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05/06/2014 | FRANCE | N°13NT00384

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 05 juin 2014, 13NT00384


Vu la requête, enregistrée le 31 janvier 2013, présentée pour M. C... D..., assisté de sa curatrice Mme B... E... épouse D..., demeurant au..., par Me Chambolle, avocat au barreau de Bordeaux ; M. D... demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 12-0048 en date du 31 décembre 2012 en tant que par ce jugement le tribunal administratif d'Orléans a limité à 48 223,80 euros au titre de l'indemnisation des frais d'assistance de tierce personne la somme à laquelle le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours a été condamné à verser en conséquence de

l'infection nosocomiale dont il a été atteint quelques jours après sa nai...

Vu la requête, enregistrée le 31 janvier 2013, présentée pour M. C... D..., assisté de sa curatrice Mme B... E... épouse D..., demeurant au..., par Me Chambolle, avocat au barreau de Bordeaux ; M. D... demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 12-0048 en date du 31 décembre 2012 en tant que par ce jugement le tribunal administratif d'Orléans a limité à 48 223,80 euros au titre de l'indemnisation des frais d'assistance de tierce personne la somme à laquelle le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours a été condamné à verser en conséquence de l'infection nosocomiale dont il a été atteint quelques jours après sa naissance le 18 avril 1986 et n'a pas fait droit à sa demande de versement d'une somme 100 000 euros au titre de l'ensemble des préjudices subis, avant fixation définitive de ses préjudices ;

2°) de condamner le CHRU de Tours à lui verser la somme de 100 000 euros demandée ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Tours la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :

- le jugement doit être confirmé en tant qu'il retient l'existence d'une infection nosocomiale dont la réparation incombe au CHRU de Tours ;

- les premiers juges ont fait une appréciation erronée de la portée de sa demande, qui visait sans ambiguïté le versement d'une indemnité provisionnelle de 100 000 euros à valoir sur l'intégralité de la réparation à laquelle il pourra prétendre lorsque son état sera consolidé, et ne portait pas seulement sur les seuls frais d'assistance d'une tierce personne ;

- ainsi il y a lieu de tenir compte de son taux d'invalidité qui devra être fixé par l'expert mais qui a déjà été arrêté à 80 % par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ; par ailleurs, l'expert a noté des souffrances physiques et psychiques liées aux hospitalisations et aux lésions avec un taux de 5 sur une échelle de 7 ; enfin, la période d'incapacité totale et partielle a été évaluée à un total de 160 jours ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la lettre, enregistrée le 2 avril 2013, présentée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, dont le siège est Tour Galiéni II, 36 avenue du Général de Gaulle, à Bagnolet (93175), qui informe la cour que compte tenu de la date des soins à l'origine du dommage constaté, antérieure au 5 septembre 2001, il n'interviendra pas dans les débats ;

Vu la mise en demeure adressée le 12 novembre 2013 à la Caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2013, présenté pour le centre hospitalier régional universitaire de Tours, par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat ; il conclut au rejet de la requête ;

il fait valoir que :

- la provision demandée en première instance ne tendait qu'à l'indemnisation du seul préjudice relatif aux frais d'assistance d'une tierce personne ; l'indemnité accordée par le tribunal doit être confirmée ;

- à titre subsidiaire, la provision demandée est disproportionnée eu égard aux seuls préjudices évalués par l'expert et compte tenu du taux de perte de chance retenu par le tribunal ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 10 février 2014, présenté pour M. D..., qui conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 mai 2014 :

- le rapport de Mme Specht, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

- et les observations de Me A..., substituant Me Chambolle, avocat de M. D... ;

1. Considérant que M. C... D... est né prématurément à 32 semaines, le 18 avril 1986, par césarienne, au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours ; qu'il a contracté au huitième jour de vie, le 26 avril 1986, une infection par le germe citrobacter diversus, à l'origine d'un choc infectieux avec une défaillance cardiaque qui a nécessité une intervention chirurgicale le 30 avril 1986 pour ligaturer un canal artériel ; qu'après sa sortie du centre hospitalier le 11 juin 2006, son état s'est aggravé en août 1986, l'enfant ayant présenté une méningite consécutive à la présence du même germe, qui a été suivie de complications avec hydrocéphalie et abcès cérébral, qui ont justifié une intervention chirurgicale le 23 août 1986 pour un drainage puis le 13 octobre 1986 pour la pose d'un drain ventriculo-péritonéal ; qu'en janvier 1987, le jeune C...a été atteint du " syndrome de West ", une forme d'épilepsie, qui a été traité par la réalisation d'un nouveau drainage ventriculo-péritonéal le 13 janvier 1987 et la prescription de corticoïdes et d'anti-épileptiques ; que M. C... D... reste atteint de sérieuses séquelles cognitives et psychomotrices et a été placé sous curatelle, sa mère Mme B... E...épouse D... ayant été désignée comme sa curatrice ; qu'à la demande de M. D..., le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a désigné le docteur Pedespan, neuropédiatre comme expert afin de décrire les lésions présentées par la victime et de déterminer l'imputabilité de certaines séquelles à une éventuelle faute médicale ou une faute dans le fonctionnement du service hospitalier du CHRU de Tours ; que l'expert a déposé son rapport le 24 février 2011, enregistré au greffe du tribunal le 1er mars 2011 ; que M. D... a présenté le 23 mai 2011 au CHRU de Tours une demande indemnitaire tendant au versement d'une provision de 100 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis qu'il impute à l'infection contractée au cours de sa prise en charge dans cet établissement en 1986, qui a fait l'objet d'un rejet implicite ; que M. D..., assisté de sa curatrice, relève appel du jugement du 31 décembre 2012 du tribunal administratif d'Orléans, en tant que le tribunal n'a pas fait une correcte appréciation de la nature de sa demande en statuant seulement sur l'indemnisation des frais d'assistance d'une tierce personne et en limitant à 48 223,80 euros la somme allouée à ce titre, alors qu'était demandée, à titre provisoire, une somme de 100 000 euros dans l'attente de la fixation définitive de son état ; qu'il renouvelle sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier à lui verser cette somme ; que le CHRU de Tours, quant à lui, qui ne conteste plus en appel que l'infection par le germe citrobacter diversus contractée par le jeune C...D...quelques jours après sa naissance revêt un caractère nosocomial dont la survenance révèle une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service hospitalier ouvrant droit à réparation au profit de M. D..., conclut au rejet de la requête ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. D... qui a demandé en première instance " le versement d'une indemnité de 100 000 euros à titre provisionnel à valoir sur l'indemnisation des l'ensemble des préjudices subis dans l'attente de la consolidation de son état ", laquelle ne peut être fixée avant un délai de cinq ans selon les termes du rapport de l'expert du 24 février 2011, ait entendu inscrire sa demande indemnitaire dans le cadre de la procédure de référé provision prévue à l'article R. 541-1 du code de justice administrative ; que compte tenu de ses termes, sa demande indemnitaire ne pouvait ainsi qu'être regardée et comprise comme tendant à obtenir réparation au fond, pour un montant fixé alors provisoirement à 100 000 euros, de l'ensemble des préjudices subis du fait de l'infection qu'il avait contractée quelques jours après sa naissance en 1986, en se réservant le droit de présenter une demande complémentaire postérieurement à la date de consolidation de son état ; que, par suite, M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, qui se sont mépris sur la portée de sa demande, ont estimé qu'il avait entendu limiter ses conclusions à l'indemnisation du seul chef de préjudice résultant de l'assistance d'une tierce personne pendant la période nécessaire à sa consolidation, et n'ont, à tort, indemnisé que ce seul chef de préjudice ; qu'il y a lieu, par suite, de statuer par l'effet dévolutif sur ce point, M. D... estimant insuffisante la somme allouée à ce titre par le tribunal, et, par la voie de l'évocation, sur les autres chefs de préjudice sur lesquels il n'a pas été statué et qui sont repris en appel par l'intéressé tenant à l'indemnisation des souffrances physiques et psychiques endurées, au préjudice esthétique subi et au préjudice lié à sa période d'incapacité temporaire ou partielle imputable à l'infection ; que le jugement attaqué doit être annulé dans cette dernière mesure ;

Sur le préjudice indemnisable :

En ce qui concerne la perte de chance :

3. Considérant que, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. D... présente des séquelles cognitives, épileptiques, psychiques et motrices liées à une naissance prématurée à 32 semaines, qui ont été aggravées par la septicémie à citrobacter contractée, à l'origine de complications d'abcès cérébraux et d'hydrocéphalie secondaires ; que si l'expert indique que les séquelles de la leucomalacie périventriculaire sont en lien avec sa seule prématurité il ajoute que ses lésions se sont trouvée aggravées par l'infection contractée et ses complications, et que les lésions de leucomalacie n'étant pas des lésions hautement épileptogènes, les séquelles épileptiques sont en rapport avec l'abcès cérébral secondaire ; que, par ailleurs, si les séquelles motrices peuvent être attribuées à des séquelles de la prématurité, l'abcès cérébral a joué un rôle dans l'importance de ces séquelles ; que dans ces conditions, les premiers juges ont fait une juste appréciation de la perte de chance d'éviter tout ou partie des séquelles dont reste atteint M. D... du fait de l'infection contractée en l'évaluant à 60 % ;

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices de M. D... :

Quant à ses préjudices patrimoniaux :

5. Considérant, en premier lieu, qu'en ce qui concerne les dépenses de santé, M. D... ne fait état d'aucune dépense restée à sa charge ;

6. Considérant, en second lieu, qu'au titre des frais liés au handicap, M. D..., dont l'expert a indiqué en février 2011 que son état ne serait pas consolidé avant un délai de cinq ans, demande l'indemnisation des frais d'assistance d'une tierce personne ; que ses besoins d'assistance ont été évalués par l'expert, à la date de l'expertise, à trois heures par jour, sept jours sur sept ; qu'en l'absence d'éléments relatifs aux besoins en tierce personne antérieurement à la date de l'expertise, le tribunal a fait une juste appréciation de ces besoins sur une durée de cinq ans à compter de cette date, sur la base du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) horaire brut applicable chaque année augmenté des charges sociales et de l'indemnité légale de congés payés en accordant, sur la base d'une indemnité annuelle de 16 074,60 euros, la somme de 48 223,80 euros compte tenu de la part de préjudice indemnisable de 60 % mise à la charge du CHRU de Tours ; que la présente décision ne fait pas obstacle à ce que M. D..., dont l'état n'est pas consolidé, ainsi qu'il a été dit, présente une demande d'indemnisation complémentaire de ses préjudices fondée sur des éléments nouveaux ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a limité à 48 223,80 euros l'indemnisation provisoire de ce chef de préjudice ;

Quant à ses préjudices personnels :

8. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la période d'incapacité temporaire totale ou partielle, laquelle est entièrement imputable à l'infection nosocomiale, a été évaluée à 160 jours par l'expert ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en la fixant à la somme totale de 1 600 euros, mise intégralement à la charge du CHRU de Tours ;

9. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu'il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées par M. D..., évaluées à 5 sur une échelle de 7, en fixant l'indemnité due à ce titre à 11 000 euros ; que l'indemnité due au titre de son préjudice esthétique, évalué par l'expert à 2 sur une échelle de 7, doit être fixée à 1 500 euros ; que compte tenu de la part de préjudice indemnisable de 60 %, la somme mise à la charge du CHRU de Tours s'élève ainsi pour ces deux chefs de préjudice à 7 500 euros ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les préjudices personnels de M. D... doivent être évalués à la somme de 9 100 euros, qui doit être mise à la charge du CHRU de Tours et que le surplus des demandes de l'intéressé doit être rejeté ; que, toutefois, la présente décision ne fait pas obstacle à ce que M. D..., dont l'état n'est pas consolidé, ainsi qu'il a été rappelé au point 6., présente une demande d'indemnisation complémentaire de ses préjudices fondée sur des éléments nouveaux ;

Sur les frais et honoraires d'expertise :

11. Considérant qu'il y a lieu de maintenir à la charge définitive du CHRU de Tours l'intégralité des frais d'expertise liquidés et taxés par une ordonnance du président du tribunal administratif d'Orléans, en date du 4 avril 2011, à la somme de 700 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge du CHRU de Tours le versement à M. D... de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 12-48 du 31 décembre 2012 du tribunal administratif d'Orléans est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les chefs de préjudice relatifs aux souffrances physiques et psychiques endurées, au préjudice esthétique subi et au préjudice lié à la période d'incapacité temporaire ou partielle de M. D....

Article 2 : La somme que le centre hospitalier régional universitaire de Tours est condamné à verser à M. D... est portée à 57 323,80 euros.

Article 3 : Le surplus tant des conclusions de la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif que de sa requête devant la cour est rejeté.

Article 4 : Le centre hospitalier régional universitaire de Tours versera à M. D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., au centre hospitalier régional et universitaire de tours, à la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2014, à laquelle siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- Mme Specht, premier conseiller,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 5 juin 2014.

Le rapporteur,

F. SPECHT Le président,

O. COIFFET

Le greffier,

C. GUÉZO

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé n ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT00384
Date de la décision : 05/06/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Frédérique SPECHT
Rapporteur public ?: M. DEGOMMIER
Avocat(s) : CHAMBOLLE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-06-05;13nt00384 ?
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