Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société de tir mixte du canton de Thiaucourt a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler, d'une part, l'arrêté du 26 juin 2018 par lequel la maire de la commune de Jaulny a interdit toute activité de tirs sur la plate-forme qui accueille le stand de tir de Jaulny et, d'autre part, la décision du même jour par laquelle la même autorité a dénoncé la convention du 27 juillet 2010 mettant à disposition de la société de tir mixte du canton de Thiaucourt un terrain de la commune de Jaulny pour la pratique du tir sportif.
Par un jugement n° 1802054 du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 26 juin 2018 et a enjoint à la commune de Jaulny de reprendre les relations contractuelles avec la société de tir mixte du canton de Thiaucourt dans un délai d'un mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 16 décembre 2020 et le 26 octobre 2021, la commune de Jaulny, représentée par Me Tadic, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du 17 novembre 2020 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) de rejeter les demandes présentées par la société de tir mixte du canton de Thiaucourt devant le tribunal administratif de Nancy ;
3°) de mettre à la charge de la société de tir mixte du canton de Thiaucourt une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
en ce qui concerne l'arrêté du 26 juin 2018 :
- il n'est entaché d'aucune erreur d'appréciation ; au regard du risque pour la sécurité publique, c'est à bon droit que l'arrêté, qui est motivé, a pu interdire l'activité de tirs ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que le stand de tir ne présentait plus de dangerosité depuis que des aménagements ont été réalisés et constatés par la direction départementale de la cohésion et sociale le 24 mars 2017 ;
. la motivation du jugement est inexacte lorsqu'il mentionne qu'aucun incident n'a été rapportée à la gendarmerie depuis la réouverture du stand de tir en mars 2017 car un nouvel accident est survenu le 4 octobre 2017 au domicile d'une habitante et a donné lieu à un constat d'huissier, alors de plus qu'une balle perdue a été retrouvée le 21 juin 2018 sur le toit d'une habitation ;
. la circonstance que l'enquête de gendarmerie n'ait pas pu déterminer l'origine de l'accident du 21 juin 2018 est sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 26 juin 2018, édicté avant l'issue de cette enquête ;
. une ogive perforant une toiture a été retrouvée le 8 mai 2019 et le 4 juin 2019 un impact de balle a été constaté sur la vitre de la sacristie ;
. l'homologation du pas de tir de 200 mètres a été suspendu le 30 mars 2021 par la fédération française de tir qui impose des travaux de mise en sécurité des installations ;
en ce qui concerne la décision du 26 juin 2018 de résiliation de la convention :
- les motifs de sa résiliation portent sur des faits avérés ;
- en tout état de cause, les manquements aux règles de sécurité constatés depuis plusieurs années constituent des motifs sérieux tenant au respect de l'ordre public, justifiant la résiliation de la convention à tout moment ;
- c'est à tort que le tribunal administratif lui a enjoint à reprendre les relations contractuelles avec la société de tir mixte du canton de Thiaucourt.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 mai 2021 et le 3 décembre 2021, la société de tir mixte du canton de Thiaucourt, représentée par Me Battle, dans le dernier état de ses écritures, conclut :
- au rejet de la requête et à la confirmation dans toutes ses dispositions du jugement du tribunal administratif de Nancy du 17 novembre 2020 ;
- à titre subsidiaire, si le jugement venait à être infirmé, à ce qu'il soit fait droit à ses demandes formulées en première instance, à savoir l'annulation de l'arrêté du 26 juin 2018 et à ce qu'il soit enjoint à la commune de reprendre les relations contractuelles pour la mise à disposition du terrain communal dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
- à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Jaulny sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens invoqués par la commune n'est fondé.
Par ordonnance du 27 octobre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 13 décembre 2021.
Les parties ont été informées, le 19 avril 2023, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur la contestation de la résiliation de la convention, qui est un acte de droit privé, et sur la reprise des relations contractuelles et, par voie de conséquence, de l'irrégularité du jugement attaqué qui n'a pas relevé cette incompétence.
Un mémoire de la commune de Jaulny a été enregistré le 20 avril 2023, en réponse au moyen d'ordre public, et a été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux,
- les conclusions de M. Alexis Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me Goudemez, substituant Me Tadic, pour la commune de Jaulny.
Considérant ce qui suit :
1. La société de tir mixte du canton de Thiaucourt " Le Ralliement " est une association ayant pour objet la pratique des disciplines sportives régies par la fédération française de tir. Par une convention datée du 27 juillet 2010, la commune de Jaulny a mis à sa disposition à titre gratuit un terrain pour la pratique du tir sportif. En raison de la découverte d'impacts de balles dans des maisons d'habitation de la commune, la maire de la commune de Jaulny a, par un arrêté du 26 juin 2018, interdit toute activité de tirs sur la plate-forme qui accueille le stand de tir de Jaulny et, par une décision du même jour, dénoncé la convention précitée du 27 juillet 2010. La commune de Jaulny relève appel du jugement du 17 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy, après avoir annulé l'arrêté du 26 juin 2018 par lequel la maire de la commune de Jaulny a interdit la pratique du tir, et a enjoint à la commune de reprendre les relations contractuelles avec la société de tir mixte du canton de Thiaucourt pour la mise à disposition du stand de tir.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs: 1° Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires; (...) ". Aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. "
3. La demande présentée par la société de tir mixte du canton de Thiaucourt devant le tribunal administratif de Nancy contestait notamment la décision du 26 juin 2018 par laquelle la maire de la commune de Jaulny a dénoncé la convention du 27 juillet 2010 mettant à disposition de la société de tir mixte du canton de Thiaucourt un terrain de la commune de Jaulny pour la pratique du tir sportif.
4. La cour doit au préalable déterminer, en fonction de la nature du bien communal, si le litige relève de la compétence de la juridiction administrative, compte tenu notamment que la contestation par une personne privée de l'acte, délibération ou décision du maire, par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu'en soit la forme, dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n'affecte ni son périmètre ni sa consistance, ne met en cause que des rapports de droit privé et relève, à ce titre, de la compétence du juge judiciaire.
5. Si le terrain mis à disposition gratuitement par la commune de Jaulny doit être utilisé pour le tir sportif, il n'est pas affecté à l'usage direct du public mais à celui des adhérents de l'association pratiquant ce sport. La convention du 27 juillet 2010 n'impose pas non plus à l'association des modalités d'organisation ou de fonctionnement, notamment en l'absence de toute définition d'obligations particulières auxquelles elle serait soumise hormis l'entretien et le nettoyage du terrain lui-même, de sorte que l'association ne saurait être regardée comme étant chargée d'une mission de service public ou même d'une opération d'intérêt général relevant de la compétence de la commune. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que le terrain en litige ferait partie du domaine public de la commune et, par voie de conséquence, que la décision du 26 juin 2018 terminerait une relation ayant pour objet d'autoriser l'occupation de ce domaine.
6. De plus, la convention en litige ne comporte aucune clause qui, en raison des prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquerait, dans l'intérêt général, qu'elle relève du régime exorbitant des contrats administratifs. En particulier, si la convention prévoit la possibilité pour la commune de la résilier à tout moment et sans préavis pour cas de force majeure ou pour des motifs sérieux tenant au respect de l'ordre public, cette clause, eu égard au caractère gratuit et précaire de la mise à disposition du terrain, n'est pas exorbitante du droit commun. Ainsi, la décision de dénonciation du 26 juin 2018, qui ne met en œuvre aucune prérogative de puissance publique distincte de l'exercice par un particulier de son droit de propriété, n'est pas détachable de la gestion du domaine privé de la commune et les conclusions tendant à son annulation ainsi qu'à la reprise des relations contractuelles sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
7. Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 17 novembre 2020 est donc irrégulier en ce qu'il n'a pas décliné la compétence de la juridiction administrative en ce qui concerne ces conclusions. Il y a lieu, dès lors, d'annuler l'article 2 de ce jugement et, statuant par la voie de l'évocation, de rejeter ces conclusions comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Sur la légalité de l'arrêté du 26 juin 2018 :
8. Aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs ". Aux termes de l'article L. 2212-2 de ce code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ".
9. Faisant usage de ses pouvoirs de police générale, la maire de Jaulny a interdit tout exercice de tir sportif sur le terrain géré par la société de tir mixte du canton de Thiaucourt au motif qu'il porterait atteinte à la sécurité des habitants de la commune. Pour prendre la décision litigieuse, la maire de la commune s'est fondé sur plusieurs incidents.
10. Tout d'abord, s'agissant de l'incident du 5 juin 2015 mentionné dans l'arrêté litigieux, il est précisé que deux balles se sont logées dans le volet et le mur d'une maison à usage d'habitation, ayant donné lieu à une plainte déposée le 6 juin 2015 à la brigade de gendarmerie. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que cette plainte a donné lieu à un classement sans suite, l'origine des tirs n'ayant pu être déterminée. Par ailleurs, postérieurement à cet incident, l'association a entrepris des travaux pour améliorer la sécurité des installations. Ces travaux ont donné lieu, le 24 mars 2017, à un constat de la direction départementale de la cohésion sociale selon lequel l'ensemble des recommandations préconisées avait été respecté par l'association et retenant la mise en place de toutes les mesures nécessaires de sécurité.
11. S'agissant ensuite du deuxième incident mentionné du 4 octobre 2017, il est précisé qu'il a donné lieu à un procès-verbal par huissier de justice. Ce constat, produit à l'instance, fait état d'impacts de balles sur la même maison d'habitation. Si la commune fait valoir qu'une enquête est en cours auprès de la gendarmerie, la propriétaire de la maison ayant finalement porté plainte le 25 avril 2019, il ressort des pièces du dossier, et notamment du courrier du préfet de Meurthe-et-Moselle du 28 juin 2018, que les contrôles effectués par les militaires de la brigade de gendarmerie sur le stand de tir le 9 avril 2017 et le 10 juin 2018 ont permis de conclure au respect des règles d'utilisation des deux pas de tir, à la tenue des registres et à l'affichage des consignes de sécurité.
12. Enfin, s'agissant du troisième incident du 21 juin 2018, l'arrêté du 26 juin 2018 mentionne qu'une ogive est venue se loger dans la toiture d'une maison d'habitation, détruisant des tuiles. Cet incident a donné lieu à un dépôt de plainte le même jour par le propriétaire de la maison à la brigade de gendarmerie. Toutefois, l'enquête réalisée a démontré que le projectile n'avait pas été tiré par une arme à feu et que les faits déclarés n'étaient pas compatibles avec les traces d'usure retrouvées sur le projectile.
13. Ainsi, il n'est pas établi que depuis sa réouverture le 24 mars 2017, le stand de tir mettrait en danger la sécurité des habitants de la commune. La circonstance que la fédération française de tir ait suspendu l'homologation du pas de tir de 200 mètres en mars 2021, après une visite de conformité réalisée le 16 janvier 2019 mais en réponse à un courrier du maire en mai 2021, n'est pas de nature à remettre en cause cette appréciation et à justifier la fermeture de l'ensemble du site, alors que le compte rendu conclut que la conception est conforme aux règlements fédéraux mais relève uniquement que le pas de tir de 200 mètres devra faire l'objet d'aménagements afin de supprimer les risques de sorties de projectiles en cas de tirs verticaux accidentels, tout en relevant qu'elles sont très peu probables. De même, les allégations relatives à la découverte d'ogives et d'impacts de balle retrouvés en mai et juin 2019 ne sont pas assorties d'éléments permettant de démontrer, au regard de l'incertitude sur l'origine des tirs en question, que ces faits seraient susceptibles d'être imputés au club de tir, alors en particulier qu'ils sont survenus lorsque le stand de tir était fermé. Au regard de tous ces éléments, la maire de la commune de Jaulny n'établit pas que l'utilisation du stand de tir était de nature à mettre en cause la sécurité des habitants de la commune.
14. Il résulte de ce qui précède que la commune de Jaulny n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 26 juin 2018 portant interdiction de tout exercice de tir sportif sur le champ de tir géré par la société de tir mixte du canton de Thiaucourt.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Jaulny, qui est la partie perdante, la somme de 1 500 euros à verser à la société de tir mixte du canton de Thiaucourt au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Nancy n° 1802054 du 17 novembre 2020 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande de la société de tir mixte du canton de Thiaucourt tendant à l'annulation de la décision du 26 juin 2018 par laquelle la maire de la commune de Jaulny a dénoncé la convention du 27 juillet 2010 mettant à disposition de la société de tir mixte du canton de Thiaucourt un terrain sur la commune de Jaulny pour la pratique du tir sportif sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Jaulny est rejeté.
Article 4 : La commune de Jaulny versera à la société de tir mixte du canton de Thiaucourt la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Jaulny et à la société de tir mixte du canton de Thiaucourt.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2023.
La rapporteure,
Signé : S. Roussaux
La présidente,
Signé : A. Samson-Dye La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au préfet de Meurthe-et-Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
N° 20NC03654 2