Vu le recours, enregistré au greffe de la Cour le 17 août 1995, présenté par le ministre de l'économie et des finances ;
Le ministre demande à la Cour :
1 ) de réformer le jugement n 921054 du 4 avril 1995 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a déchargé la société DARCON HOLDINGS des cotisations à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1981 à 1985 ;
2 ) de remettre à la charge de la société DARCON HOLDINGS les impositions contestées à hauteur des montants respectifs en droits de 35 000 F, 17 335 F, 23 255 F, 35 000 F, 245 000 F et des pénalités y afférentes ;
3 ) de prononcer le sursis à exécution du jugement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 janvier 1998 :
- le rapport de Mme HELMHOLTZ, président-rapporteur,
- et les conclusions de M. AUBERT, commissaire du gouvernement ;
Considérant que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif a fait droit à la demande en décharge des cotisations à l'impôt sur les sociétés auxquelles la société DARCON HOLDINGS a été assujettie au titre des années 1981 à 1985 en estimant, d'une part, que la procédure d'imposition était irrégulière pour 1981 et d'autre part que l'administration n'établissait pas que la renonciation par la société susmentionnée à percevoir un loyer d'un de ses associés pour la mise à disposition d'un immeuble n'était pas justifiée par l'intérêt propre de l'entreprise ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'après avoir, régulièrement notifié à la société DARCON HOLDINGS, l'imposition au titre de l'année 1981 et avoir mis en recouvrement ladite imposition le 31 octobre 1986, l'administration, estimant que l'établissement de l'imposition aurait dû être précédé d'une entrevue avec l'interlocuteur départemental qui avait été sollicité par le contribuable, a prononcé, le 5 octobre 1989, le dégrèvement de l'imposition précédemment établie en indiquant à la société le motif du dégrèvement et a remis de nouveau en recouvrement le 29 décembre 1989, une nouvelle imposition du même montant, au titre de la même année ;
Considérant qu'il résulte des dispositions du livre des procédures fiscales relatives tant à la procédure de redressement contradictoire qu'aux procédures d'imposition d'office, et en particulier de celles des articles L.57 et suivants et de l'article L.76 de ce livre, qu'après avoir prononcé le dégrèvement d'une imposition, l'administration ne peut établir, sur les mêmes bases, une nouvelle imposition sans avoir, préalablement, informé le contribuable de la persistance de son intention de l'imposer ; que, par lettre du 7 novembre 1989, le directeur divisionnaire a informé la société intéressée que les impositions litigieuses seraient mises en recouvrement si celle-ci ne donnait pas suite à sa demande de rendez-vous avec l'interlocuteur départemental ; que, d'une part, les termes de la lettre ne pouvaient présenter de caractère ambigu pour le contribuable qui avait été déjà informé lors de la réception de l'avis de dégrèvement susvisé des motifs de la décision du service ; que d'autre part, la circonstance que cette correspondance émane d'un fonctionnaire des services d'assiette faisant office également d'interlocuteur départemental n'a aucune incidence sur l'information donnée au contribuable ; qu'ainsi, l'administration a expressément informé la société intéressée de la persistance de son intention de l'imposer sur les bases précédemment retenues ; que le ministre est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif a jugé que l'imposition au titre de l'année 1981 mise en recouvrement le 29 décembre 1989 a été irrégulièrement établie ;
Considérant, en second lieu, qu'il est constant que la société DARCON HOLDINGS avait, pendant les années 1982 à 1985, mis, à titre gratuit, sa propriété de Louviers (Eure) à la disposition d'un associé ; qu'en l'absence de toute justification présentée sur l'intérêt de l'entreprise à ne pas percevoir de loyer, la société n'apporte pas la preuve qui lui incombe en raison de la taxation d'office dont elle a fait l'objet pour défaut de déclaration, que la mise à disposition gratuite de cet immeuble procédait d'une gestion commerciale normale ; que le ministre est fondé à soutenir que le Tribunal administratif a estimé, à tort, que l'administration supportant la charge de la preuve n'établissait pas l'acte de gestion anormal et a, par voie de conséquence, jugé que le service ne pouvait imposer la société sur la base de loyers théoriques pour les années 1982 à 1985 ;
Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par la société DARCON HOLDINGS en première instance et en appel ;
Sur le principe de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 206-1 du code général des impôts et en l'absence de toute convention fiscale signée entre la France et le Panama que la société DARCON HOLDINGS, société de capitaux dont le siège est à Panama, alors même qu'elle n'est pas une société de droit français, était passible de l'impôt sur les sociétés en France à raison des revenus qu'elle pouvait tirer d'un bien immobilier situé en France et mis à la disposition d'un tiers ; que si l'entreprise fait valoir qu'elle ne s'est livrée à aucune exploitation en France, ce moyen, eu égard à ce qui a été dit ci-dessus, ne saurait être retenu ; que, par ailleurs, les moyens de la société sur l'absence d'exploitation ou d'opérations à caractère lucratif sont inopérants ;
Considérant que le ministre, qui est en droit de le faire à tout moment de la procédure contentieuse, est fondé à demander que la base légale résultant du texte précité soit, en ce qui concerne les droits au titre de l'année 1981, substituée à celle résultant des dispositions de l'article 209 A du code général des impôts primitivement retenue, dès lors que le contribuable n'a été privé d'aucune garantie de procédure ;
Sur le bénéfice des dispositions de l'article 239 octies du code général des impôts :
Considérant qu'aux termes de l'article 239 octies du code général des impôts : "Lorsqu'une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés a pour objet de transférer gratuitement à ses membres la jouissance d'un bien meuble ou immeuble, la valeur nette de l'avantage en nature ainsi consenti n'est pas prise en compte pour la détermination du revenu imposable ..." ; que la société qui n'établit pas qu'elle aurait pour objet un tel transfert ne saurait prétendre au bénéfice de cette exonération au titre des années litigieuses ;
Sur le montant des bases d'imposition :
Considérant qu'il est constant que la société requérante avait mis sa propriété à la disposition d'un associé pendant les années litigieuses et a, en décembre 1985, vendu ce bien ; que, faute pour elle d'avoir souscrit les déclarations de résultats auxquelles sont tenues, en application de l'article 223 du code général des impôts, les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, elle a été légalement imposée d'office ;que le service a déterminé les bases d'imposition pour les années 1981 à 1984 à partir d'une valeur locative de cette propriété estimée à 70 000 F, montant retenu par la société elle-même ; qu'en ce qui concerne les droits au titre de 1985, le ministre est fondé à demander que la base légale de l'imposition résultant des dispositions de l'article 39 duodecies du code général des impôts à raison de la plus-value réalisée à l'occasion de la vente du bien taxable au taux de 15 % sur une base de 1 400 000 F correspondant à la différence entre le prix d'achat et de vente soit substituée à celle résultant des dispositions de l'article 206-1 du même code dès lors que le contribuable n'a été privé d'aucune garantie de procédure ;
Considérant tout d'abord, que la société requérante n'apporte aucun élément de nature à établir que la mise à disposition gratuite de la propriété à un associé était justifiée par l'intérêt de l'entreprise ; que, par ailleurs, elle ne présente aucun moyen de nature à apporter la preuve de l'exagération des bases d'imposition ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie et des finances est fondé à demander le rétablissement des cotisations à l'impôt sur les sociétés auxquelles la société DARCON HOLDINGS a été assujettie au titre des années 1981 à 1985 à hauteur des montants respectifs en droits de 35 000 F, 17 335 F, 23 255 F, 35 000 F, 245 000 F et des pénalités y afférentes ;
Article 1er : L'impôt sur les sociétés au titre des années 1981, 1982, 1983, 1984 et 1985 est remis à la charge de la société DARCON HOLDINGS à concurrence des montants respectifs en droits de trente cinq mille francs (35 000 F), dix sept mille trois cent trente cinq francs (17 335 F), vingt trois mille deux cent cinquante cinq francs (23 255 F), trente cinq mille francs (35 000 F), deux cent quarante cinq mille francs (245 000 F) et des pénalités y afférentes.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Rouen en date du 4 avril 1995 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la société DARCON HOLDINGS.