Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... E... a demandé au juge des référés du Tribunal Administratif de Besançon de prescrire une expertise en vue de déterminer les responsabilités et les préjudices subis lors de sa prise en charge hospitalière.
Par une décision n° 2200729 du 18 octobre 2022, le juge des référés a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 octobre 2022 et un mémoire récapitulatif reçu le 5 décembre 2022, Mme E..., représentée par Me Guillaume Lazarin, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du Tribunal Administratif de Besançon ;
2°) de faire droit à sa demande d'expertise ;
3°) de mettre à la charge du groupe hospitalier de la Haute-Saône la somme de 1000 euros au titre de l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande d'expertise n'est pas tardive en tant qu'elle concerne la caractérisation d'une faute du groupe hospitalier de la Haute-Saône car l'avis d'incompétence rendu par la commission de conciliation et d'indemnisation ne lui a pas été notifié, ce qui n'a pas permis de faire courir le délai de recours contentieux à son encontre et, qu'en toute hypothèse, elle pourrait saisir le groupe hospitalier de la Haute-Saône d'une nouvelle demande préalable indemnitaire à l'issue des opérations d'expertise ;
- l'apparition de la lésion trachéale qu'elle a subie pourrait résulter du défaut d'un produit de santé et elle pourrait donc fonder ses demandes indemnitaires sur le régime de la responsabilité sans faute consacré par l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;
- elle n'a bénéficié d'aucune information préalable sur le risque de survenance d'une lésion dans la trachée du fait de la méthode d'anesthésie générale employée.
Par un mémoire enregistré le 2 décembre 2022, le groupe hospitalier de Haute-Saône, représenté par Me Le Prado Gilbert, demande à la cour de rejeter la requête de Mme E....
Il soutient que :
- la décision expresse de rejet de la demande d'indemnisation préalable formée par Mme E... étant devenue définitive, le recours de Mme E... tendant à ce qu'une expertise soit ordonnée se trouve dépourvu d'utilité ;
- le dépôt d'un rapport d'expertise ne saurait être regardé comme une circonstance nouvelle permettant de considérer la seconde demande d'indemnisation préalable comme non confirmative de la première dès lors qu'elle porterait sur le même fait générateur, la même cause juridique et les mêmes préjudices ;
- il ne ressort nullement du contenu du rapport de l'anesthésiste produit par Mme E... une quelconque allusion à la défectuosité du matériel utilisé, ce qui ne permet pas d'envisager l'engagement de la responsabilité sans faute du groupe hospitalier de la Haute-Saône au titre de la défectuosité d'un produit de santé ;
- le fait d'invoquer un prétendu défaut d'information des risques liés à l'intervention du 29 novembre 2018 ne saurait permettre à Mme E... d'intenter une nouvelle procédure indemnitaire car la responsabilité pour défaut d'information sur les risques encourus ne relève pas d'une cause juridique distincte de celle intervenant à raison d'une faute médicale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... E..., née le 26 janvier 1982, a subi une thyroïdectomie pour goitre le 29 novembre 2018 au sein du centre hospitalier de Vesoul appartenant au groupe hospitalier de la Haute-Saône. Le 16 décembre 2018, elle a constaté un gonflement au niveau de la cicatrice, après un épisode de toux sèche. Elle a alors, de nouveau, été hospitalisée au centre hospitalier de Vesoul. Le 18 décembre 2018, un scanner a été réalisé en urgence en raison d'un gonflement extensif au niveau de son visage, qui a mis en évidence une fistule trachéale. L'intéressée a alors été transférée au CHU de Besançon où elle a séjourné trois semaines après une nouvelle intervention chirurgicale comprenant une greffe de la trachée. Mme E... a formulé une demande d'indemnisation préalable auprès du groupe hospitalier de la Haute-Saône au regard des préjudices qu'elle estime avoir subis. Par courrier du 23 septembre 2019, le groupe hospitalier de la Haute-Saône a rejeté cette demande d'indemnisation préalable. Par une requête enregistrée le 1er novembre 2019 au greffe du tribunal administratif de Besançon, Mme E... a demandé la condamnation du groupe hospitalier de la Haute-Saône à lui verser une somme de 140 000 euros en réparation des préjudices causés lors de l'intervention du 29 novembre 2018, demande dont elle s'est désistée par mémoire du 10 avril 2020. Il a été donné acte de son désistement le 1er décembre 2020, par un jugement qui a également rejeté la demande de remboursement de ses débours à hauteur de 25 481,38 euros formée par la caisse primaire d'assurance-maladie de la Haute-Saône. Avant de se désister, Mme E... a, le 3 février 2020, présenté une demande de règlement amiable auprès de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Franche-Comté. Par décision du 6 mars 2020, le président de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Franche-Comté a rejeté cette demande. Le 2 mai 2022, Mme E... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Besançon d'ordonner une expertise. Elle conteste, dans le cadre de la présente instance, le refus qui lui a été opposé par ordonnance du 18 octobre 2022.
Sur l'utilité de l'expertise :
2. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple demande et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. (...) ". L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de ces dispositions doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription.
- En ce qui concerne la recevabilité d'une éventuelle action en responsabilité fondée sur une faute de l'établissement hospitalier
3. Selon l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...). ". Aux termes de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique : " La commission régionale peut être saisie par toute personne s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins, ou, le cas échéant, par son représentant légal. (...). La personne informe la commission régionale des procédures juridictionnelles relatives aux mêmes faits éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, la personne informe le juge de la saisine de la commission. La saisine de la commission suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure prévue par le présent chapitre. ". Il résulte de ces dispositions que si une demande a été présentée à la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux au titre de la procédure amiable, le délai du recours contentieux ne recommence à courir, dans le cas où la commission conclut à l'absence de droit à réparation, qu'à compter de la date à laquelle cet avis de la commission est notifié à l'intéressé.
4. Ainsi que cela apparaît au point 1 ci-dessus, Mme E... a mené en parallèle une procédure contentieuse, devant le tribunal administratif de Besançon, dont elle s'est désistée, et une procédure amiable, auprès de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI), qui a rejeté sa demande le 6 mars 2020.
- Sur l'incidence du jugement du 1e décembre 2020 donnant acte du désistement de Mme E... et rejetant les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute Saône :
5. En principe, un désistement a le caractère d'un désistement d'instance. Il n'en va autrement que si le caractère de désistement d'action résulte sans aucune ambiguïté des écritures du requérant. En l'espèce, il ressortait d'autant moins des écritures de Mme E... qu'elle aurait entendu se désister de toute action qu'à la date à laquelle elle a produit son mémoire en ce sens, elle avait engagé une procédure amiable devant la CRCI, qu'elle a maintenue jusqu'à son terme. En conséquence, son désistement ne faisait nullement obstacle à ce qu'elle intente une nouvelle action visant à obtenir réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis.
6. Bien que le même jugement ait, par son article 2, également rejeté pour absence de faute de l'établissement hospitalier à l'égard de Mme E... les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute Saône tendant au remboursement de ses débours, eu égard à l'absence d'identité des parties qu'étaient la caisse primaire d'assurance maladie et Mme E..., et à la différence d'objet de leurs demandes respectives, la première portant sur le remboursement de ses débours, la seconde tendant au désistement d'instance, le rejet des conclusions de la caisse primaire fondées sur l'existence d'une faute, ne pouvait avoir autorité de la chose jugée à l'égard de Mme E... et n'a donc pas eu pour effet de priver d'utilité toute nouvelle demande présentée par cette dernière à l'encontre du groupement hospitalier de la Haute-Saône.
- Sur l'incidence de la décision de rejet de la CRCI :
7. D'une part, à la date à laquelle Mme E... a saisi la commission régionale, la décision du centre hospitalier rejetant sa réclamation préalable faisait l'objet d'un recours pendant, qui n'était pas irrecevable, devant le tribunal administratif de Besançon, et n'était donc pas devenue définitive.
8. D'autre part, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la décision de la CRCI ait été notifiée à Mme E.... Dans ces conditions, et en l'état de l'instruction, le délai du recours contentieux n'avait, en vertu de ce qui a été dit au point 3, pas commencé à courir contre cette décision. La requérante est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif a, pour rejeter la demande d'expertise, estimé que toute nouvelle action serait tardive.
- En ce qui concerne une éventuelle action en responsabilité sans faute :
9. Mme E... soutient également qu'elle a la possibilité de fonder une nouvelle demande indemnitaire sur le fondement du régime de la responsabilité sans faute prévu par les dispositions de l'article L. 1142-1 I du code de la santé publique lorsque les dommages résultent d'un produit défectueux. Elle produit, à ce titre, le rapport d'anesthésie rédigé le 2 décembre 2019 par le docteur A... qui indique que les sondes d'intubation utilisées lors de l'anesthésie de Mme E... étaient munies d'un ballonnet dont le gonflage exerçait une pression sur une petite surface susceptible de causer des lésions trachéales, comme cela a été le cas chez Mme E... et que ces sondes ont été remplacées afin d'éviter ce risque de lésions trachéales. La production de ce rapport, si elle ne constitue pas une preuve certaine de l'existence d'un lien de causalité entre l'utilisation d'un produit défectueux et les dommages dont Mme E... demande réparation, concourt à conférer à l'expertise sollicitée l'utilité requise par les dispositions citées au point 2 de l'article R. 532-1 du code de justice administrative.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande d'expertise. Il y a, en conséquence, donc lieu d'y faire droit et de désigner des experts auquel sera confiée la mission prévue à l'article 3 de la présente ordonnance.
Sur les frais liés au litige :
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du groupe hospitalier de Haute-Saône la somme que demande Mme E... en application des dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2200729 du 18 octobre 2022 du juge des référés du Tribunal Administratif de Besançon est annulée.
Article 2 : Il sera procédé à une expertise au contradictoire de Mme E... et du groupe hospitalier de la Haute-Saône, confiée au Docteur G... D... dont l'adresse professionnelle est située au CHRU de Nancy Brabois, institut Louis Mathieu, service d'anesthésie-réanimation, rue du Morvan 54511Vandoeuvre les Nancy cedex et au Docteur B... F... dont l'adresse professionnelle est située au CHRU de Nancy Brabois, institut Louis Mathieu, service ORL, rue du Morvan 54511 Vandoeuvre les Nancy Cedex.
Article 3 : Les experts auront pour mission :
1°) de se faire communiquer tous les documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission, notamment examiner le dossier médical de Mme E... et d'entendre tous sachants ;
2°) d'examiner Mme E..., décrire son état de santé avant et après la thyroïdectomie totale pratiquée au centre hospitalier de Vesoul, décrire son état de santé actuel et retracer, en tant que de besoin, son histoire médicale ;
3°) de préciser si Mme E... a bénéficié de la part du centre hospitalier d'une information suffisante sur le risque de survenance d'une lésion trachéale du fait de la méthode d'anesthésie générale employée ;
4°) d'une manière générale, de réunir tous les éléments susceptibles d'éclairer le tribunal sur l'existence de fautes ou de négligences dans la prise en charge de Mme E..., dans les indications opératoires ou dans le geste médical pratiqué lors de l'anesthésie précédant la thyroïdectomie totale pratiquée au centre hospitalier de Vesoul ; dans le cas où les séquelles auraient plusieurs causes, indiquer la part imputable à chacune d'elles et, notamment aux actes accomplis ou non accomplis, à l'exclusion des séquelles le cas échéant imputables à l'état initial de l'intéressée, à son évolution prévisible, à des soins administrés par tout autre établissement ou praticien, à d'autres pathologies ou à toute autre cause ;
5°) de préciser, en cas de faute ou de manquement aux règles de l'art, quels sont les préjudices imputables à cette faute ou ce manquement en les distinguant des conséquences normalement prévisibles de la pathologie initiale, à l'exclusion de tout état antérieur et de toute cause étrangère ;
6°) de préciser si la lésion trachéale subie par Mme E... est liée à l'utilisation d'une sonde d'intubation défectueuse lors de l'anesthésie générale ;
7°) de fixer la date de consolidation ; en l'absence de consolidation, dire à quelle date il conviendra de revoir Mme E... ;
8°) de déterminer et évaluer les divers chefs de préjudice subis de toute nature, notamment la durée de l'incapacité temporaire totale, la durée et l'importance de l'incapacité temporaire partielle, l'importance de l'incapacité permanente partielle, le pretium doloris, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément, l'incidence et le retentissement des lésions sur la vie professionnelle, ainsi que les troubles dans les conditions d'existence, à l'exclusion des séquelles imputables à l'état de santé initial, à tout autre pathologie ;
9°) d'une manière générale, d'apporter tous éléments qui seraient utiles à la solution du litige.
Article 4 : les experts accompliront leur mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Ils ne pourront recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable de la présidente de la cour administrative d'appel.
Article 5 : Les experts déposeront leur rapport au greffe dans un délai de 6 mois à compter de la notification de la présente ordonnance. Ils notifieront eux-mêmes les copies aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.
Article 6 : Le surplus des conclusions de Mme E... est rejeté.
Article 7 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme E..., au groupe hospitalier de la Haute-Saône, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute Saône, et aux docteurs Jean-Pierre D... et Bruno F..., experts.
La présidente,
Signé : S. Favier
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Saône, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 22NC02571