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03/07/2020 | FRANCE | N°19NT00738

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 03 juillet 2020, 19NT00738


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 29 juin 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer des visas d'entrée en France aux enfants C... F..., Merdi F... et Martha F... en qualité de membres de la famille d'un réfugié statutaire.

Par un jugement n° 1606366 du 27 décembre 2018 le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :
>Par une requête, enregistrée le 18 février 2019, Mme A... F... agissant tant en son nom perso...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 29 juin 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer des visas d'entrée en France aux enfants C... F..., Merdi F... et Martha F... en qualité de membres de la famille d'un réfugié statutaire.

Par un jugement n° 1606366 du 27 décembre 2018 le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 février 2019, Mme A... F... agissant tant en son nom personnel qu'en celui de Martha F..., d'C... F... et de Merdi F..., représentés par Me G..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 décembre 2018 ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 29 juin 2016 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme C... F..., M. B... F... et Mme D... F... les visas sollicités ou à défaut de procéder au réexamen des demandes, dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les articles L. 314-11 8° et L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnus ;

- une erreur de fait a été commise dès lors que le lien filial est établi ;

- une erreur d'appréciation a été commise ; la possession d'état doit être constatée ;

- les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ont été méconnus ;

Par un mémoire en défense enregistré le 21 octobre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il s'en rapporte à ses écritures de première instance lesquelles faisaient valoir qu'aucun moyen n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F..., ressortissante congolaise (République démocratique du Congo) née le 8 novembre 1974, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée le 2 juin 2009. Le 13 mai 2014, des visas de long séjour ont été sollicités pour les enfants C... F... et Merdi F... nés le 13 avril 1999 et Martha F... née le 10 janvier 2004. Par une décision du 4 mars 2016, les autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo) ont refusé de délivrer les visas sollicités. Mme F... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 29 juin 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision des autorités consulaires. Par un jugement du 27 décembre 2018, dont les consorts F... relèvent appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Pour refuser de délivrer les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée d'abord, sur le caractère tardif de l'établissement des actes d'état civil produits, ensuite sur l'absence de lien familial entre les intéressés et enfin sur la circonstance que le père déclaré des enfants, domicilié à Kinshasa n'est ni décédé ni déchu de l'exercice de ses droits parentaux ou du droit de garde de sorte que l'intérêt supérieur des enfants commande qu'ils restent auprès de leur père dans leur pays d'origine.

3. En premier lieu, un jugement supplétif d'acte de naissance n'ayant d'autre objet que de suppléer l'inexistence de cet acte, la commission ne pouvait utilement retenir, compte tenu de la nécessité de présenter un tel acte à l'appui des demandes de visa, la circonstance que les jugements contenus dans les demandes ont été établis tardivement.

4. En deuxième lieu, le principe d'unité de la famille, principe général du droit applicable aux réfugiés résultant notamment des stipulations de la convention de Genève du 28 juillet 1951, impose, en vue d'assurer pleinement au réfugié la protection prévue par cette convention, que la même qualité soit reconnue aux enfants mineurs de ce réfugié. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans ".

5. Aux termes du II de l'article L. 752-1 du même code : "Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. (...) ".

6. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Cet article dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

7. Il résulte de ces dispositions que les enfants d'un réfugié sont en droit de se voir délivrer des visas de long séjour à l'effet de le rejoindre en France pour pouvoir mener avec lui une vie familiale normale. De tels visas ne peuvent être refusés que pour un motif d'ordre public. Figurent au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir le lien de filiation entre le demandeur du visa et le membre de famille qu'il projette de rejoindre sur le territoire français ainsi que le caractère frauduleux des actes d'état civil produits.

8. Pour établir le lien de filiation entre les enfants C..., Merdi et Martha F... et Mme A... F..., cette dernière a produit les actes de naissance établis le 4 décembre 2013 sur le fondement des jugements supplétifs d'actes de naissance du 11 juin 2013 s'agissant d'C..., du 21 juin 2013 s'agissant de Merdi et du 18 avril 2013 s'agissant de Martha.

9. Ces jugements supplétifs ont été rendus sur le fondement des dispositions de l'article 106 du code de la famille congolais lequel dispose que : " Le défaut d'acte de l'état civil peut être suppléé par jugement rendu par le tribunal de grande Instance sur simple requête présentée au tribunal du lieu où l'acte aurait dû être dressé. / L'initiative de l'action appartient à toute personne intéressée et au ministère public. Lorsque celle-ci n'émane pas du ministère public, la requête lui est communiquée. / Lorsque le défaut d'un acte de l'état civil est constaté par l'officier de l'état civil parce que les déclarants se sont présentés après l'expiration du délai légal, l'officier de l'état civil, après avoir vérifié la réalité des déclarations à faire et les motifs du retard, envoie sans délai un rapport au ministère public qui saisit le tribunal. / Le tribunal, après vérification et enquête éventuelle, statue par décision motivée. / La transcription en est effectuée sur les registres de l'année en cours et mention en est portée en marge des registres, à la date du fait. (...) ".

10. Pour remettre en cause le caractère probant des actes d'état civil présentés, le ministre de l'intérieur relève que les jugements supplétifs ne précisent pas l'état civil complet des enfants, les noms, âges, professions et domiciles des parents. Toutefois, l'article 106 du code de la famille congolais ne prévoit pas que les jugements supplétifs doivent comporter les mentions prévues à l'article 118 du même code qui n'est applicable que s'agissant des actes d'état civil établis par l'officier d'état civil compétent.

11. Par ailleurs, la circonstance que les actes d'actes de naissance comportent des mentions supplémentaires par rapport à celles figurant sur les jugements supplétifs n'est pas de nature à retirer à ces actes leur valeur probante en l'absence de toute contradiction ou incohérence entre ces documents dont la finalité est différente. En tout état de cause, les énonciations contenues dans les actes de naissance sont conformes aux déclarations faites par Mme F... dans la fiche familiale de référence de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

12. Le ministre fait également valoir que les actes de naissance méconnaissent l'article 61 du code de la famille congolais qui prévoit que " Dans le cas où l'un des parents transmet son nom à l'enfant, il est tenu, selon le cas, de lui adjoindre, au moins un élément complémentaire différent du sien ". Toutefois, il ressort clairement tant des jugements supplétifs que des actes de naissance que le nom de famille des enfants est complété par un prénom lequel constitue, au sens de ces dispositions, un élément complémentaire différent du nom de famille du parent.

13. Dans ces conditions, les liens de filiation contestés doivent être tenus pour établis entre Mme A... F... et les jeunes C..., Merdi et Martha.

14. En troisième lieu, comme il a été dit ci-dessus, l'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Il s'ensuit que le motif tiré de ce que l'intérêt des enfants est de rester auprès de leur père, qui n'est pas d'ordre public, n'est pas susceptible de légalement justifier une décision refusant de délivrer à un membre de famille de réfugié statutaire un visa d'entrée et de long séjour en France sollicité au titre de la réunification familiale. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a ainsi commis une erreur de droit en rejetant le recours de Mme F... pour ce motif.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur a fait une inexacte application des dispositions précitées. Par suite, Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

16. Le présent arrêt implique, pour son exécution, qu'il soit enjoint au ministre de délivrer des visas de long séjour aux jeunes C..., Merdi et Martha dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros qui sera versée à Mme F... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 décembre 2018 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 30 juin 2016 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer des visas d'entrée et de long séjour aux jeunes C..., Merdi et Martha F... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera aux consorts F... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... F..., à Mme C... F..., à Mme B... F... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 16 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez président de chambre,

- Mme E..., président-assesseur,

- Mme Bougrine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 juillet 2020.

Le rapporteur,

C. E...

Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT00738


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT00738
Date de la décision : 03/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : CABINET IVALDI et DE GUEROULT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-03;19nt00738 ?
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