Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 6 décembre 2013 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité territoriale de la Moselle a autorisé la société Charal Metz à le licencier.
Par un jugement n° 1400698 du 3 décembre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 février 2016 et 14 septembre 2016, la société Charal Metz, représentée par Me Launay-Masse, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 3 décembre 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant ce tribunal ;
3°) de mettre à la charge de M. B...une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Charal Metz soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- les faits n'étaient pas prescrits au moment où l'action disciplinaire a été engagée dès lors que la prescription n'a commencé à courir qu'entre le 27 août et le 15 septembre 2013, date à laquelle elle a eu connaissance exacte des agissements fautifs de M. B... et que le comportement fautif de l'intéressé a été continu et s'est poursuivi après l'engagement des poursuites ;
- la demande d'autorisation de licenciement est signée par le directeur de l'établissement ;
- l'inspecteur du travail n'a pas méconnu le principe du contradictoire, ni fait preuve de partialité dans son enquête ;
- la matérialité des faits reprochés à M. B...est établie ;
- ces faits sont graves et justifient son licenciement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2016, M. A...B..., représenté par Me El Mounfalouti, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Charal Metz sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en l'absence de signature, la demande d'autorisation de licenciement n'a pas été régulièrement présentée ;
- l'enquête n'a pas été menée contradictoirement ; l'inspecteur du travail a fait preuve de partialité, ainsi que l'attestent les auditions qu'il a menées aux mois de février et avril 2014 ;
- les faits qui fondent la décision contestée étaient prescrits ;
- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Fuchs,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de Me Launay-Masse, avocat de la société Charal Metz et de Me El Mounfalouti, avocat de M.B....
1. Considérant que la société Charal Metz a sollicité le 7 octobre 2013 l'autorisation de licencier M.B..., responsable d'atelier et membre titulaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'entreprise, pour faute grave à raison de faits de violences verbales, insultes et pressions exercées à l'encontre de plusieurs salariés ; que, par une décision du 6 décembre 2013, l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement ; que la société Charal Metz relève appel du jugement du 3 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que la société Charal Metz soutient, sans plus de précision, qu'" au regard des considérations générales développées dans le jugement, les premiers juges n'ont pas répondu aux exigences " de motivation de leur décision ; qu'il ressort toutefois des motifs du jugement attaqué que le tribunal administratif a répondu de manière détaillée au moyen tiré de la méconnaissance du délai de prescription fixé par l'article L. 1332-4 du code du travail ; que les premiers juges ont accueilli ce moyen et annulé la décision contestée en précisant qu'il n'était pas besoin d'examiner les autres moyens de la requête ; qu'ainsi, le moyen tiré du défaut de motivation du jugement attaqué doit être écarté ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales " ; que ce délai commence à courir lorsque l'employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié protégé ; que dans le cas où des investigations complémentaires ont été diligentées par l'employeur, elles ne sont de nature à justifier un report du déclenchement de ce délai que si elles sont nécessaires à la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié ; qu'il appartient au juge du fond d'apprécier cette nécessité et, dans le cas où il estime ces investigations inutiles, de déclarer la poursuite pour motif disciplinaire prescrite ; que ces dispositions ne font toutefois pas légalement obstacle à ce que l'employeur engage des poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où il a eu connaissance du comportement fautif du salarié dans la mesure où ce comportement se poursuit ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'après avoir été informée le 19 juin 2013, à l'issue d'une permanence de l'inspecteur du travail sur le site de l'entreprise, de situations de souffrance au travail déclarées par certains salariés, la société Charal Metz a conduit une enquête ; qu'elle a convoqué M. B... à un entretien préalable par un courrier du 21 juin 2013 qui indiquait que " suite à des plaintes très graves de salariés à [son] sujet ", une mesure pouvant aller jusqu'au licenciement était envisagée ; que cet entretien préalable s'est déroulé le 1er juillet 2013 ; que le 5 juillet 2013, le comité d'établissement s'est prononcé en faveur du licenciement de l'intéressé, le procès verbal faisant état de " plusieurs attestations " de salariés témoignant des agissements de M.B... ; que, par un courrier du même jour, la société a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de procéder au licenciement de M. B... en indiquant, dans sa demande, que plusieurs attestations de salariés de l'établissement faisaient état de violences verbales et de situations de souffrance psychologique dans le cadre de l'exercice des fonctions de responsable de production confiées au salarié ; que M. B...a été reçu le 1er août 2013 par l'inspecteur du travail ; que le 2 août suivant, la société Charal Metz a informé l'inspecteur du travail du retrait de la demande d'autorisation de licenciement en raison des " points litigieux " que ce dernier lui avait fait valoir ; que le 10 septembre 2013, la société a convoqué M. B...à un nouvel entretien préalable à son licenciement, qui s'est tenu le 19 septembre ; que la société a sollicité l'autorisation de le licencier par un courrier du 7 octobre 2013 ; que, par la décision contestée du 6 décembre 2013, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de ce salarié ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société requérante disposait d'une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à M. B... à la date du 21 juin 2013 ; qu'elle a, le même jour, engagé une procédure disciplinaire en convoquant ce salarié à un entretien préalable à son licenciement et en le mettant à pied à titre conservatoire ; que les investigations supplémentaires que la société requérante a conduites après avoir abandonné la première procédure engagée devant l'inspecteur du travail le 2 août 2013 n'étaient pas nécessaires à la connaissance exacte des faits reprochés au salarié ; qu'il ressort en effet des écritures mêmes de la société Charal Metz qu'elle avait connaissance, avant la tenue de l'entretien préalable du 1er juillet 2013, du témoignage du président d'une société partenaire ainsi surtout, que, des témoignages de salariés mettant en cause, sous couvert d'anonymat, le comportement de M. B...dont ils auraient été victimes ; que ni la circonstance que les attestations anonymes n'ont pas été produites en pièces jointes du courrier de saisine de l'inspecteur du travail en date du 5 juillet 2013, ni celle selon laquelle les attestations nominatives obtenues à compter d'août 2013 émanent d'autres salariés, n'est de nature à faire regarder l'état de l'information de la société à la date d'engagement de la seconde procédure de licenciement comme étant substantiellement différent de celui qui était le sien lorsqu'elle a engagé la première procédure de licenciement ;
6. Considérant que si l'engagement de la procédure disciplinaire le 21 juin 2013 a interrompu le délai dans lequel se prescrivent les faits pouvant fonder une action disciplinaire, un nouveau délai a commencé à courir à compter de cette même date ; que la décision de la société Charal Metz du 2 août 2013 de retirer sa première demande d'autorisation de licenciement, qui a été prise en raison d'irrégularités procédurales supposées, n'a pas eu pour effet d'interrompre ou de suspendre ce nouveau délai ; qu'enfin, M. B...ayant été mis à pied à titre conservatoire dès le 21 juin 2013, la société ne peut soutenir que son comportement se serait poursuivi après cette date ; qu'il s'ensuit que le délai de prescription de deux mois ayant commencé à courir le 21 juin 2013, la prescription était acquise lorsque la société a de nouveau engagé une procédure disciplinaire, le 10 septembre 2013, en convoquant M. B...à un entretien préalable à son licenciement ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Charal Metz n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision de l'inspecteur du travail, en date du 6 décembre 2013, autorisant le licenciement de M.B... ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante en la présente instance, la somme demandée par la société Charal Metz au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société requérante une somme de 1 500 euros, à verser à M.B..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête présentée par la société Charal Metz est rejetée.
Article 2 : La société Charal Metz versera à M. B...une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Charal Metz, à M. A...B...et à la ministre du travail.
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N° 16NC00151