Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 8 juillet 2019 par lesquels la préfète d'Ille-et-Vilaine a ordonné sa remise aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence. M. A... a également demandé qu'il soit enjoint à la préfète de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer un récépissé en qualité de demandeur d'asile.
Par un jugement n° 1903504 du 16 juillet 2019, la magistrate désignée par le président de ce tribunal a annulé les arrêtés du 8 juillet 2019 mentionnés au paragraphe précédent et a enjoint à la préfète d'Ille-et-Vilaine d'autoriser M. A... à solliciter l'asile et de lui délivrer un récépissé en qualité de demandeur d'asile dans un délai de 7 jours.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 juillet 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. A... formée devant le tribunal administratif.
Elle soutient que :
- c'est par une erreur d'appréciation que le premier juge a estimé qu'elle devait faire jouer la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement UE du 26 juin 2013 dans la mesure où, contrairement à ce qui est mentionné dans le jugement attaqué, M. A... n'a apporté aucun élément de nature à établir la véracité des propos tenus à l'audience ;
- les seules allégations de M. A... ainsi que ses propos tenus à l'audience ne sont pas de nature à justifier le recours à l'article 17 ;
- le tribunal n'a aucunement répondu à l'argumentation qu'elle avait développée en défense et a inversé la charge de la preuve en dénaturant la teneur de son mémoire en défense ;
- le tribunal n'a aucunement tenu compte de ce qui avait été développé en défense et n'y a même pas fait référence ;
- contrairement à ce qui a été mentionné dans le jugement, les empreintes de M. A... ont été prises en Italie après qu'il a expressément formulé une demande d'asile ;
- contrairement à ce qui a été allégué, M. A... n'était aucunement mineur lorsque ses empreintes ont été relevées ;
- la circonstance que l'accord des autorités italiennes soit implicite n'a aucune incidence sur la légalité de la décision de transfert ;
- le tribunal a dénaturé les faits en relevant un moyen tiré de la pratique habituelle des autorités italiennes qui n'a jamais été invoqué par le requérant ;
- le manquement des autorités italiennes à leurs obligations en matière d'accueil des réfugiés n'est aucunement établi ;
- le motif retenu par le premier juge quant à la pratique habituelle des autorités italiennes de notifier au demandeur d'asile une obligation de quitter le territoire italien sans examiner sa situation au regard de l'asile est erroné, d'autant qu'il n'a jamais été invoqué par
M. A... et résulte donc d'une dénaturation des faits ;
- la législation italienne comporte des dispositions garantissant le respect du droit d'asile ;
- le tribunal a méconnu la jurisprudence constante en la matière.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, est entré une première fois en France en 2018 et a sollicité le 5 mai 2018 auprès de la préfecture d'Ille-et-Vilaine son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé que ses empreintes avaient déjà été relevées par les autorités italiennes. Il a fait l'objet, le 13 février 2019, d'un premier arrêté de transfert aux autorités italiennes qui a été mis à exécution le 18 mars 2019 après que le recours exercé par l'intéressé contre cette première décision a été rejeté par un jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 février 2019. M. A... est cependant à nouveau entré sur le territoire français le 7 juin 2019 et a, à nouveau, sollicité le statut de demandeur d'asile. Après avoir saisi de nouveau les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge de cet étranger et après un accord implicite de ces autorités, la préfète d'Ille et Vilaine a ordonné son transfert en Italie par un arrêté du 8 juillet assorti d'un second arrêté du même jour l'assignant à résidence. Par la requête visée ci-dessus, la préfète relève appel du jugement du 16 juillet 2019 par lequel la magistrate désignée par le président du Tribunal Administratif de Rennes a annulé ces deux arrêtés et lui a enjoint d'admettre la demande de M. A... comme demandeur d'asile.
2. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable ". (...) 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, selon l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Enfin, la mise en oeuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif " ainsi qu'à la lumière des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales selon lequel : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
3. Il résulte de la combinaison de l'ensemble de ces textes que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe, dans le 1° de son article 3, qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au 1° de l'article 17 du règlement laquelle procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre.
4. M. A... avait fait valoir, devant le juge de première instance, qu'il existait, du fait de la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve l'Italie, confrontée à un afflux sans précédent de réfugiés, de très sérieux risques que sa demande d'asile ne soit pas effectivement examinée compte tenu de la saturation des capacités d'accueil des réfugiés et migrants. Toutefois, ces allégations qui ne sont pas appuyées par des éléments précis, concordants et actualisés et qui sont formellement contestées par la préfète dans le mémoire en défense qu'elle a présenté en première instance, ne suffisent pas à établir ni l'existence des manquements allégués ni que la demande d'asile de l'intéressé aurait été exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
5. De même, il ne ressort pas davantage de la lecture des pièces du dossier que M. A... aurait fait valoir avec suffisamment de précision, notamment par référence à des données actualisées, qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Italie, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Il résulte de ce qui précède que la préfète d'Ille-et-Vilaine est fondée à soutenir que c'est à tort que le premier juge a estimé que son arrêté du 8 juillet 2019 portant transfert de M. A... aux autorités italiennes aurait été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
7. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... à l'appui de sa demande.
8. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 4. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. ".
9. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile doit se voir remettre une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de l'examen de sa demande d'asile. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de cette information, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., après avoir fait l'objet d'une première décision de transfert vers l'Italie le 18 mars 2019, s'est de nouveau présenté le 7 juin 2019 aux services de la préfecture d'Ille-et-Vilaine afin de solliciter le statut de demandeur d'asile. Il s'est alors vu remettre les documents nécessaires relatifs aux règlements européens et au système Eurodac intitulés " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne-quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ", " Je suis sous procédure Dublin, qu'est-ce que cela signifie " en langue française, langue déclarée comprise par l'intéressé, lesquelles regroupent l'ensemble des éléments nécessaires à une information du demandeur d'asile suffisamment précisé au regard des exigences rappelées au point 9. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 doit être écarté.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 de la directive n°2013/33 susvisée : " 1. Les Etats membres informent, au minimum, les demandeurs, dans un délai raisonnable n'excédant pas quinze jours après l'introduction de leur demande de protection internationale, des avantages dont ils peuvent bénéficier et des obligations qu'ils doivent respecter eu égard aux conditions d'accueil. ". Comme indiqué au point précédent, M. A... a reçu, le 7 juin 2019, jour du dépôt de sa demande d'asile, dans une langue qu'il comprend, les informations nécessaires, synthétisées dans les brochures A intitulée " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande " et B intitulée " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " concernant les avantages dont il pouvait bénéficier et les obligations qu'il devait respecter, eu égard à sa qualité de demandeur d'asile. Par suite, la circonstance que la préfète ne lui ait pas communiqué le guide du demandeur d'asile est sans influence dès lors que le caractère suffisant des informations ainsi communiquées est établi. Dès lors, le moyen tiré de ce que les informations prévues par les dispositions citées plus haut n'auraient pas été communiquées à cet étranger doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète d'Ille-et-Vilaine est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé ses arrêtés du 8 juillet 2019 portant transfert de M. A... vers l'Italie et assignant ce dernier à résidence puis a assorti son jugement d'une injonction de lui délivrer un récépissé en qualité de demandeur d'asile.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°1903504 du 16 juillet 2019 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : La demande de M. A... présentée devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A....
Une copie sera transmise à la préfète d'Ille-et-Vilaine
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. B..., président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gelard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 décembre 2019.
Le président,
H. B...Le président-assesseur
O. COIFFET
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03135