Vu la requête, enregistrée le 22 avril 2011, présentée pour M. Laurent X, demeurant ..., par Me Martin-Mahieu, avocat au barreau de Rennes ; M. X demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 08-895 du 31 décembre 2010 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a limité à 6 900 euros la somme que l'Etat et La Poste ont été condamnés à lui verser en réparation du préjudice subi en raison du blocage de sa carrière ;
2°) de condamner solidairement La Poste et l'Etat à lui verser la somme de 321 153 euros avec intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable ;
3°) d'enjoindre à l'Etat et à La Poste de reconstituer sa carrière avec tous les droits y afférent au regard des procédures d'avancement d'échelon et de grade dont il aurait dû continuer à bénéficier, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du mois suivant l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge solidaire de La Poste et de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
.....................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
Vu le décret n° 57-1319 du 21 décembre 1957 portant règlement d'administration publique pour la fixation du statut particulier du corps des services de la distribution et du transport des dépêches ;
Vu le décret n° 58-777 du 25 août 1958 modifié ;
Vu le décret n° 90-1224 du 30 décembre 1990 relatif au statut particulier du corps du service de la distribution et de l'acheminement de La Poste ;
Vu le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er décembre 2011 :
- le rapport de M. Pouget, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;
- les observations de Me Martin-Mahieu, avocat de M. X ;
- et les observations de Me Bellanger, avocat de La Poste ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 décembre 2011, présentée pour La Poste ;
Considérant que M. X, fonctionnaire de La Poste depuis le 8 novembre 1979, titularisé le 8 novembre 1980 dans le grade de préposé (PRE), puis promu à compter du 1er février 1985 dans le grade d'agent d'exploitation distribution acheminement (AEXDA), a refusé, lors du changement de statut de son employeur, d'intégrer les corps dits de reclassification et a opté en faveur de la conservation de son grade ; que par courriers du 9 octobre 2007, il a demandé à La Poste et à l'Etat la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait du blocage de sa carrière depuis 1993 ; que M. X relève appel du jugement du 31 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Rennes a limité à 6 900 euros la somme que l'Etat et La Poste ont été solidairement condamnés à lui verser à titre d'indemnité ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X a, par courriers du 12 octobre 2007 reçus le 15 octobre 2007, demandé au ministre délégué à l'industrie et au président du conseil d'administration de La Poste de l'indemniser de l'ensemble des préjudices, et notamment du préjudice de carrière, résultant pour lui des fautes commises par La Poste et l'Etat ; qu'ainsi, et nonobstant le caractère stéréotypé de sa demande, le contentieux indemnitaire a été valablement lié par M. X ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la fin de non recevoir opposée par La Poste à sa demande indemnitaire ;
Au fond :
En ce qui concerne l'exception de prescription :
Considérant qu'aux termes de l'article 2277 du code civil alors applicable : Se prescrivent par cinq ans les actions en paiement : des salaires ; des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires ; des loyers, des fermages et des charges locatives ; des intérêts des sommes prêtées ; et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts (...) ; que les indemnités réclamées par le requérant, à raison des fautes commises par La Poste et par l'Etat, ne sont pas au nombre des créances qui s'éteignent par la prescription quinquennale prévue à l'article 2277 du code civil, lesquelles, au demeurant, ne sont atteintes par ladite prescription que lorsqu'elles sont déterminées ; que par suite, et en tout état de cause, l'exception de prescription qu'oppose La Poste sur le fondement de cet article ne peut être accueillie ;
En ce qui concerne la responsabilité :
Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom : Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) ; que l'article 31 de la même loi a permis à La Poste d'employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels ;
Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) ; qu'en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions règlementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade ;
Considérant d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de reclassement de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de reclassification créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de reclassification, ne dispensait pas le président de La Poste, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de reclassement ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires reclassés comme aux fonctionnaires reclassifiés de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;
Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires reclassés ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de reclassement, en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires reclassés au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a, de même, commis une illégalité commis une illégalité fautive ; que La Poste, pour s'exonérer de sa responsabilité, ne saurait ainsi utilement se prévaloir ni de la circonstance que les décrets statutaires des corps de reclassement auraient interdits ces promotions, ni du fait qu'aucun emploi ne serait devenu vacant, au cours de la période, pour permettre de procéder à de telles promotions ; que de même l'Etat a commis une faute en attendant le 14 décembre 2009 pour prendre le décret organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de reclassement de La Poste ; que ces fautes sont de nature à entraîner la responsabilité solidaire de l'Etat et de La Poste à l'égard de M. X ; qu'elles n'ouvrent cependant droit à réparation au profit du requérant qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain subi par lui ;
En ce qui concerne le préjudice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X satisfaisait, à compter de l'année 2001, aux conditions posées par les statuts pour figurer sur le tableau d'avancement au grade de conducteur de travaux de la distribution et de l'acheminement, régi par le décret du 21 décembre 1957 susvisé ; que les documents figurant au dossier personnel du requérant, en particulier les notations pour chaque année de 2004 à 2008 et les appréciations portées sur sa manière de servir, attestent de résultats excellents et d'une valeur professionnelle supérieure aux exigences du poste, révélant ainsi ses aptitudes à occuper un niveau de responsabilité plus élevé ; qu'il en résulte que les fautes commises tant par La Poste que par L'Etat ont privé M. X d'une chance sérieuse d'accéder au grade hiérarchiquement supérieur si des promotions avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires reclassés après 1993 ; qu'ainsi l'intéressé a subi un préjudice professionnel et financier ; qu'eu égard au niveau de rémunération auquel l'intéressé pouvait prétendre et à la durée pendant laquelle ce préjudice a été subi, il sera fait une plus exacte appréciation de celui-ci en le portant à la somme de 12 000 euros, à laquelle il conviendra d'ajouter 5 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence également subis par M. X ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est seulement fondé à demander la réformation du jugement attaqué dans la mesure de la somme précisée ci-dessus ;
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative :
Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ; que l'article L. 911-3 du même code dispose que : Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ;
Considérant que le présent arrêt, qui statue sur les conclusions indemnitaires de M. X tendant à la condamnation de l'Etat et de La Poste à réparer son préjudice, n'implique pas la reconstitution de sa carrière ; que, dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ces conclusions ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de La Poste et de l'Etat le versement à M. X de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; ; que les conclusions présentées sur le fondement des mêmes dispositions par La Poste, partie perdante dans la présente instance, doivent être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que le tribunal administratif de Rennes a condamné solidairement l'Etat et La Poste à verser à M. X est portée à 17 000 euros (dix sept mille), tous intérêts confondus au jour du présent arrêt.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 31 décembre 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande et de la requête de M. X, ainsi que les conclusions présentées par La Poste sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.
Article 4 : La Poste et l'Etat verseront solidairement à M. X la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Laurent X, à La Poste et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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N° 11NT01192 2
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