices liés aux troubles de l'existence et à une perte de chance ;
2°) d'annuler la décision de rejet prise le 9 février 2004 et condamner l'Etat à lui verser les sommes susmentionnées , les intérêts légaux pour la rente à partir du 16 juin 1991 au fur et à mesure de son exigibilité et, pour le surplus, à compter de la date de sa demande du 31 mars 2003 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les frais d'expertise ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article L. 761-1 du code justice administrative ;
Mme A soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que la décision du 9 février 2004 était légale, alors qu'elle n'est pas motivée au regard de la loi du 11 juillet 1979 et qu'elle entachée d'une erreur d'appréciation des faits ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le lien de causalité entre ses pathologies et la vaccination n'était pas suffisamment démontré ;
- l'expertise du docteur Dupond est irrégulière, car elle n'a pas été contradictoire et elle avait déjà été examinée en septembre 1995 par le praticien ; l'expertise n'est ni pertinente ni fondée, l'expert n'ayant pas de compétence en matière de pharmaco-vigilance et n'ayant pas justifié ses affirmations péremptoires ;
- la contre-expertise établie par le docteur Girard démontre, en revanche, le lien de causalité entre la vaccination et l'apparition des maladies ; il indique que les séquences chronologiques entre les injections vaccinales et les premières manifestations pathologiques sont particulièrement évocatrices d'un processus dysimmunitaire ;
- le diabète est apparu moins de deux mois après la vaccination ;
- contrairement à ce qu'indique le tribunal, la sclérose en plaques n'est pas apparue tardivement mais s'est manifestée sous la forme d'un état dépressif ; elle n'avait pas d'antécédents personnels et familiaux ; aucune autre cause n'explique la survenue de ce type de maladie ;
- le tribunal ne pouvait écarter le lien de causalité, au seul motif que l'étiologie de la sclérose en plaques n'est pas connue ; il est incohérent scientifiquement d'exiger un lien certain entre les pathologies et l'obligation vaccinale, qui ne résulte pas des textes ; en retenant qu'il ne résultait pas de l'instruction que la survenance de sa sclérose en plaques était, avec certitude, directement imputable à sa vaccination contre l'hépatite B, les premiers juges ont ajouté une exigence non prévue par la loi, écartée par le milieu scientifique et la jurisprudence ; un faisceau d'indices conduit à retenir un lien de causalité suffisant entre la vaccination et la survenue de la sclérose en plaques ;
- les chefs de préjudice sont établis ; son invalidité qui est importante, a eu de graves répercussions professionnelles et l'a contrainte à prendre une retraite anticipée le 1er avril 1997 ; le pretium doloris est très important et le préjudice relatif aux troubles dans les conditions d'existence considérable ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 août 2006, présenté par le ministre de la santé et des solidarités ; le ministre conclut au rejet de la requête de Mme A ; il fait valoir que :
- il ressort de l'expertise du professeur Dupond que les troubles présentés par Mme A ne sont pas en relation directe avec la vaccination contre l'hépatite B ;
- le diabète n'est pas dans la liste des pathologies susceptibles d'être observées à la suite d'une vaccination contre hépatite B et ne peut être considéré comme une complication du vaccin ;
- le diagnostic de sclérose en plaques n'a été posé que deux ans après l'injection de rappel ; enfin, l'examen neurologique de la requérante était normal en septembre 1995 et en août 2000 ;
- l'expertise du docteur Girard ne permet pas d'établir avec certitude le lien d'imputabilité entre les troubles de santé de la requérante et les vaccins ;
Vu la décision du président du bureau d'aide juridictionnelle accordant l'aide juridictionnelle partielle à Mme A au taux de 25 % ;
Vu l'arrêt du Conseil d'Etat n° 3240510 en date du 25 février 2011, qui annule l'arrêt de la Cour en date du 15 mars 2007 ;
Vu le mémoire présenté pour Mme A, enregistré le 3 octobre 2011, complété le 30 novembre 2011 par Me Mor, avocat tendant aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens à savoir, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité provisionnelle de 625 000 €, avant dire droit, d'ordonner une expertise afin de déterminer ses préjudices, de condamner l'Etat à lui rembourser les frais d'expertise, soit 6 027,84 €, de dire que ces sommes porteront intérêt au jour de la première demande, soit au mois de février 1999 et d'ordonner la capitalisation desdits intérêts à compter du mois de février 2000, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Vu les pièces du dossier desquelles il ressort que la requête a été communiquée à la Caisse primaire d'assurance maladie de Besançon les 3 juillet 2006 et 17 mars 2011, pour laquelle il n'a pas été présenté d'observations ;
Vu l'ordonnance fixant la clôture de l'instruction au 17 octobre 2011 ;
Vu la production du ministre de la santé et des solidarités enregistrée le 17 février 2012 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 avril 2012 :
- le rapport de Mme Rousselle, président,
- les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public,
- et les observations de Me Mor, avocat de Mme A ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 3111-4, anciennement article L. 10 du code de la santé publique : "Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention ou de soins, exerce une activité professionnelle l'exposant à des risques de contamination doit être immunisée contre l'hépatite B (...)." ; qu'aux termes de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique, dans sa rédaction d'origine : "Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation d'un dommage imputable directement à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre est supportée par l'Etat. (...)"
Considérant qu'il résulte de l'instruction, soit du rapport d'expertise réalisée en 2000 par le professeur Dupond et de la contre-expertise réalisée en 2002 par le docteur Girard, que Mme A, qui n'avait manifesté aucun symptôme de sclérose en plaques antérieurement aux injections vaccinales contre l'hépatite B réalisées dans le cadre de son activité professionnelle, a fait l'objet de quatre injections de vaccination les 23 avril 1991, 22 mai 1991, 20 août 1991 et 4 juin 1992 ; qu'en juillet 1991 un diabète de type I nécessitant une hospitalisation a été diagnostiqué; qu'en août 1992, elle a présenté des désordres neurologiques, des troubles visuels, des paresthésies des quatre extrémités et d'autres symptômes relevant de la symptomatologie de la sclérose en plaques, diagnostiquée formellement en mai 1994 ; qu'il ne résulte pas des expertises qu'un lien de causalité soit établi entre la vaccination et le diabète de type I ;
Considérant qu'en revanche les experts, s'ils ne l'ont pas affirmé, n'ont pas exclu toute existence d'un lien entre la vaccination et la sclérose en plaques eu égard, d'une part, au bref délai ayant séparé l'injection du 4 juin 1992 de l'apparition, en août 1992 des premiers symptômes de la sclérose en plaques ultérieurement diagnostiquée, d'autre part, à la bonne santé de l'intéressée et à l'absence, chez elle, de tous antécédents propres à cette pathologie, antérieurement à sa vaccination ; que, par suite, Mme A est fondée à soutenir qu'en rejetant sa demande d'indemnisation fondée sur l'application de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique par courrier du 9 février 2004, le directeur général de la santé a commis une erreur de fait et de droit ; qu'il suit de là que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande d'indemnisation au titre de la seule sclérose en plaques ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'en l'état de l'instruction, eu égard notamment au caractère évolutif de la pathologie, le rapport de l'expertise réalisée en 2002, ne permet pas à la Cour de statuer sur les conclusions de Mme A relatives à l'indemnisation du préjudice résultant de la sclérose en plaques ; qu'il y a lieu, par suite, d'ordonner une nouvelle expertise, aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif ci-dessous ; que cependant, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande d'allocation provisionnelle de la requérante à hauteur de la somme de 150 000 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon en date du 28 mars 2006 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de Mme A tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice résultant de la sclérose en plaques.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la demande de Mme A, procédé à une expertise en vue, pour l'expert :
- d'examiner Mme A et de décrire son état actuel au regard des expertises réalisées par le professeur Dupont et le docteur Girard ; de se faire communiquer le dossier médical de l'intéressée, et tout autre document utile ;
- de donner son avis sur les différents préjudices subis par Mme A liés à la sclérose en plaques (ITT, IPP, douleur physique, préjudice esthétique, troubles dans les conditions d'existence, nécessité d'une aide extérieure, de l'aménagement d'un logement, d'un véhicule ...).
Article 3 : L'expert sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-1 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il déposera son rapport au greffe de la Cour dans le délai de 4 mois suivant la prestation de serment.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A, à titre d'allocation provisionnelle, une somme de 150 000 euros. (cent cinquante mille euros).
Article 5 : Les frais de l'expertise ordonnée ci-dessus et ceux des expertises réalisées par le professeur Dupond et docteur Gérard sont mis à la charge de l'Etat et remboursés en ce qui concerne ces derniers à Mme A sur présentation des factures d'honoraires acquittées.
Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 6: Le présent arrêt sera notifié à Mme Marguerite A et au ministre du travail de l'emploi et de la santé.
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