Vu la requête, enregistrée le 21 janvier 2013, présentée pour Mme B... A..., demeurant..., par Me Martial, avocat au barreau de Caen ; Mme A... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 12-330 en date du 29 novembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la communauté de communes du pays d'Argentan à lui verser, en qualité de légataire universelle d'Yvonne Guégan, la somme de 20 000 euros en réparation des préjudice résultant de l'occultation de la fresque en mosaïque réalisée par Yvonne Guégan dans le centre aquatique intercommunal d'Argentan ;
2°) de condamner la communauté de communes du pays d'Argentan à lui verser, en qualité de légataire universelle d'Yvonne Guégan, la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice causé ;
3°) de mettre à la charge de la communauté de communes du pays d'Argentan une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- l'auteur de la fresque, auquel les dispositions du code de la propriété intellectuelle confèrent un droit à la protection de son oeuvre, n'a accepté sa réalisation que dans la mesure où elle était destinée à décorer le grand bassin du centre aquatique et à s'intégrer dans l'ensemble architectural ; les travaux de rénovation entrepris par la communauté de communes ont eu pour conséquence d'occulter la fresque, laquelle bénéficie d'une moindre mise en valeur depuis la modification de son environnement initial ; cette situation nouvelle, décidée sans son accord préalable, porte atteinte au droit moral de l'auteur sur son oeuvre ;
- le préjudice résultant doit être indemnisé en tenant compte de la renommée de l'auteur de l'oeuvre ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 février 2013, présenté pour la communauté de communes du pays d'Argentan, représentée par son président, par Me Gorand, avocat au barreau de Coutances-Avranches, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme A... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle fait valoir que ;
- la fresque en litige n'a pas été dégradée ni occultée par les travaux de rénovation du centre aquatique ; elle est toujours visible par les usagers ; la communauté de communes n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;
- ni le lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice invoqué, ni le montant de ce préjudice ne sont justifiés ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 mars 2013, présenté pour Mme A... qui maintient les conclusions de sa requête par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 3 avril 2013, présenté pour la communauté de communes du pays d'Argentan qui maintient ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 décembre 2013 :
- le rapport de M. Lemoine, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;
1. Considérant qu'à l'occasion de la construction du centre aquatique d'Argentan, achevée en 1969, Yvonne Guégan a réalisé, à la demande de la commune d'Argentan, une fresque en mosaïque décorant un des côtés du grand bassin de ce centre ; que la communauté de communes du pays d'Argentan, devenue maître de l'ouvrage, a fait procéder en 2000 à des travaux de rénovation au terme desquels la fresque se trouve désormais dans l'un des couloirs d'accès du bâtiment ; que Mme A..., légataire universelle d'Yvonne Guégan décédée en 2005, estimant que la communauté de communes du pays d'Argentan avait porté atteinte au droit moral de l'auteur sur son oeuvre, a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à la condamnation de la communauté de communes du pays d'Argentan à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice résultant ; que Mme A... relève appel du jugement du 29 novembre 2012 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande ;
Sur la responsabilité de la communauté de communes du pays d'Argentan :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle : " L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 112-1 de ce code : " Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination " ; qu'aux termes de l'article L. 112-2 du même code : " Sont considérées comme oeuvres de l'esprit au sens du présent code : (...) 7° Les oeuvres de dessin, peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie (...) " ; qu'enfin l'article L. 121-1 dispose que : " L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur " ;
3. Considérant que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit, au sens des dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle, ne peut prétendre imposer au maître de l'ouvrage une intangibilité absolue de son oeuvre ou de l'édifice qui l'accueille ; que ce dernier reste en droit d'apporter des modifications à l'ouvrage et à l'oeuvre dans la mesure où ces modifications sont rendues strictement indispensables par des impératifs esthétiques, techniques ou de sécurité publique, légitimés par les nécessités du service public et notamment la destination de l'oeuvre ou de l'édifice ou son adaptation à des besoins nouveaux ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que si la fresque litigieuse qui ornait autrefois l'une des parois du grand bassin du centre aquatique d'Argentan se situe, depuis les travaux de rénovation de celui-ci, dans l'un des couloirs d'accès du bâtiment, il est constant qu'elle n'a été ni modifiée, ni dégradée, mais maintenue en parfait état d'entretien ; que si la requérante soutient que l'atteinte à l'oeuvre résulte de sa moindre mise en valeur du fait de la nouvelle configuration des locaux, il résulte de l'instruction que les travaux de rénovation du centre aquatique intercommunal étaient justifiés par sa nécessaire adaptation aux besoins nouveaux du public et ont préservé l'intégrité matérielle de la fresque, qui reste exposée à la vue du public ; que, dès lors, la communauté de communes du pays d'Argentan n'a commis, au regard des dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle, aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes du pays d'Argentan, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande présentée sur le même fondement par la communauté de communes du pays d'Argentan ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la communauté de communes du pays d'Argentan tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la communauté de communes du pays d'Argentan.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2013 à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président,
- Mme Specht, premier conseiller,
- M. Lemoine, premier conseiller.
Lu en audience publique le 10 janvier 2014.
Le rapporteur,
F. LEMOINE
Le président,
O. COIFFET
Le greffier,
C. GUÉZO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 13NT001832