Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Marine Harvest Kritsen a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 22 janvier 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d'une part, annulé la décision de l'inspecteur du travail en date du 16 juillet 2014 autorisant la société à procéder au licenciement de Mme B...E...et, d'autre part, refusé l'autorisation de procéder à ce licenciement.
Par un jugement n° 1501598 du 3 février 2017, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 mars 2017 MmeD..., représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 février 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Marine Harvest Kritsen devant le tribunal administratif de Rennes ;
3°) de mettre à la charge de la société Marine Harvest Kritsen, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le paiement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais engagés en première instance et de 2 000 euros au titre des frais engagés en cause d'appel.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la société Marine Harvest Kritsen avait répondu aux questions posées par l'administration ;
- la société n'apporte la preuve ni de l'envoi ni de la réception par l'administration de sa lettre du 17 décembre 2014 destinée à répondre aux questions du ministre ;
- la réponse de la société est intervenue postérieurement à la transmission par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de son rapport au ministre chargé du travail ;
- la réponse de la société Marine Harvest Kritsen n'apportait aucun élément nouveau et pouvait donc être regardée par le ministre comme une absence de réponse ;
- la réalité du motif économique invoqué par la société afin de justifier son plan de sauvegarde n'est pas fondée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2018, la société Marine Harvest Kritsen conclut au non-lieu à statuer sur la requête de MmeD..., à titre subsidiaire au rejet de la requête, et à ce que Mme D...soit condamnée à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le décret n°2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret du 20 mars 2014 portant nomination du directeur général du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Francfort, président,
- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D...occupait depuis le 31 décembre 1994 le poste d'opératrice de production au sein de la société Marine Harvest Kristen, filiale du groupe norvégien Marine Harvest, qui a pour activité la transformation et la conservation de produits de la mer. Elle exerçait par ailleurs les mandats de déléguée du personnel titulaire et de membre suppléant du comité d'établissement. Par courrier du 4 juin 2014, la société Marine Harvest Kritsen a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de procéder au licenciement de Mme D...pour motif économique. Par une décision du 16 juillet 2014, l'inspecteur du travail a accordé cette autorisation. Par une décision du 22 janvier 2015, le ministre chargé du travail, saisi par Mme D...d'un recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et refusé d'accorder l'autorisation de licenciement. Par la présente requête, Mme D...demande l'annulation du jugement du 3 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé, à la demande de la société, le refus du licenciement opposé par le ministre chargé du travail le 22 janvier 2015.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. Aux termes de l'article L. 2422-1 du code du travail : " Lorsque le ministre compétent annule, sur recours hiérarchique, la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement d'un salarié investi de l'un des mandats énumérés ci-après, ou lorsque le juge administratif annule la décision d'autorisation de l'inspecteur du travail ou du ministre compétent, le salarié concerné a le droit, s'il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d'être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent. Cette disposition s'applique aux salariés investis d'un des mandats suivants : 1° Délégué syndical (...) ".
3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail et le refus du ministre compétent d'autoriser ce licenciement revêt le caractère d'une décision créatrice de droits à son profit notamment en ce qu'elle implique, s'il en fait la demande, sa réintégration. Ainsi, le litige par lequel l'employeur demande au juge administratif l'annulation de ce refus pour excès de pouvoir ne saurait être privé d'objet en raison de ce que ce refus aurait cessé, en cours d'instance, de faire obstacle au licenciement, soit parce que l'administration l'aurait abrogé pour l'avenir en accordant l'autorisation sollicitée, soit en raison de l'expiration du délai de deux mois au cours duquel le salarié était en droit de solliciter auprès de son employeur sa réintégration. Un tel litige n'est en effet susceptible de perdre son objet que si, en cours d'instance, la décision de refus d'autorisation a été rétroactivement retirée par l'autorité compétente, à condition que ce retrait ait acquis un caractère définitif.
4. Il résulte de ce qui précède que ni la circonstance que Mme D...n'ait pas, dans le délai qui lui était imparti après la notification de la décision du ministre chargé du travail, sollicité sa réintégration dans les effectifs de la société Marine Harvest Kritsen, ni celle que le ministre chargé du travail ait décidé le 6 avril 2017, soit postérieurement au jugement attaqué qu'il " n'y a plus lieu de statuer sur la demande d'autorisation de licenciement de Madame C...D...", ne sont de nature à priver la présente requête de son objet. Par suite, il y a toujours lieu d'y statuer.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. / Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. (...) ". Ces dispositions, qui fixent un délai pour former un recours hiérarchique contre une décision de l'inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licencier un salarié protégé, ont entendu se référer à la règle générale du contentieux administratif selon laquelle un recours gracieux ou hiérarchique contre une décision administrative doit être exercé avant l'expiration du délai de recours contentieux pour interrompre ce délai. Par suite, le délai de deux mois mentionné à l'article R. 2422-1 du code du travail est un délai franc qui, s'il expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant. Il ressort des pièces du dossier que la décision de l'inspecteur du travail a été notifiée à Mme D...le 19 juillet 2014. L'intéressée disposait à compter de cette date d'un délai de deux mois francs pour exercer un recours hiérarchique au près du ministre compétent. Ce délai expirait normalement le 20 septembre 2014. Ce dernier jour étant un samedi, le délai était prorogé jusqu'au lundi 22 septembre 2014, date à laquelle, ainsi qu'il ressort du courrier de suivi de La Poste produit en première instance, le recours hiérarchique de Mme D...a été reçu par le ministre chargé du travail. Dès lors la société intimée n'est pas fondée à soutenir que le recours hiérarchique de Mme D...aurait été exercé au-delà du délai prévu par les dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail.
En ce qui concerne l'erreur de fait retenue par les premiers juges :
6. La réalité du motif économique devant être appréciée dans le cadre du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise, il ressort de la motivation de la décision du ministre chargé du travail que celui-ci, après avoir considéré que la décision de l'inspecteur du travail du 16 juillet 2014 était insuffisamment motivée, a estimé qu'il n'avait pas été mis en mesure de se prononcer sur la réalité du motif économique invoqué par la société Marine Harvest Kritsen au soutien de sa demande, en raison de l'absence de réponse de la société aux sollicitations de l'autorité administrative quant aux éléments de fait attestant de la nécessité d'assurer la sauvegarde de la compétitivité de l'activité " Value Added Products (VAP) du groupe Marine Harvest, qui regroupe les secteurs du "frais", de "l'élaboré frais" et du " fumé", compte tenu notamment de l'acquisition par le groupe Marine Harvest, en février 2013, de l'entreprise Morpol, spécialisée dans la transformation du saumon ainsi que dans la production de saumon fumé, qui doit être regardé comme faisant partie du secteur d'activité en cause ;
7. Il ressort des pièces du dossier que par courriel du 2 décembre 2014 l'inspectrice du travail en charge de la contre-enquête au sein de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, a demandé à la société Marine Harvest Kritsen de préciser " si, pour apprécier la compétitivité économique de cette branche d'activité (VAP) lors de sa demande, l'employeur a pris en compte les résultats de l'entreprise Morpol dans ce secteur " ; qu'en retour, par lettre adressée par voie électronique le 17 décembre 2014, la société Marine Harvest Kristen, tout en admettant que la société Morpol faisait partie du groupe Marine Harvest depuis fin 2013, s'est bornée à préciser que la société Morpol exerçait notamment une activité de transformation tout comme la société Marine Harvest Kritsen, que la société Morpol " rentre bien dans le même secteur d'activité que celle de la société Marine Harvest Kristen ", mais " est appelée à rencontrer les mêmes problèmes que la société Marine Harvest Kritsen du fait de la hausse des prix de matières premières (...) ", concluant " C'est en cela qu'il a bien été tenu compte des résultats potentiels de l'activité transformation de Morpol pour apprécier la compétitivité économique de cette branche d'activité ".
8. Ces éléments, pas davantage que ceux transmis depuis le début de la procédure de licenciement, n'ont permis au ministre d'apprécier la réalité du motif économique invoqué à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement de MmeD.... Dès lors, c'est sans entacher sa décision d'erreur de fait que le ministre chargé du travail a considéré qu'en conséquence de l'insuffisance de sa réponse, la société ne le mettait pas à même d'apprécier la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité considéré du groupe Marine Harvest et que le motif économique ne saurait dès lors être tenu pour établi ;
9. Il résulte de ce qui précède que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du ministre chargé du travail du 22 janvier 2015 au motif qu'elle était entachée d'erreur de fait.
Par l'effet dévolutif de l'appel, sur les autres moyens invoqués par la société Marine Harvest Kritsen à l'encontre de la décision du ministre chargé du travail 22 janvier 2015 :
En ce qui concerne l'ensemble de la décision :
10. Conformément aux dispositions de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005, le directeur général du travail dispose, à compter du jour suivant la publication de sa nomination, de la délégation pour signer, au nom du ministre du travail, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous son autorité. Par décret du 20 mars 2014, publié au Journal officiel de la République française du 21 mars, M.F..., signataire de la décision attaquée, a été nommé directeur général du travail. Par suite, le vice d'incompétence allégué doit être écarté.
En ce qui concerne l'annulation de l'autorisation de licenciement accordée par l'inspecteur du travail :
11. Il ressort des pièces du dossier que, dans sa décision du 16 juillet 2014, l'inspecteur du travail n'a fourni aucun élément factuel précis et circonstancié quant à la réalité du motif économique invoqué pour justifier le licenciement de MmeD.... Il ne s'est pas davantage prononcé sur la réalité des efforts de reclassement de MmeD.... Pourtant de tels éléments de l'appréciation à laquelle l'administration doit se livrer lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique sont au nombre des motifs qui doivent expressément figurer dans sa décision afin de s'assurer que l'inspecteur du travail a effectivement exercé son contrôle sur ces différents points. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le ministre chargé du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail comme insuffisamment motivée.
En ce qui concerne le refus de licenciement décidé par le ministre :
12. En premier lieu, la décision refusant le licenciement de Mme D...vise les articles L. 2411-1 et suivants et R. 2421-1 et suivants du code du travail. Elle mentionne, notamment, l'acquisition de la société Morpol par le groupe Marine Harvest en 2013 ainsi que l'impossibilité pour l'autorité administrative d'apprécier la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur value added products (VAP) du groupe Marine Harvest au regard des éléments dont elle dispose. Elle comporte ainsi les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et satisfait en conséquence aux exigences de motivation de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979, alors en vigueur, et de l'article R. 2421-12 du code du travail, applicables à la décision statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un délégué du personnel. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision en litige doit dès lors être écarté.
13. En deuxième lieu, le ministre chargé du travail, lorsqu'il statue sur un recours hiérarchique formé contre une décision de l'inspection du travail relative au licenciement d'un salarié protégé, n'est tenu de procéder à l'enquête contradictoire prescrite par les dispositions de l'article R. 2421-11 du code du travail que lorsque l'inspecteur du travail n'a pas régulièrement mené une telle enquête. Il est néanmoins tenu, en application de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, de communiquer le recours au tiers au profit duquel la décision contestée par ce recours a créé des droits, et de recueillir ses observations.
14. Suite à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 16 juillet 2014 le ministre compétent, avant de statuer sur la demande d'autorisation de licenciement de MmeD..., a décidé de procéder lui-même à une nouvelle enquête contradictoire. A cette fin la société Marine Harvest Kritsen, qui ne conteste pas s'être vu régulièrement communiquer le recours hiérarchique de MmeD..., a été reçue le 14 novembre 2014 par la responsable de la contre-enquête avec qui elle a échangé des pièces par courriel. Dès lors, elle doit être regardée comme ayant été mise à même de présenter ses observations. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure doit être écarté.
15. En troisième lieu, le ministre chargé du travail, saisi sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, et qui devait statuer à nouveau après avoir annulé la décision prise par l'inspecteur du travail, a pu légalement fonder sa décision sur un moyen non soulevé dans le recours hiérarchique. Par suite, la société Marine Harvest Kritsen n'est pas fondée à soutenir que le ministre chargé du travail " aurait statué ultra petita " en prenant en compte le caractère insuffisamment établi du motif économique allégué ;
16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision du 22 janvier 2015 par laquelle le ministre chargé du travail a, d'une part, annulé l'autorisation de licencier Mme D...pour motif économique accordée le 16 juillet 2014 par l'inspecteur du travail et, d'autre part, refusé d'accorder à la société Marine Harvest Kritsen cette autorisation.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de la société Marine Harvest Kristen le versement d'une somme globale de 1 000 euros à Mme D...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en première instance et en appel. Les mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de MmeD..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société Marien Harvest Kritsen demande au titre des frais de même nature exposés par elle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 février 2017 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Marine Harvest Kritsen devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions d'appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Marine Harvest Kritsen versera à MmeD... une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...D..., à la société Marine Harvest Kritsen et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Pons, premier conseiller,
- M. Bouchardon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 juin 2018.
Le président-rapporteur,
J. FRANCFORTL'assesseur le plus ancien,
F. PONS
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT00890