Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 28 avril 2005, présentée pour la SA BOLLORE ENERGIE, dont le siège est Odet Y... à Quimper (29000), par Me Z... et Me X..., avocats au barreau des Hauts-de-Seine ; la société BOLLORE ENERGIE demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 012089 en date du 10 mars 2005 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et aux contributions annexes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1996 et 1997 ;
2°) de prononcer les décharges demandées ;
3°) de condamner l'Etat au remboursement des frais qu'elle a exposés, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 juin 2006 :
- le rapport de M. Degommier, rapporteur ;
- et les conclusions de M. Hervouet, commissaire du gouvernement ;
Sur la provision pour dépréciation des “fichiers de clientèle” :
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : “1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant… notamment… 5° les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des évènements en cours rendent probables” ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire de ses bénéfices imposables des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances de fait constatées à la date de clôture de l'exercice, qu'elles soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante et qu'enfin, elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise ; qu'aux termes de l'article 38 sexies de l'annexe III au code général des impôts : “La dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les terrains, les fonds de commerce, les titres de participation, donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts” ;
Considérant par ailleurs qu'il appartient au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ;
Considérant que la SA BOLLORE ENERGIE, qui exerce une activité de négoce de produits combustibles, a constitué et déduit de ses bénéfices imposables de l'exercice 1997 une provision, d'un montant de 33 788 000 F, destinée à tenir compte de la dépréciation de ses “fonds de commerce” ; que ces fonds de commerce sont constitués, selon la société, par les fichiers de clientèle, répartis agence par agence, qu'elle a acquis auprès d'entreprises indépendantes ; qu'une provision portant sur un élément du fonds de commerce ne peut toutefois être admise en déduction que si l'élément incorporel est réellement individualisable ; qu'alors même qu'elle a acquis les fichiers litigieux auprès d'agences alors indépendantes, la SA BOLLORE ENERGIE ne démontre pas le caractère dissociable des fichiers, au regard des autres éléments représentatifs de la clientèle attachée au fonds, dès lors qu'elle les a comptabilisés globalement ; que les considérations générales relatives au caractère local de la clientèle attachée aux agences de la société ne permet pas de démontrer le caractère dissociable des fichiers de clientèle ; que la société ne démontre pas davantage la dépréciation effective de son fonds de commerce, dès lors qu'il est constant que son chiffre d'affaires et son résultat d'exploitation ont progressé en 1997 ; que si la société soutient, à titre subsidiaire, que même en admettant que la clientèle de chaque agence ne serait pas dissociable des autres éléments du fonds, l'approche globale du fonds de commerce permettrait de constituer une provision de 24,2 millions de francs, elle ne l'établit pas par des éléments précis et justfiés ;
Considérant par ailleurs que la doctrine contenue dans la documentation de base n° 4 E 3111 paragraphe 3 et n° 4 E 1122, paragraphe 9, ne donne pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont il est fait application dans le présent arrêt ; que la société ne peut donc utilement s'en prévaloir sur le fondement de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales ;
Sur la provision pour dépréciation de fonds de commerce reçus par voie d'apport :
Considérant que le 5° de l'article 39 du code général des impôts dispose notamment que “la provision éventuellement constituée en vue de faire face à la dépréciation d'éléments d'actif non amortissables reçus lors d'une opération placée sous l'un des régimes prévus aux articles mentionnés au II de l'article 54 septies est déterminée par référence à la valeur fiscale des actifs auxquels les éléments reçus se sont substitués” ;
Considérant que la SA BOLLORE ENERGIE a également constitué, au titre de l'exercice 1997, une provision de 5 219 000 F destinée à tenir compte de la dépréciation des fonds de commerce qu'elle a reçus en 1990 par voie d'apport partiel d'actif placé sous le régime de l'article 210 du code général des impôts, auquel renvoie l'article 54 septies ; que l'administration a refusé d'admettre en déduction cette provision au motif que la société n'a fourni aucun justificatif sur la réduction de la valeur de ces fonds qu'elle n'avait en tout état de cause pas inscrit à l'actif de son bilan ; que pour démontrer le bien-fondé de cette provision, la société requérante se borne à faire valoir qu'elle a strictement respecté les prescriptions des dispositions précitées de l'article 39 du code général des impôts en constatant la dépréciation du fonds de commerce, et que l'anticipation, sous forme de provision, de la perte qui résulterait de la vente du fonds, est déductible ; que la société ne peut être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe par ces considérations générales ;
Sur la provision pour dépréciation de titres de participation :
Considérant que le 5° de l'article 39 du code général des impôts précise que “Toutefois, pour les exercices ouverts à partir du 1er janvier 1974, les titres de participation ne peuvent faire l'objet d'une provision que s'il est justifié d'une dépréciation réelle par rapport au prix de revient” ; qu'aux termes de l'article 38 septies de l'annexe III au même code : “les titres non cotés sont évalués à leur valeur probable de négociation” ;
Considérant que la SA BOLLORE ENERGIE a constitué et déduit de ses bénéfices imposables une provision de 21 220 652 F au titre de l'exercice 1996, et de 4 912 354 F au titre de l'exercice 1997, pour dépréciation de ses titres de la SA Combustibles de l'Est, qui figurent à son actif pour la somme de 77 766 658 F ;
Considérant qu'il appartient à la société requérante d'établir qu'à la date de la constitution des provisions litigieuses, la valeur des titres de la société des Combustibles de l'Est était inférieure à leur prix de revient d'un montant équivalant à celui desdites provisions ; que, pour en justifier, la société requérante fait valoir que sa filiale a elle-même comptabilisé une provision pour dépréciation de son propre fonds de commerce ; que, cependant, le bien fondé de cette provision n'est pas établi, dès lors que l'administration a constaté que celle-ci correspond à une diminution de 63,5 % de la valeur du fonds de commerce de la filiale alors qu'à la même période, la redevance de location gérance versée par la société à sa filiale n'a diminué que de 13,33 % ; qu'en se bornant à ajouter que la provision litigieuse a été établie selon une approche multicritères conforme aux règles comptables, la société n'apporte pas la preuve qui lui incombe ; que la société ne peut utilement se prévaloir de l'attestation émanant de son commissaire aux comptes, qui se réfère à la situation nette de la SA Combustibles de l'Est, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la provision constituée par la SA Combustibles de l'Est n'a pas été justifiée ; qu'enfin, la doctrine administrative contenue dans la documentation de base n° 4 B 3113 ne donne pas de la loi fiscale une interprétation différente dont la société pourrait se prévaloir sur le fondement de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales ; que dans ces conditions la société BOLLORE ENERGIE n'apporte pas la preuve qui lui incombe du bien-fondé de la provision litigieuse ;
Sur la demande de compensation :
Considérant que la SA BOLLORE ENERGIE demande que lui soit accordé un dégrèvement complémentaire de 2 378 331 F au motif que le dégrèvement prononcé par l'administration au cours de la première instance a conduit au rétablissement d'un déficit reportable d'un montant de 5 130 777 F à la clôture de l'exercice 1996, qui n'a cependant pas été imputé sur 1997 ; qu'en défense, l'administration fait valoir qu'elle a commis une erreur dans le prononcé des dégrèvements dès lors que la somme de 5 130 777 F a été imputée sur l'imposition au taux réduit ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.203 du livre des procédures fiscales : “Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition” ;
Considérant que la SA BOLLORE ENERGIE est en droit d'obtenir la décharge, d'un montant non contesté de 2 378 331 F, de l'imposition résultant de l'absence de prise en compte du déficit reportable de 5 130 777 F ; que toutefois, le ministre demande, par voie de compensation, le rétablissement de l'imposition de l'année 1996 dégrevée à tort et qui s'élève, selon des calculs non contestés, à la somme de 2 262 148 F ; que la société ne peut utilement invoquer la prescription de cette imposition dès lors que la compensation est applicable nonobstant l'expiration des délais de prescription ; qu'en revanche la compensation ne peut s'exercer lorsque le dégrèvement et les omissions se rapportent à deux années différentes, ce qui est le cas en l'espèce ; que la demande de compensation formulée par le ministre doit par suite être écartée ; que dès lors la SA BOLLORE ENERGIE peut prétendre à une réduction de 2 378 331 F (362 574,22 euros) du supplément d'impôt sur les sociétés de l'année 1997 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SA BOLLORE ENERGIE est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté l'intégralité de sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, soit condamné à payer à la SA BOLLORE ENERGIE la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'impôt sur les sociétés assigné à la SA BOLLORE ENERGIE au titre de l'année 1997 est réduit d'une somme de 362 574,22 euros (trois cent soixante-deux mille cinq cent soixante-quatorze euros vingt-deux centimes).
Article 2 : Le jugement en date du 10 mars 2005 du Tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société BOLLORE ENERGIE est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société BOLLORE ENERGIE et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
N° 05NT00655
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