Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Dans le cadre de la procédure engagée par M. C...E...devant le tribunal administratif de Rennes en vue d'obtenir la condamnation de l'établissement français du sang (EFS) à réparer les préjudices subis par lui du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor a demandé au tribunal de condamner l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) à lui verser rembourser les débours exposés pour le compte de son assuré M. E....
Par un premier jugement n°0704587 du 30 août 2012, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les conclusions dirigées par M. E...contre l'Etablissement français du sang (EFS) et, après avoir estimé que la responsabilité de l'Oniam était engagée vis-à-vis de la victime à raison des conséquences dommageables de la contamination par le virus de l'hépatite C, a ordonné une expertise afin de statuer sur l'ensemble de ses préjudices.
Par un second jugement n°0704587 du 15 juillet 2014, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Oniam à verser à M. E...la somme de 455 681,28 euros, sous réserve de la provision déjà versée, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor présentées en vue du remboursement de ses débours actuels et futurs.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 septembre 2014 et 22 avril 2016, la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor, représentée par Me L'Hostis, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 juillet 2014 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant au remboursement de ses débours passés et futurs ;
2°) de condamner l'Oniam à lui verser la somme totale de 874 554,57 euros au titre de ses débours actuels et futurs et la somme de 1028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions des articles L.376-1 et L.454-1 du code de la sécurité sociale ;
3°) de mettre à la charge de l'Oniam le paiement d'une somme de 1500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions au visa de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 et de l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012 en estimant que la circonstance que l'origine de tous les lots de produits sanguins administrés à M. E...depuis sa naissance n'avait pu être retrouvée ne permettait pas d'identifier l'ensemble des nombreux centres de transfusion sanguine concernés et qu'il était ainsi impossible de vérifier l'existence d'une couverture assurantielle effective ;
- en vertu de la jurisprudence rendue sur l'article 102 de la loi du 4 mars 2002, le doute sur l'imputabilité de la contamination par le virus de l'hépatite C à la transfusion de produits sanguins labiles doit également profiter aux tiers payeurs ;
- elle est ainsi en droit, sur le fondement des dispositions de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, de solliciter le remboursement de sa créance auprès de l'Oniam, venant aux droits et obligations de l'EFS ;
- l'origine transfusionnelle de la contamination est établie et la responsabilité de l'EFS reconnue ; l'Oniam ne l'a pas contestée ;
- l'EFS n'a jamais contesté pouvoir mobiliser une garantie auprès d'une compagnie d'assurance et la société Covéa Risks, assureur du centre national de transfusion sanguine (CNTS), est intervenue volontairement à la procédure, ce qui démontre que l'EFS savait pouvoir mobiliser une garantie auprès de cette compagnie d'assurance ;
- les premiers juges auraient dû interroger l'EFS, au besoin par une mesure d'instruction, sur le point de savoir s'il pouvait mobiliser une telle garantie ; à défaut de le faire, ils devaient estimer que l'intervention volontaire de la société Covéa Risks équivalait à une telle reconnaissance ; ainsi, à défaut d'apporter la preuve contraire, l'EFS doit être présumé bénéficier des garanties de cet assureur ;
- de même l'Oniam n'a nullement apporté la preuve de l'absence de couverture assurantielle ni celle de l'épuisement ou de l'expiration de la couverture d'assurance des centres de transfusion sanguine identifiés lors de l'enquête transfusionnelle ; les premiers juges ont ainsi renversé la charge de la preuve ;
- sa créance s'élève à la somme totale de 874 554,57 euros correspondant à l'état définitif de ses débours sous déduction des provisions déjà éventuellement versées.
Par un mémoire enregistré le 6 mars 2015, la société Covéa Risks (anciennement MMA), représentée par Me Cresseaux, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- elle n'est intervenue volontairement à la procédure qu'en vue de préserver ses droits et le cas échéant de formuler des observations ; cette intervention ne saurait en aucun cas signifier qu'elle mobilise sa garantie ;
- l'EFS n'a pas produit le contrat d'assurances sur lequel la CPAM des Côtes d'Armor croit pouvoir fonder son recours contre l'Oniam, de sorte que la preuve de son existence n'est pas rapportée par les principaux intéressés.
Par des mémoires enregistrés le 6 mai 2015 et 18 avril 2016, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête, au remboursement des sommes qu'il a versées à titre provisionnel et, subsidiairement, à ce que la somme qu'il serait condamné à verser à la CPAM des Côtes d'Armor n'excède pas 98 267,44 euros.
Il fait valoir que les moyens invoqués par la CPAM des Côtes d'Armor ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 10 juillet 2015, M.E..., représenté par MeD..., conclut à la confirmation du jugement attaqué du15 juillet 2014 et à ce que lui soit versée une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire enregistré le 15 juillet 2015, l'établissement français du sang (EFS), représenté par MeA..., demande à la cour de juger qu'il est substitué par l'Oniam dans la présente instance et à ce que soit mis à la charge de la CPAM des Côtes d'Armor la somme de 1000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
- l'article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009, modifié par l'article 72 de la loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de Me L'Hostis, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor et de Me Cresseaux, avocat de la société Covéa Risks.
1. Considérant que M. E..., hémophile de type A, s'est vu diagnostiquer le virus de l'hépatite C (VHC) en 1992 alors qu'il était âgé de 25 ans ; qu'estimant que cette contamination trouvait son origine dans les transfusions de produits sanguins qu'il avait reçues dans le cadre de son traitement anti hémophilique, il a saisi le tribunal administratif de Rennes aux fins d'obtenir réparation des préjudices subis du fait de cette contamination ; que, par un jugement avant dire droit du 30 août 2012, le tribunal a estimé que l'origine transfusionnelle de la contamination du M. E...devait être regardée comme établie et qu'il y avait en conséquence lieu de mettre à la charge de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), substitué à l'Etablissement français du sang (EFS), la réparation des préjudices subis par M. E...; que, par ce même jugement, le tribunal a ordonné un complément d'expertise médicale aux fins de préciser l'étendue des préjudices de l'intéressé en lien avec cette contamination et une expertise comptable aux fins d'évaluer ses pertes de gains professionnels actuels et futurs ainsi que ses pertes de droit à la retraite ; que, par un second jugement du 15 juillet 2014, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Oniam à verser à M. E...la somme de 455 681,28 euros, sous réserve de la provision déjà versée, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande indemnitaire ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor tendant à ce que soit mise à la charge de l'Oniam la somme totale de 874 554,57 euros au titre de ses débours actuels et futurs ; que la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor relève appel de ce dernier jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. (...) " ; qu'aux termes de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009, modifié par l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012, applicable aux actions juridictionnelles en cours à la date du 1er juin 2010 : " (...) IV. (...) / Lorsque l'office a indemnisé une victime et, le cas échéant, remboursé des tiers payeurs, il peut directement demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'Établissement français du sang en vertu du B de l'article 18 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire de produits destinés à l'homme, de l'article 60 de la loi de finances rectificative pour 2000 (n 2000-1353 du 30 décembre 2000) et de l'article 14 de l'ordonnance n°2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute. / Les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'office si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré. / (...) " ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 2 que, lorsqu'il indemnise les victimes d'une contamination transfusionnelle par le VHC, l'Oniam intervient au titre de la solidarité nationale et non en qualité d'auteur responsable, et que la présomption d'imputabilité de la contamination aux produits sanguins transfusés ne saurait bénéficier qu'à la victime et non aux tiers payeurs ; que, par suite, la double circonstance que l'enquête transfusionnelle menée à la suite de l'action indemnitaire introduite par M. E...n'a permis de remonter que jusqu'à l'année 1974 de sorte qu'il n'a pas été possible de retrouver l'origine de l'ensemble des lots administrés à l'intéressé et que, dans ces conditions, les juges de première instance ont estimé que le doute devait bénéficier à la victime de la contamination pour déclarer l'Oniam redevable envers elle d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne saurait, contrairement à ce qu'elle soutient, avoir pour effet de faire bénéficier la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor du même doute et de la même présomption en vue d'obtenir en sa qualité de tiers payeur le remboursement par l'Oniam, qui a indemnisé la victime, du montant de sa créance portant sur les débours servis à son assuré ;
4. Considérant, en second lieu, que ce n'est que de manière transitoire que les tiers payeurs, en principe exclus du mécanisme indemnitaire mis en place, à l'article L.1221-14 du code de la santé publique, par l'article 67 précité de la loi du 17 décembre 2008 en vue de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale des seules victimes de contamination, ont été autorisés, par l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012 qui a modifié cet article 67 et pour les seules actions intentées avant le 1er juin 2010, à exercer une action subrogatoire contre l'Oniam en vue d'obtenir le remboursement de leurs débours ; que, dans ce cas, l'Oniam, qui a indemnisé la victime, ne peut être condamné à rembourser les débours exposés par la caisse primaire d'assurance maladie au profit de son assuré social victime d'une contamination transfusionnelle par le VHC que lorsque cet office peut lui-même bénéficier d'une garantie par les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang et par les assureurs de l'établissement lui-même ; qu'une telle garantie n'est possible qu'à la condition, d'une part, que le ou les centres de transfusions sanguines fournisseurs du ou des produits effectivement administrés à la victime soient identifiés et, d'autre part, qu'ils soient assurés, que leur couverture d'assurance ne soit pas épuisée ou encore que le délai de validité de cette couverture ne soit pas expiré ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du premier rapport d'expertise réalisé par le docteur Lejeune, et qu'il n'est pas contesté que l'origine de tous les lots de produits sanguins administrés à M. E...depuis sa naissance n'a pu être retrouvée et qu'il n'a pas été possible, pour les lots et les établissements fournisseurs identifiés, de déterminer qu'ils étaient à l'origine de sa contamination par le VHC ; qu'en l'absence d'identification de l'ensemble des centres de transfusion sanguine concernés, il était tout aussi impossible de vérifier l'existence d'une couverture assurantielle réelle et effective pour ces établissements ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que les juges de première instance, qui n'étaient pas tenus de diligenter des mesures d'instruction auprès de l'EFS lesquelles n'auraient pas présenté, dans les circonstances de l'espèce, de caractère d'utilité, ont estimé que la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor n'était pas fondée à exercer en l'espèce une action subrogatoire à l'encontre de l'Oniam ;
6. Considérant, enfin, que l'on ne saurait déduire, contrairement à ce que soutient la CPAM des Côtes d'Armor, de l'intervention volontaire dans la procédure de la société Covéa Risks, en sa qualité d'assureur du centre national de transfusion sanguine, intervention qui visait à préserver ses droits et le cas échéant à formuler des observations, la preuve que la garantie assurantielle effective permettant à l'organisme social d'engager son action subrogatoire contre l'Oniam serait acquise ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses conclusions tendant au remboursement de ses débours actuels et futurs ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à ses conclusions tendant au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Oniam, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'organisme social le versement à M. E...et à l'Etablissement français du sang des sommes qu'ils demandent au titre des mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. E...et l'Etablissement français du sang tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor, à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la société Covéa Risks, à M. C...E...et à l'Etablissement français du sang.
Délibéré après l'audience du 28 avril 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Lemoine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 mai 2016.
Le rapporteur,
O. CoiffetLe président,
I. Perrot
Le greffier,
A. Maugendre
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 14NT02475