Vu la requête enregistrée au greffe de la Cour le 5 septembre 1994, présentée pour M. Ugo X..., demeurant ... (Orne), par Me DELELIS-FANIEN, avocat au barreau de Rennes ;
M. X... demande à la Cour :
1 ) d'annuler le jugement n 911455 du 31 mai 1994 par lequel le Tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande en décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1985 à 1988 et du prélèvement social de 1 % qui lui a été assigné au titre des années 1986, 1987 et 1988 ;
2 ) de prononcer la décharge des impositions contestées et des pénalités dont elles ont été assorties ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 novembre 1997 :
- le rapport de M. ISAIA, conseiller,
- les observations de Me DELELIS-FANIEN, avocat de M. Ugo X...,
- et les conclusions de M. AUBERT, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que M. X... conteste la régularité du jugement au double motif que ses mentions seraient inexactes et incomplètes et que l'administration ayant déposé son mémoire en défense plus de deux ans après l'enregistrement de sa requête, le Tribunal, en rejetant sa demande de renvoi de l'audience à une date ultérieure, n'a pas permis que sa cause soit entendue équitablement au sens des stipulations des alinéas 1 et 3-b de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que le moyen tiré de ce que le jugement ne mentionnerait que deux des trois membres de la formation de jugement manque en fait et que c'est par une simple erreur dactylographique que le nom de la même personne a figuré sur l'une des mentions dudit jugement comme président et comme rapporteur ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ratifiée par la France en vertu de la loi du 31 décembre 1973 et publiée au Journal Officiel par décret du 3 mai 1974 : "1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ... équitablement ... par un Tribunal ... qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ... 3. Tout accusé a droit notamment à ... b) disposer du temps et des facilités nécessaires à sa défense ..." ; qu'il résulte de l'instruction que si l'administration a effectivement mis deux ans pour produire son mémoire en défense devant le Tribunal, M. X... en a eu communication le 22 décembre 1993 et y a répondu le 24 mai 1994, veille de l'audience, soit plus de cinq mois plus tard ; que, contrairement à ce qu'il soutient, il n'a pas sollicité le report de l'audience dès qu'il a été avisé de celle-ci le 10 mai 1994 ; que, dans ces conditions, en tant qu'il demandait la décharge des pénalités pour mauvaise foi et taxation d'office, il ne saurait soutenir que sa cause n'a pas été entendue équitablement par le Tribunal, ni qu'il n'a pas pu disposer du temps et des facilités nécessaires à sa défense ; que, par suite, son moyen doit être rejeté ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant qu'à la suite d'une vérification de comptabilité effectuée à l'encontre de la SARL EUROPE ORIENT dont M. X... était le gérant, l'administration, après avoir procédé à un examen contradictoire de l'ensemble de sa situation fiscale personnelle, a notifié à celui-ci au titre de l'impôt sur le revenu des années 1985, 1986, 1987 et 1988, des redressements dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers pour ces quatre années et dans la catégorie des traitements et salaires pour la seule année 1988 ;
Considérant, en premier lieu, que les irrégularités qui ont pu entacher la vérification de comptabilité dont la SARL EUROPE ORIENT a été l'objet sont sans incidence sur la régularité des impositions mises à la charge de M. X... ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L.101 du livre des procédures fiscales : "L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu." ; qu'aux termes de l'article R.101-1 du même livre : "Pendant les quinze jours qui suivent la date à laquelle est rendue une décision, de quelque nature qu'elle soit, par une juridiction civile, administrative, consulaire, prud'homale ou militaire, les pièces restent déposées au greffe où elles sont à la disposition de l'administration des finances." ; qu'enfin, aux termes de l'article L.100 alors en vigueur dudit livre : "A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des impôts." ; qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que si l'administration fiscale a la faculté, après le prononcé d'une décision par une juridiction judiciaire, de consulter au greffe les pièces qui doivent être tenues à sa disposition, elle est également en droit, avant l'intervention d'une décision, de demander à l'autorité judiciaire ou, sans qu'il soit nécessaire que le Procureur de la République en prenne lui-même l'initiative, au ministère public la communication des indications qu'ils sont susceptibles de détenir ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, le vérificateur pouvait demander au Tribunal de grande instance de Bernay, saisi de plaintes pour escroquerie dirigées contre M. X... et au Procureur de la République près ce même Tribunal qu'ils lui communiquent les renseignements sur la base desquels les redressements litigieux ont été établis ; qu'est sans incidence sur la régularité des impositions la circonstance que la procédure suivie par l'autorité judiciaire pour communiquer les renseignements dont il s'agit n'aurait pas été conforme aux règles prévues par le code de procédure pénale ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que les redressements en matière de revenus de capitaux mobiliers sont la conséquence de la vérification de comptabilité de la SARL ORIENT FRANCE, dont les redressements se sont traduits au niveau de l'imposition personnelle de M. X... par des revenus distribués imposables en application des dispositions de l'article 109-1-1 du code général des impôts, et non de l'examen contradictoire de l'ensemble de la situation fiscale personnelle dont l'intéressé a fait l'objet ; que, par suite, les moyens tirés de l'irrégularité de cette procédure sont, en tout état de cause, inopérants ; qu'il en est de même pour le redressement en matière de salaires dès lors qu'au titre de l'année 1988 le contribuable se trouvait en situation de taxation d'office pour défaut de déclaration du revenu global malgré deux mises en demeure ;
Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article L.57 du livre des procédures fiscales : "L'administration adresse au contribuable une notification de redressements qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ..." ; que les notifications de redressements adressées à M. X... le 26 décembre 1988 et le 24 novembre 1989, dont il a accusé réception respectivement le 2 janvier et le 4 décembre 1989, l'ont expressément informé que les renseignements à l'origine de la reconstitution du chiffre d'affaires de la SARL EUROPE ORIENT de laquelle sont issus les redressements contestés, avaient été obtenus par l'administration dans le cadre de l'exercice de son droit de communication auprès du Tribunal de grande instance de Bernay et du Procureur de la République près ce Tribunal ; que lesdites notifications étaient accompagnées de tableaux indiquant quels étaient les procès-verbaux établis par l'autorité judiciaire sur la base desquels le montant des ventes de tapis non comptabilisées avait été déterminé ; qu'elles avisaient également le contribuable que les copies de ces procès-verbaux pouvaient être consultées à sa demande au siège de la brigade chargée du contrôle, ce qu'il s'est cependant abstenu de faire ; que le service n'était pas tenu de prendre l'initiative de communiquer lesdits procès-verbaux préalablement à la notification de redressements ; qu'ainsi, M. X... a été régulièrement informé de l'origine et du contenu des renseignements recueillis par l'administration fiscale auprès de l'autorité judiciaire et mis à même de les contester ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, les redressements contestés sont la traduction, au niveau des impositions personnelles de M. X..., des redressements effectués sur les bénéfices de la SARL EUROPE ORIENT dont il était le gérant ; qu'il résulte de l'instruction que la comptabilité de celle-ci était irrégulière et non probante ; que, notamment, la société émettait des factures non numérotées qui ne comportaient aucune référence permettant l'identification des produits vendus ; que certains clients étaient enregistrés sous un faux nom ; qu'ainsi, le vérificateur était privé de la possibilité de recoupements utiles pour l'appréciation de la sincérité de la comptabilité ; qu'il ressort également des procès-verbaux d'audition établis par les autorités judiciaires que, sur l'ensemble de la période vérifiée, certaines ventes de tapis étaient omises en totalité ou en partie et que, selon ses propres dires, M. X... ne délivrait des factures que si les clients en faisaient la demande ; que ces faits, qui laissaient présumer des dissimulations répétées de recettes, étaient suffisants à eux seuls pour que l'administration soit en droit, pour chacun des exercices vérifiés, d'écarter la comptabilité de la SARL EUROPE ORIENT et de reconstituer son chiffre d'affaires à partir des renseignements régulièrement obtenus auprès des autorités judiciaires ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de demander à l'administration de produire d'autres documents que ceux qui figurent au dossier, que M. X... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Caen a rejeté ses demandes ;
Article 1er : La requête de M. X... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. X... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.