Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A...C...a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation, d'une part, de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours hiérarchique dirigé contre la décision du préfet du Val-de-Marne du 18 février 2015 rejetant sa demande de naturalisation et, d'autre part, de la décision du 29 décembre 2015 par laquelle le ministre de l'intérieur a substitué à la décision préfectorale de rejet une décision d'ajournement à deux ans de sa demande de naturalisation.
Par un jugement nos 1508873 et 1601290 du 26 septembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du ministre de l'intérieur du 29 décembre 2015.
Procédure devant la cour :
Par un recours, enregistré le 4 octobre 2017, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 septembre 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif par Mme C... dirigée contre le refus de naturalisation du 29 décembre 2015.
Il soutient que :
- la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, la situation au regard du séjour de l'époux de Mme C... pouvant affecter la stabilité de l'installation pérenne en France de l'intéressée ;
- s'agissant de la demande de substitution de motif faite au tribunal, l'aide au séjour irrégulier de son époux par Mme C... est établie ;
- les moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2018, Mme C..., représentée par Me D...conclut au rejet du recours, à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui accorder la nationalité française dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à titre subsidiaire de procéder au réexamen de sa situation administrative dans le même délai, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Degommier, président-assesseur, été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par décision du 29 décembre 2015, le ministre de l'intérieur saisi d'un recours hiérarchique dirigé contre la décision du préfet du Val-de-Marne du 18 février 2015 rejetant la demande de naturalisation de Mme A...C..., a substitué à la décision préfectorale une décision ajournant à deux ans la demande de naturalisation de l'intéressée. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 26 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a, à la demande de MmeC..., annulé sa décision du 29 décembre 2015.
Sur la légalité de la décision du ministre de l'intérieur du 29 décembre 2015 :
2. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
3. Aux termes de l'article 21-16 du code civil : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Ces dispositions imposent à tout candidat à l'acquisition de la nationalité française de résider en France et d'y avoir fixé durablement le centre de ses intérêts familiaux et matériels à la date à laquelle il est statué sur sa demande. Pour apprécier si cette dernière condition est remplie, l'administration peut notamment se fonder, sous le contrôle du juge, sur la durée de la présence du demandeur sur le territoire français, sur sa situation familiale, ainsi que sur le caractère suffisant et durable des ressources qui lui permettent de demeurer en France. Le ministre auquel il appartient de porter une appréciation sur l'opportunité d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite peut légalement, dans le cadre de cet examen d'opportunité, tenir compte de toutes les circonstances de l'affaire, y compris de celles qui ont été examinées pour statuer sur la recevabilité de la demande.
4. Pour ajourner à deux ans la demande de naturalisation de MmeC..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur la circonstance que son époux ne justifiait, en l'absence de titre de séjour, d'aucun droit à se maintenir régulièrement sur le territoire français.
5. Il ressort des pièces du dossier que MmeC..., ressortissante algérienne née en 1974, est arrivée en France en 1981 avec ses parents ainsi que ses deux frères et de sa soeur, qui résident toujours en France et ont tous les trois la nationalité française, qu'elle séjourne elle-même en France de manière régulière, et qu'à la date de la décision, elle exerçait une activité professionnelle dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée. Dans ces conditions, alors même que son époux se maintenait irrégulièrement sur le territoire français à la suite du refus du préfet du Val-de-Marne, le 29 octobre 2015, de lui délivrer un titre de séjour, Mme C... ne pouvait être regardée comme n'ayant pas transféré les centres de ses intérêts en France. C'est, dès lors, à bon droit que les premiers juges ont estimé que le ministre de l'intérieur avait commis une erreur manifeste d'appréciation en se fondant sur cette seule circonstance.
6. Toutefois, pour établir que la décision litigeuse était légale, le ministre a demandé aux premiers juges, dans son mémoire enregistré le 11 mars 2016 au greffe du tribunal administratif, communiqué à MmeC..., de substituer au motif initial un autre motif tiré de la nécessité d'observer le comportement de l'intéressée compte tenu de l'aide apportée au séjour irrégulier de son conjoint. Les premiers juges ont cependant refusé de procéder à la substitution ainsi sollicitée en retenant qu'il ne résultait pas de l'instruction que le ministre aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que ce motif, dont l'exactitude matérielle n'était d'ailleurs pas établie.
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme C...a épousé, le 28 mars 2014 à Ivry-sur-Seine, M.B..., qui n'a sollicité un titre de séjour que le 28 avril 2015, date de sa demande d'admission exceptionnelle au séjour, qui a été refusée le 29 octobre 2015 et lui a été notifiée le 10 novembre 2015. Mme C...ne conteste pas que son conjoint était en situation irrégulière et l'avoir aidé à séjourner irrégulièrement en France. Dès lors, le ministre de l'intérieur, eu égard au large pouvoir d'appréciation dont il dispose, pouvait ajourner à deux ans la demande de naturalisation présentée par Mme C...pour ce motif, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation. Il résulte de l'instruction, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, que le ministre aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur ce motif. Par suite, il y a lieu de procéder à la substitution de motifs demandée par le ministre, qui n'a pas pour effet de priver Mme C...d'une garantie de procédure.
8. Il y a lieu toutefois pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... tant devant le tribunal administratif que devant la cour.
9. En premier lieu, contrairement à ce que soutient Mme C..., la décision litigieuse comporte les considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde. Par suite, elle répond à l'obligation de motivation posée par les dispositions de l'article 27 du code civil.
10. En second lieu, Mme C... ne saurait, au soutien de la contestation d'une décision ajournant à deux ans sa demande de naturalisation sur le fondement des dispositions de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993, utilement se prévaloir de ce qu'elle remplit toutes les conditions de recevabilité d'une telle demande.
11. En troisième et dernier lieu, eu égard aux éléments énoncés au point 7 ci-dessus, le ministre n'a entaché sa décision ni d'une erreur de droit, ni d'une erreur manifeste d'appréciation.
12. Il résulte de ce tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 29 décembre 2015 ajournant à deux ans la demande de naturalisation présentée par Mme C....
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par Mme C... :
13. Le présent arrêt, qui annule le jugement du 26 septembre 2017 du tribunal administratif de Nantes et rejette la demande de Mme C... n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte qu'elle présente ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 26 septembre 2017 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Nantes, ainsi que ses conclusions présentées devant la cour, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président de chambre,
- M. Degommier, président-assesseur,
- M. Mony, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 novembre 2018.
Le rapporteur,
S. DEGOMMIERLe président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT03054