Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision du 19 août 2019 du consul général de France à Tunis (Tunisie) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de parent étranger d'enfant de nationalité française, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui délivrer le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement no 2000220 du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours, a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. B... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'État le versement à M. B... de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 juillet 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Nantes est erroné ;
- aucun des moyens soulevés par M. B... n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er septembre 2020, M. B..., représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le motif d'annulation du jugement attaqué est fondé ;
- en tout état de cause, le refus de visa est entaché d'une erreur d'appréciation s'agissant de la contribution du requérant à l'entretien et à l'éducation du jeune A... H... et des conditions du séjour envisagé ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B..., ressortissant tunisien né le 24 septembre 1985, déclare s'être marié, le 10 mai 2016 à Jerba (Tunisie), avec Mme F... H..., ressortissante française née le 30 octobre 1993. Le 10 août 2017, au consulat général de France à Tunis, M. B... a reconnu comme son fils le jeune A... H..., né en France le 5 mars 2016. Le 16 août 2019, M. B... a sollicité auprès du consulat général de France à Tunis la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de parent étranger d'enfant mineur de nationalité française. Sa demande a été rejetée par une décision du 19 août 2019 des autorités consulaires. Saisie le 4 octobre 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours préalable qu'il a formé contre la décision consulaire. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. B..., la décision de la commission de recours et lui a enjoint de délivrer à M. B... le visa de long séjour sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des écritures en défense du ministre de l'intérieur en première instance que, pour rejeter le recours préalable formé par M. B... contre la décision consulaire du 19 août 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés de ce qu'il n'était pas établi que l'intéressé contribuait à l'entretien et à l'éducation du jeune A..., de ce qu'il ne justifiait d'aucune ressource propre ni de ce que Mme H... pourrait effectivement le prendre en charge financièrement et matériellement, enfin, de ce qu'il ne justifiait pas de relations régulières avec Mme H... et son enfant.
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Nantes :
3. Aux termes de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié : " (...) Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : (...) c) Au ressortissant tunisien qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins (...) ".
4. La méconnaissance des stipulations de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, qui régissent seulement la délivrance d'un titre de séjour en qualité de père ou mère d'un enfant français résidant en France, ne peuvent utilement être invoquées à l'appui de conclusions à fin d'annulation d'une décision refusant la délivrance d'un visa d'entrée en France. Il en résulte que c'est à tort que, pour annuler la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de ce que la commission de recours s'était livrée à une inexacte application de l'article 10 de l'accord franco-tunisien.
5. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.
En ce qui concerne les autres moyens invoqués par M. B... :
6. En premier lieu, si M. B... soutient que le jeune A... H... est né le 5 mars 2016 de sa relation avec Mme H..., qu'il aurait rencontrée en janvier 2015 alors qu'il résidait régulièrement en France, il n'apporte aucune précision quant aux lieux et aux circonstances de sa rencontre avec Mme H... et se borne, pour établir la réalité de son séjour en France, à produire une copie de son passeport sur lequel est seulement apposé un visa de type B, c'est-à-dire un visa de transit délivré le 2 mai 2015 par la police aux frontières à Marseille, ainsi qu'un tampon attestant qu'il a quitté ce même jour le territoire français depuis Marseille. En outre, alors qu'il soutient avoir épousé Mme H... à Djerba le 10 mai 2016, sans que ce mariage ne soit transcrit sur les registres de l'état civil français, il a attendu le 10 août 2017, c'est-à-dire dix-huit mois après la naissance du jeune A..., pour le reconnaître comme son fils au consulat général de France à Tunis, et le 16 juillet 2019, pour enregistrer, au tribunal de grande instance de Douai, une déclaration conjointe avec Mme H... d'exercice en commun de l'autorité parentale sur l'enfant. Les pièces versées au dossier, à savoir deux attestations de membres de sa famille selon lesquelles M. B... verserait " tous les cinq ou six mois ", par l'intermédiaire de son oncle en raison de l'interdiction alléguée de sortie de Tunisie de la monnaie tunisienne, une " pension alimentaire de deux cent dix dinars, soit une valeur en euros de soixante-dix euros ", ne sont pas suffisantes pour établir la réalité de sa contribution financière à l'entretien du jeune A.... Enfin, les photographies, copies d'écran d'échanges téléphoniques ou électroniques et justificatifs de voyage en Tunisie par Mme H... accompagnée de son fils ne permettent pas, dans les circonstances de l'espèce, de tenir pour établi que le requérant contribue effectivement à l'éducation du jeune A.... Dès lors, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu légalement se fonder sur le motif tiré de ce qu'il n'était pas établi que l'intéressé contribuait à l'entretien et à l'éducation du jeune A... pour rejeter le recours formé par M. B.... Il résulte de l'instruction qu'elle aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur ce seul motif.
7. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Ainsi qu'il vient d'être dit, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... contribuerait effectivement à l'entretien et à l'éducation du jeune A..., ni que ce dernier ne pourrait pas se rendre en Tunisie pour y rendre visite au requérant, en dépit des problèmes de santé de Mme H.... Dès lors, la décision contestée n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Dès lors, elle ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours et lui a enjoint de délivrer à M. B... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui à l'occasion du litige soumis au juge.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 9 juin 2020 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions d'appel présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme C..., présidente,
- M. Frank, premier conseiller,
- M. E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 janvier 2021.
Le rapporteur,
F.-X. E...Le président,
C. C...
Le greffier,
C. Popsé
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 20NT02287