Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E...et M. I...E...ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'établissement public de santé mental (EPSM) de Caen à leur verser chacun une somme de 20 000 euros à raison du décès de leur fille et soeur, Mlle B...E..., survenu le 4 novembre 2011.
Par un jugement n° 1400418 du 5 février 2015, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 mai 2015, M. I... E..., représenté par Me J..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 5 février 2015 ;
2°) à titre principal, de condamner l'EPSM de Caen à lui verser la somme de 20 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, lesdits intérêts étant capitalisés à compter du 4 novembre 2013 ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise ;
4°) dans tous les cas, de mettre à la charge de l'EPSM de Caen le versement de la somme de 1 500 euros au profit de Me J...au titre des dispositions combinées de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- sa requête est recevable car une demande d'aide juridictionnelle a interrompu le délai de recours contre le jugement du tribunal administratif de Caen ;
- le rapport d'expertise est incomplet parce que le Dr G...s'est borné à un examen sur pièce sans entendre les sachants, notamment le Dr F...qui était le médecin habituel de MlleE..., et n'a pas examiné de façon approfondie la situation de Mlle E...dans son ensemble, se focalisant sur la dernière hospitalisation ;
- l'impartialité du Dr G...peut légitimement être mise en cause dès lors qu'il a eu un entretien privé avec l'expert représentant l'EPSM de Caen, et qu'il a été défendu par l'EPSM de Caen dans le cadre du recours engagé contre l'ordonnance de taxation des frais d'expertise ;
- l'EPSM de Caen a commis une faute en autorisant la sortie définitive de Mlle E...sans organiser une délivrance quotidienne de ses médicaments et en lui refusant l'hospitalisation de nuit qu'elle demandait alors qu'il ressortait clairement de son historique médical qu'elle prenait de façon anarchique ses médicaments en raison d'une addiction aux produits toxiques et qu'elle présentait un risque suicidaire, et alors que son état ne pouvait être regardé comme stabilisé dès lors qu'elle avait fait une fugue deux jours avant, pendant une permission de sortie, pour s'alcooliser ;
- le préjudice qu'il subit du fait du décès de sa soeur peut être évalué à la somme de 20 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 août 2015, l'établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen, représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête de M.E... ;
2°) à titre subsidiaire, de réduire à de plus juste proportion la somme demandée par M. E... ;
3°) de mettre à la charge de M. E...la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le Dr G...a pu estimer à bon escient que compte tenu du dossier très documenté qui lui avait été transmis, il n'avait pas besoin d'entendre le Dr F...ou le Dr H...pour rendre ses conclusions ;
- la circonstance que le Dr G...ait eu un entretien de quelques minutes avec le Dr D..., ne permet pas de remettre en cause son impartialité ;
- il n'a commis aucune faute dans la prise en charge de la patiente, ainsi que cela ressort des constatations du rapport d'expertise ;
- la seule faute qui pourrait être invoquée est celle commise par la pharmacie, qui n'a pas respecté la prescription de délivrance d'un comprimé par jour de Subutex 4mg ;
- la somme demandée par M. E...est très supérieure au montant habituellement alloué dans des circonstances similaires.
Des mises en demeure ont été adressées le 2 mai 2016 à la Caisse primaire d'assurance maladie du Calvados et à M. A...E....
La clôture de l'instruction a été fixée au 20 octobre 2016 à 12 heures par une ordonnance du 20 septembre 2016.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Bris,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public ;
- et les observations de MeC..., représentant l'établissement public de santé mentale de Caen.
1. Considérant que Mlle B...E..., née en 1983, atteinte d'une psychose schizophrénique compliquée par des conduites addictives, a été hospitalisée à 19 reprises entre 2003 et 2011 à raison d'épisodes psychotiques aigües ou de consommation massive d'alcool et de produits toxiques ; qu'elle a été admise à l'établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen le 1er septembre 2011 à la demande de son père et a été autorisée à quitter l'établissement le 3 novembre 2011 ; qu'elle a été retrouvée morte à son domicile le lendemain des suites d'une absorption massive de médicaments ; que son père, M. A...E..., et son frère, M. I... E..., ont demandé à ce que l'EPSM de Caen soit condamné à réparer le préjudice résultant pour eux du décès de MlleE... ; que M. I...E...relève appel du jugement du 5 février 2015 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande ;
Sur la régularité des opérations d'expertise :
2. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que Dr G..., expert désigné par ordonnance du tribunal administratif de Caen du 3 août 2012, n'a pas jugé utile d'entendre le DrF..., médecin habituel de Mlle E...lorsqu'elle était prise en charge par l'EPSM de Caen, parce que le dossier transmis lui a paru suffisamment précis et détaillé ; que, d'autre part, la mission qui lui avait été assignée par le tribunal ne lui imposait nullement de procéder à cette audition, en dépit de la demande en ce sens des consortsE... ; qu'enfin, son rapport d'expertise, déposé le 19 mars 2013, est circonstancié et argumenté, et n'occulte nullement, contrairement à ce que soutient le requérant, les tendances suicidaires de Mlle E...puisqu'il indique, dans sa conclusion : " Il n'y a pas eu de manquement dans la prise en charge qui aurait pu éviter une prise excessive de médicaments psychotropes détournés de leur usage, que ce soit dans un but toxicomaniaque ou suicidaire. Ce risque était quasiment constant dans la trajectoire de l'intéressée. " ; que M. E... n'est donc pas fondé à soutenir que l'expert n'aurait pas accompli sa mission dans son entier et avec la diligence requise ;
3. Considérant, en second lieu, que si M. E...fait grief au Dr G...d'avoir eu un entretien particulier de quelques minutes avec le DrD..., représentant la société Yvelin Assurances, à la fin d'une réunion d'expertise, cette démarche, pour maladroite qu'elle est, était motivée ainsi que le Dr G...s'en est expliqué dans le rapport d'expertise par le fait qu'il avait souhaité transmettre ses amitiés à un confrère qu'il n'avait pas vu depuis plusieurs années et ne révèle aucun manque d'impartialité de l'expert ; que par ailleurs, si l'EPSM de Caen a produit, dans le cadre du recours introduit contre l'ordonnance de taxation des frais d'expertise, des éléments en faveur du travail réalisé par DrG..., il est constant que ce dernier a également présenté par lui-même ses observations dans cette instance ; qu'il s'ensuit que le défaut d'impartialité allégué par le requérant n'est pas établi ;
4. Considérant, par suite, et ainsi que l'ont estimé à bon droit les juges de première instance, que le moyen tiré de l'irrégularité des opérations d'expertise ne peut qu'être écarté ; qu'il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées par M. E...tendant à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée ;
Sur la responsabilité de l'EPSM de Caen :
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la sortie de Mlle E...a été autorisée par le Dr H...alors que son état psychiatrique était stabilisé, que ses conduites addictives avaient fortement régressé, et qu'elle avait bénéficié à plusieurs reprises de permissions de sortie, d'abord accompagnée puis seule ; que si le Dr H...n'était pas le médecin référent de MlleE..., il travaillait en équipe avec le Dr F...alors en vacances, avait eu six entretiens avec la patiente au cours de son hospitalisation et était donc suffisamment informé de son état pour prendre cette décision ; que la circonstance que MlleE..., qui avait la permission de sortir le 1er novembre jusqu'à 18h30, n'a regagné l'établissement qu'à 21h50 n'est pas de nature à faire regarder comme prématurée la décision prise le 3 novembre 2011 d'autoriser sa sortie définitive, alors qu'elle était rentrée de son plein gré, après avoir répondu aux appels du personnel de l'établissement ; qu'il est également constant qu'un suivi ambulatoire avait été organisé pour elle par l'EPSM dont, notamment, la visite à domicile d'un infirmier psychiatrique prévue dès le 4 novembre 2011 ; que dans ces conditions, et alors qu'il n'avait pas été noté, au moment de sa sortie, de risque suicidaire majeur, l'établissement n'a pas commis de faute en prenant la décision d'autoriser la sortie de Mlle E...le 3 novembre 2011 ;
6. Considérant par ailleurs que le Dr H...a établi le 3 novembre 2011 une ordonnance comportant notamment la délivrance de deux neuroleptiques et d'un hypnotique pour une durée de 28 jours, ainsi que de Buprénorphine pour sept jours avec mention qu'il soit à délivrer par la pharmacie à raison d'un cachet par jour en raison du risque d'addiction lié à ce médicament ; qu'une telle prescription était adaptée à l'état de MlleE... ; que s'il ressort des mentions portées sur cette ordonnance que la pharmacie a toutefois remis 7 cachets de Buprénorphine à l'intéressée dès le 3 novembre, et du procès-verbal dressé par la gendarmerie que des plaquettes vides des produits neuroleptiques et hypnotiques ont été retrouvées à son domicile lors de la constatation de son décès, de telles circonstances ne sauraient être regardées comme révélant une faute de l'EPSM alors qu'au surplus, Mlle E...avait précédemment refusé la visite journalière à domicile d'un infirmier psychiatrique pour la prise de ses médicaments ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de toute faute commise par l'EPSM de Caen, M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
Sur les frais d'expertise :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser les frais d'expertise à la charge des consortsE... ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'EPSM de Caen, qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante, le versement au conseil de M. E...de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande présentée au même titre par l'EPSM de Caen ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'EPSM de Caen tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... E..., à M. A...E..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados et à l'établissement public de santé mentale de Caen.
Délibéré après l'audience du 9 février 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président assesseur,
- M. Gauthier, premier conseiller,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 février 2017.
Le rapporteur,
I. Le BrisLe président,
O. Coiffet
Le greffier,
M. K...
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°15NT01660