Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 2 mars 2021 par lequel le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2100698 du 25 juin 2021, le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du préfet de l'Aube du 2 mars 2021.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 août 2021, le préfet de l'Aube demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C....
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il n'a pas commis d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que la situation de Mme C... ne satisfait pas à la condition de la réalité et du sérieux des études ;
- en tout état de cause, Mme C... ne justifie pas être entrée en France munie d'un visa de long séjour et ne saurait ainsi prétendre à la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " étudiant ".
Par un mémoire enregistré le 25 octobre 2021, Mme A... C..., représentée par Me Gaffuri, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de l'Aube ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Aube de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de 15 jours à compter de la notification du présent arrêt ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés ;
- l'arrêté litigieux est, en tout cas insuffisamment motivé ;
- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du même code et, enfin, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est également entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour, mais est également insuffisamment motivée et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Mme C..., ressortissante tunisienne, née le 6 mars 2002, est entrée en France le 13 novembre 2018. Le 1er juillet 2020, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 2 mars 2021, le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un tel titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet de l'Aube fait appel du jugement du 25 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé son arrêté du 2 mars 2021 et lui a enjoint de délivrer à Mme C... un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes du I de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " La carte de séjour temporaire accordée à l'étranger qui établit qu'il suit en France un enseignement ou qu'il y fait des études et qui justifie qu'il dispose de moyens d'existence suffisants porte la mention "étudiant". En cas de nécessité liée au déroulement des études ou lorsque l'étranger a suivi sans interruption une scolarité en France depuis l'âge de seize ans et y poursuit des études supérieures, l'autorité administrative peut accorder cette carte de séjour sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée et sous réserve d'une entrée régulière en France (...) ". Aux termes de l'article L. 313-2 du même code alors applicable : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, la première délivrance de la carte de séjour temporaire et celle de la carte de séjour pluriannuelle (...) sont subordonnées à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 311-1. (...) ".
3. Pour refuser de faire droit à la demande de Mme C... tenant à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de l'Aube a retenu que l'intéressée ne justifiait pas du caractère sérieux et réel du suivi de ses études.
4. Mme C..., après avoir fréquenté le lycée Porte-Océane du Havre au cours de l'année scolaire 2018/2019, a été scolarisée pour les années scolaires 2019/2020 et 2020/2021 au sein du lycée Denis Diderot à Romilly-sur-Seine, en classe de seconde professionnelle, puis de première professionnelle. Il ressort des pièces du dossier que si Mme C... a, lors de l'année scolaire 2018/2019 au lycée Porte-Océane du Havre, eu des problèmes d'assiduité, pour autant, ces difficultés étaient justifiées par la situation précaire dans laquelle elle a été accueillie chez l'un de ses frères et qui l'a d'ailleurs conduit à être temporairement placée auprès de l'aide sociale à l'enfance. Les bulletins scolaires de Mme C... témoignent de ce qu'à la suite de sa prise en charge par un oncle et de son arrivée au lycée Denis Diderot à Romilly-sur-Seine, elle a suivi de manière assidue les enseignements dispensés lors de son année de seconde et y a justifié de résultats corrects. Si lors du premier semestre de l'année 2020/2021, Mme C... a accumulé de nombreuses absences ayant empêché d'évaluer de manière satisfaisante son travail, elles ont toutes été régulièrement justifiées en raison de problèmes de santé, qui sont d'ailleurs confirmés par une attestation du médecin de l'intéressée. En dépit de ces absences, de nombreux professeurs du lycée Denis Diderot ont, par des attestations certes postérieures à l'arrêté litigieux, mais faisant état d'une situation préexistante à l'adoption de ce dernier, souligné le sérieux de Mme C..., l'exemplarité de son attitude et sa volonté de pallier ses lacunes. Ces attestations témoignent également de l'engagement de Mme C... dans la vie du lycée, où elle a notamment été déléguée de classe et déléguée au conseil de la vie lycéenne. Dans les circonstances de l'espèce, le préfet a, en refusant de délivrer le titre prévu à l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif de l'absence de caractère sérieux et réel du suivi des études, entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
5. Pour autant, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas l'intimé d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Le préfet de l'Aube fait valoir, dans sa requête, enregistrée le 6 août 2021 au greffe de la cour et qui a été régulièrement communiquée à Mme C..., que cette dernière ne justifiait pas du visa long séjour exigé par l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour obtenir un titre de séjour portant la mention " étudiant ". Le préfet de l'Aube doit ainsi être regardé comme ayant sollicité la substitution du motif tiré de l'absence de visa de long séjour à celui résultant de l'absence de réalité et de sérieux des études.
7. Il résulte des dispositions citées au point 2, qu'en principe, pour obtenir la délivrance une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant ", l'étranger doit justifier être entré en France avec un visa de long séjour. Ce n'est qu'en cas de nécessité liée au déroulement des études ou lorsque l'étranger poursuit des études supérieures après une scolarité interrompue depuis l'âge de seize ans qu'il est dispensé de produire un tel visa, à la condition alors de pouvoir justifier être entré régulièrement sur le territoire français.
8. Mme C..., dont il est constant qu'elle entrée en France uniquement munie d'un visa de court séjour et qui n'était, au jour de l'arrêté litigieux, que lycéenne et ne poursuivait ainsi pas des études supérieures, ne justifie d'aucune nécessité liée au déroulement de sa scolarité justifiant qu'il soit dérogé à l'obligation de présenter un visa de long séjour pour obtenir la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant ". Par suite, ce nouveau motif invoqué par le préfet est de nature à fonder légalement la décision contestée. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que le préfet de l'Aube aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur ce motif et que cette substitution ne prive Mme C... d'aucune garantie procédurale, il y a lieu de faire droit à la demande de substitution de motif du préfet de l'Aube.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Aube est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté litigieux du 2 mars 2021 au motif qu'il avait entaché son arrêté d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C....
Sur les autres moyens soulevés par Mme C... devant le tribunal et la cour :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté :
10. L'arrêté litigieux mentionne de manière non stéréotypée les considérations de droit et de fait sur lesquelles l'administration s'est fondée afin de prendre à l'encontre de Mme C... les mesures qu'il contient. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté doit être écarté.
En ce qui concerne les moyens soulevés à l'encontre de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
11. En premier lieu, si Mme C... indique que le préfet de l'Aube ne l'a jamais convoquée pour obtenir des précisions sur sa situation, elle n'assortit pas ce moyen des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé. A considérer qu'elle ait entendu indiquer que le préfet a entaché son arrêté d'un défaut d'examen, la motivation de l'arrêté atteste de l'examen sérieux de sa demande par le préfet de l'Aube.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) ".
13. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., qui est célibataire et sans enfant, est entrée en France le 13 novembre 2018 et bénéficie dans ce pays de la présence de plusieurs membres de sa famille, dont un frère, mais également un oncle, qui l'hébergeait à la date de l'arrêté litigieux. Pour autant, Mme C..., qui n'était en France que depuis deux ans et demi à la date de l'arrêté litigieux, a passé les seize premières années de sa vie en Tunisie, où vivent ses parents, mais aussi un autre frère. Si la requérante se prévaut de son engagement dans ses études et de la réalisation de stages dans le cadre de sa formation, elle n'établit nullement qu'elle ne pourrait pas poursuivre ses études dans son pays d'origine. Dans ces conditions, en dépit des efforts d'intégration déployés par Mme C..., cette dernière n'est pas fondée à soutenir que le préfet de l'Aube aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision litigieuse a été adoptée. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés. Compte tenu des circonstances de fait ainsi rappelées, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur la situation de Mme C... doit être écarté.
14. En troisième lieu, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme C... ait sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le préfet n'a pas examiné d'office la possibilité de lui délivrer un titre sur ce fondement, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté comme inopérant.
15. En quatrième lieu, compte tenu des éléments indiqués au point 13 du présent arrêt, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation en s'abstenant de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation.
En ce qui concerne les moyens propres à la contestation de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
16. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour.
17. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux présentés au point 13, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Aube est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé son arrêté du 2 mars 2021. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par Mme C... en première instance, ainsi que ses conclusions présentées devant la cour à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2100698 du 25 juin 2021 du tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par Mme C... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aube
Délibéré après l'audience du 14 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- M. Meisse, premier conseiller,
- M. Marchal, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022.
Le rapporteur,
Signé : S. B...La présidente,
Signé : A. SAMSON-DYE
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
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N° 21NC02273