Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'association de veille environnementale et pour la protection animale de Morteaux-Coulibeuf et autres ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 9 octobre 2015 par laquelle le préfet du Calvados a enregistré, au nom de l'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) du Perrey, un élevage de 4 130 animaux équivalents au lieudit Le Perrrey à Moteaux-Couliboeuf associé à un plan d'épandage d'une superficie maximale de 421,69 ha répartie sur le territoire des communes de Barou-en-Auge, de Beaumais, de Damblainville, de Morteaux-Couliboeuf et de Vaudeloges.
Par un jugement n° 1600220 du 6 décembre 2017 le tribunal administratif de Caen a annulé la décision préfectorale du 9 octobre 2015.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 février 2018 et un mémoire du 14 janvier 2019, l'EARL du Perrey, représentée par Me T..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 6 décembre 2017 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il a été fait une inexacte application de l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement et de l'arrêté du 27 décembre 2013 ;
- des mesures de précaution sont prises.
Par des mémoires en défense enregistrés les 11 décembre 2018 et 1er février 2019, l'association de veille environnementale et pour la protection animale de Morteaux-Couliboeuf, le Groupement régional des associations de protection de l'environnement de Basse-Normandie, Mme C... G..., M. W... G..., M. Q... H..., Mme P... A..., Mme F... V..., M. D... R..., M. B... S..., M. J... I..., Mme L... I... et Mme O... M..., représentés par Me U..., concluent :
- au rejet de la requête de l'EARL du Perrey ;
- à ce que soit mise à la charge de l'EARL du Perrey, le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent qu'aucun moyen n'est de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive n° 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ;
- la directive n° 91/676/CEE du Conseil du 12 décembre 1991 relative à la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme K...,
- les conclusions de M. N...,
- et les observations de Me T..., représentant l'EARL du Perrey.
Considérant ce qui suit :
1. L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Rauline avait été autorisée, par des arrêtés préfectoraux des 13 mai 1985 et 12 mai 1992, à exploiter un élevage avicole de 48 000 animaux équivalents et un élevage porcin de 1 458 animaux équivalents, au lieudit le Perrey à Morteaux-Couliboeuf (Calvados). L'EARL du Perrey, créée le 1er avril 2008, a repris l'activité de cette exploitation. Après la cessation en mai 2008, de l'activité avicole, M. et Mme E..., exploitants de cette entreprise, ont présenté le 20 mai 2014 au préfet du Calvados une demande d'enregistrement d'un élevage porcin de 4 130 animaux équivalents associé à un plan d'épandage qui a été complétée les 14 novembre 2014 et 13 mars 2015. Par un arrêté du 9 octobre 2015, le préfet du Calvados a procédé à l'enregistrement, au titre de la réglementation sur les installations classées, d'un élevage de 4 130 animaux équivalents au lieudit le Perrey à Morteaux-Couliboeuf associé à un plan d'épandage d'une superficie maximale de 421,69 ha répartie sur les communes de Barou-en-Auge, de Beaumais, de Damblanville, de Morteaux-Couliboeuf et de Vaudeloges. Par un jugement du 6 décembre 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté préfectoral du 9 octobre 2015. L'EARL du Perrey relève appel de ce jugement.
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 9 octobre 2015 :
2. Aux termes de l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement, alors applicable : " Le préfet peut décider que la demande d'enregistrement sera instruite selon les règles de procédure prévues par la section 1 du présent chapitre : 1° Si, au regard de la localisation du projet, en prenant en compte les critères mentionnés au point 2 de l'annexe III de la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, la sensibilité environnementale du milieu le justifie ; 2° Ou si le cumul des incidences du projet avec celles d'autres projets d'installations, ouvrages ou travaux situés dans cette zone le justifie ; 3° Ou si l'aménagement des prescriptions générales applicables à l'installation, sollicité par l'exploitant, le justifie. Dans ce cas, le préfet notifie sa décision motivée au demandeur, en l'invitant à déposer le dossier correspondant. Sa décision est rendue publique. ".
3. L'annexe III de la directive n°2011/92/UE du 13 décembre 2011, qui s'est substituée à celle du 27 juin 1985, retient notamment comme critères les caractéristiques des projets au regard notamment de la pollution et des nuisances susceptibles d'en découler, du risque d'accidents compte tenu en particulier des substances mises en oeuvre, de leur localisation appréciée du point de vue de la sensibilité environnementale ainsi que des caractéristiques de l'impact potentiel du projet au regard de l'étendue de cet impact, de son ampleur, de sa complexité et de sa probabilité.
4. Ainsi, si une installation soumise à enregistrement est en principe dispensée d'une évaluation environnementale préalable à son enregistrement, le préfet saisi d'une demande d'enregistrement doit, en application des dispositions des articles L. 512-7-2 et R. 512-46-9 du code de l'environnement pris pour son application, se livrer à un examen particulier du projet au regard notamment de sa localisation et de la sensibilité environnementale de la zone d'implantation ou du cumul des incidences du projet avec celles d'autres projets d'installations, ouvrages ou travaux situés dans la même zone afin de déterminer si une évaluation environnementale est nécessaire. Ces critères doivent s'apprécier, notamment au regard de la qualité et de la capacité de régénération des ressources naturelles de la zone concernée, indépendamment des mesures prises par le pétitionnaire pour limiter l'impact de son projet sur l'environnement.
5. Il résulte de l'instruction que l'exploitation de l'EARL du Perrey est implantée sur le territoire de la commune de Morteaux-Couliboeuf (Calvados) laquelle se situe à moins de 4 km des Monts d'Eraine qui constituent outre une zone Natura 2000, une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 2 qui abrite une végétation et une faune originales d'une grande richesse comportant plusieurs centaines d'espèces dont certaines sont d'intérêt européen et à l'intérieur de laquelle se situe la réserve naturelle du Côteau de Mesnil Soleil. L'exploitation est également voisine des ZNIEFF du chemin de la Croix d'Ailly, de Maison Blanche et du Bois de la plaine de Falaise. Elle est localisée dans la campagne de Falaise, zone de plaine agricole recouverte de grandes cultures. Elle occupe le versant de la rive gauche de la rivière la Dives, éloignée de seulement 500 m, dans une vallée peu profonde, et se situe à l'interfluve de deux affluents de la Dives, l'Ante et Traine-Feuille, qui se trouvent à 300 et 900 m environ du siège d'exploitation.
6. Le relief de ce secteur est caractérisé par la dépression géologique dite Creux de Morteaux-Couliboeuf qui abrite la plus grande réserve d'eau de la Dives laquelle a un rôle de régulation et de zone humide et qui présente le caractère d'une nappe libre, n'étant pas rendue étanche par de l'argile. Il ressort des études pédologiques et hydrologiques du Bureau d'études en géologie et environnement Lithologic de mai 2012 que ce site se caractérise par des formations géologiques calcaires du bathonien et du bajocien à fort potentiel aquifère, que le milieu calcaire est fortement fracturé et que les infiltrations agrandissent ces fissures.
7. Dans le secteur de l'exploitation, les aquifères du bathonien sont libres à semi captifs en raison d'une couverture imperméable absente ou discontinue ce qui les rend vulnérables aux pollutions d'origine agricole, notamment par les nitrates ; les sols ne comprenant pas d'argile ne disposent que d'une faible hauteur de terre, de sorte que tout intrant atteint la nappe dont le sol est en contact avec l'aquifère alluvial. Le bureau d'étude Lithologic note en particulier que l'aquifère du bathonien constitue la principale ressource en eau potable de la population du département. Il ressort de cette même étude que le site de l'exploitation de l'EARL se situe à moins d'un km du forage de Blocqueville (qui sera condamné en 2016) et de celui de Cantepie situé en zone de protection prioritaire nitrates du Grenelle du Calvados qui jusqu'en 1995 alimentait la ville de Falaise avant d'être abandonné en raison de sa teneur en nitrates et qu'il existe également à proximité immédiate du siège de l'exploitation des ressources privées pour l'alimentation du cheptel ou des usages domestiques. L'étude de l'Agence régionale de santé de mai 2011 montre que dans l'aire d'alimentation de Beaumais, dans laquelle se situe le captage de Cantepie, les teneurs moyennes en nitrate ne respectent pas les exigences qualités et évoluent en fonction de la pluviométrie dès lors que les sols ne fixent pas les intrants, de sorte que l'importance des taux de nitrates a justifié l'abandon de ce forage. Il est par ailleurs constant que les besoins en eau de bonne qualité sont en croissance tant pour la population que pour les activités économiques. L'étude hydrogéologique jointe par la pétitionnaire à l'appui de sa demande conclut en considérant que l'aquifère du bathonien présente une forte vulnérabilité et que sa protection naturelle est souvent faible ou très hétérogène de sorte que les conditions d'épandage doivent être strictement conditionnées par les capacités du sol à épurer les effluents. L'Agence de l'eau Seine-Normandie note également que les rivières confluant vers la Dives sont toutes dans un état dégradé. Le rapport du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de juillet 2001 fait état d'une augmentation de la force et de la fréquence des phénomènes de remontées de nappe en fonction de la pluviométrie. Enfin, il est constant que la porcherie, et en particulier la cuve à lisier, souterraine, est en zone inondable à moins 2,50 mètres.
8. Par ailleurs, le projet de l'EARL prévoit d'étendre la surface du plan d'épandage de 214 ha à 427 ha sur le territoire de cinq communes. Les parcelles concernées par les installations et le plan d'épandage en litige sont en grande majorité situées en zone vulnérable en application de la directive n° 91/676/CEE concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles et pour certaines sont situées à proximité immédiate de ZNIEFF qui portent sur des secteurs de grand intérêt biologique ou écologique. L'étude agropédologique du cabinet Lithologic montre que l'ensemble du plan d'épandage est dans une zone où la vulnérabilité des eaux souterraines est forte à très forte et qu'une surface de seulement 260 ha présente une aptitude moyenne à l'épandage.
9. Il résulte également des documents précités que, sur la nappe sur laquelle se situe l'exploitation de la requérante, les taux de nitrates ne cessent d'augmenter en dépit de cinq plans antérieurement mis en oeuvre pour les réduire. L'étude hydrogéologue de mai 2009 réalisée dans le cadre du projet de remise en service du captage de Cantepie précise que le secteur est classé en zone vulnérable vis-à-vis des nitrates et à ce titre un programme d'action est mené dans le cadre de la directive nitrates. Il y était également précisé que la fertilisation azotée et les traitements restent à moyen et long terme une source importante de pollution chronique et diffuse de la ressource en eau souterraine. Enfin, l'étude de l'Agence régionale de santé a constaté que dans le secteur de Beaumais, dans lequel se situe le captage de Cantepie, les teneurs moyennes en nitrates n'étaient pas respectées ce qui a conduit à l'abandon de ce captage.
10. Enfin, il est constant que six autres porcheries sont installées à proximité du siège de l'exploitation de l'EARL du Perrey en particulier dans les communes de Vicques et de Jort qui se situent dans le même bassin hydrogéologique de la Dives situé comme il a été dit en zone vulnérable au regard des nitrates dont les taux n'ont cessé de croître depuis 2001. Dans ces conditions, alors même que leurs plans d'épandage ne se superposent pas, l'extension de l'élevage exploité par l'EARL est de nature à aggraver les effets induits par une telle activité sur la qualité des eaux souterraines.
11. Eu égard à ce qui précède, et alors même que la dégradation de la qualité de l'eau concerne l'ensemble de l'aquifère du bathonien-bajocien s'étendant de la plaine de Falaise à la plaine de Caen, que des mesures de précaution seront prises par l'exploitant et qu'il s'engage à respecter les prescriptions du 5ème programme d'action régionale de lutte contre les nitrates ainsi que les règles en matière d'épandage des effluents des installations relevant du régime de l'enregistrement, le projet de l'EARL du Perrey devait faire l'objet d'une évaluation environnementale et, dès lors, être instruit selon la procédure d'autorisation en application des dispositions de l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement.
12. Un tel vice, eu égard à la nécessité de reprendre l'instruction du dossier selon les règles applicables à la procédure de l'autorisation environnementale prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier du code de l'environnement, ne peut faire l'objet d'une régularisation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que l'EARL du Perrey n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du préfet du Calvados du 9 octobre 2015.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme au titre des frais exposés par l'EARL du Perrey et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par l'EARL ne peuvent dès lors être accueillies.
15 En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'EARL du Perrey une somme de 1 500 euros qui sera versée à l'association de veille environnementale et autres, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'EARL du Perrey est rejetée.
Article 2 : L'EARL du Perrey versera à l'association de veille environnementale et autres une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la EARL du Perrey, à M. J... I..., représentant unique désigné par Me U..., mandataire et au ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 2 juin 2020, où siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme K..., président-assesseur,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 juin 2020.
Le rapporteur,
C. K... Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00553