Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le département du Morbihan à lui verser la somme de 483 823,09 euros en réparation des préjudices découlant de l'accident de la circulation dont elle a été victime le 27 juin 2015.
Par un jugement n° 1703999 du 25 mars 2019 le tribunal administratif de Rennes a condamné le département du Morbihan à verser à Mme C... la somme de 230 292,10 euros en réparation de ses préjudices, outre une rente annuelle viagère de 12 360 euros, et à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère la somme de 401 120,87 euros en remboursement de ses débours. Il a également condamné la société Colas Centre Ouest à garantir le département du Morbihan des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 60 %.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 mai 2019 et 30 mars 2020 la société Colas Centre Ouest, représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 mars 2019 en tant qu'il a fait droit à la demande d'appel en garantie du département du Morbihan à hauteur de 60 % et a écarté la faute exonératoire commise par Mme C... ;
2°) de rejeter les conclusions d'appel en garantie formées par le département du Morbihan ;
3°) subsidiairement de limiter à 25 % de la somme maximale de 218 410,05 euros l'indemnisation des préjudices de Mme C... ;
4°) de mettre à la charge de tout succombant le versement de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- aucune stipulation contractuelle ne lui imposait de procéder immédiatement au balayage des gravillons se trouvant sur la chaussée ; elle disposait d'un délai de trois semaines pour le faire ; en outre la technique utilisée exclut un balayage immédiat, et la couche de gravillons n'excédait pas la couche habituellement admise ;
- il n'y a pas eu défaut d'entretien normal de l'ouvrage ;
- la réalité de la demande de balayage formulée par le département le 25 juin 2015 n'est pas établie ;
- la signalisation du danger causé par la présence de gravillons incombait au département ; seule la signalisation temporaire du chantier lui incombait et elle a été réalisée dans les règles ;
- le défaut de maîtrise de son véhicule par Mme C... caractérise une faute de sa part, de nature à exonérer la société de toute responsabilité ;
- le préjudice de Mme C... doit être estimé à 213 638 euros pour les frais d'assistance par tierce personne, à 7 327 euros pour le déficit fonctionnel temporaire et aux évaluations présentées en première instance par le département pour les autres chefs de préjudices.
Par un mémoire enregistré le 19 juillet 2019 la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère, représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'assortir la somme de 401 120,87 euros qui lui a été allouée en première instance des intérêts au taux légal calculés à compter de sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge du département du Morbihan le versement de 1 080 euros au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par des mémoires enregistrés les 19 août 2019 et 7 janvier 2020 le département du Morbihan, représenté par Me B..., conclut
1°) au rejet de la requête ;
2°) à l'annulation du jugement du 25 mars 2019 en tant qu'il a prononcé des condamnations à son encontre ;
3°) subsidiairement, par la voie de l'appel incident, à ce que la société Colas Centre Ouest soit condamnée à le garantir intégralement des sommes mises à sa charge et, par la voie de l'appel provoqué, à ce que l'indemnité qu'il a été condamné à verser à Mme C... soit limitée à 25 % ;
4°) à ce que soit mise à la charge de tout succombant la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- aucune responsabilité ne peut lui être imputée ; la seule présence de gravillons sur la chaussée ne saurait suffire à caractériser un défaut d'entretien normal et aucun défaut de signalisation du danger ne peut être retenu ;
- sa responsabilité ne peut être recherchée du seul fait de ne pas s'être assuré du déplacement effectif sur les lieux de la société Colas qu'il avait sollicitée à cet effet ;
- Mme C... a commis une faute de conduite à l'origine exclusive de l'accident ou subsidiairement de nature à réduire sa propre responsabilité de 75 % ;
- les travaux réalisés par la société Colas n'ont pas été conformes aux prescriptions du marché et aux règles de l'art ; elle est donc seule responsable de l'accident et aurait dû intervenir sans délai dès que l'excès de gravillons lui a été signalé ;
- les montants alloués par le tribunal en réparation des préjudices subis par Mme C... doivent être confirmés.
Par des mémoires en défense enregistrés les 10 décembre 2019 et 26 mars 2020 Mme G... C..., représentée par Me A..., conclut :
1°) au rejet de la requête de la société Colas et des conclusions du département du Morbihan ;
2°) par la voie de l'appel incident sur l'appel provoqué présenté par le département du Morbihan, à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande indemnitaire et à la condamnation du département du Morbihan à lui verser la somme totale de 483 823,09 euros majorée des intérêts de droit et de leur capitalisation ;
3°) à ce que soit mise à la charge du département du Morbihan ou de toute partie succombante la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité du département du Morbihan est engagée à son égard ; un balayage des gravillons excédentaire aurait dû être effectué ; un défaut de signalisation des travaux et du danger doit être observé ;
- elle s'en remet à l'appréciation de la cour s'agissant de l'appel en garantie formé par le département à l'encontre de la société Colas ;
- elle n'a commis aucune faute de conduite ;
- un lien de causalité existe entre l'accident et le défaut d'entretien normal ;
- la réparation de son préjudice doit être effectuée en prenant en compte le barème de capitalisation de référence pour l'indemnisation des victimes de 2017 et non celui de la Gazette du Palais ;
- s'agissant des préjudices patrimoniaux, ses frais futurs d'appareillage doivent être évalués à 598,86 € par an ; l'aménagement de son logement entraine des frais à hauteur de 48 805,66 € outre des frais d'entretien de 2 257,87 euros ; son besoin d'assistance par une tierce personne pourra être réparé par le versement d'une somme de 225 339,80 euros, un capital doit lui être versé à ce titre plutôt qu'une rente ;
- s'agissant des préjudices personnels, son déficit fonctionnel temporaire doit être réparé par la somme de 11 320,80 euros ; les souffrances endurées par la somme de 40 000 euros ; le préjudice esthétique par celle de 25 000 euros ; le déficit fonctionnel permanent par celle de 110 500 euros, le préjudice d'agrément par celle de 10 000 euros et le préjudice sexuel par celle de 10 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Alors qu'elle circulait le 27 juin 2015 en automobile entre Sérent et Saint-Guyomard (Morbihan) sur la route départementale n°766 Mme G... C..., née le 10 avril 1939, a été victime, au lieudit le Pont-neuf, d'un accident de la circulation. Saisi par la victime, le tribunal administratif de Rennes, par un jugement n° 1703999 du 25 mars 2019, a condamné le département du Morbihan à lui verser la somme de 230 292,10 euros, outre une rente annuelle viagère de 12 360 euros, et à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère la somme de 401 120,87 euros en remboursement de ses débours. Il a également décidé que la société Colas Centre-Ouest, cocontractante du département pour les travaux de voirie, garantirait le département à hauteur de 60 % des sommes mises à sa charge.
2. La société Colas Centre-Ouest relève appel de ce jugement en tant qu'après avoir retenu la responsabilité du département du Morbihan il l'a condamnée à garantir celui-ci à hauteur de 60 % des condamnations prononcées et, subsidiairement, demande que l'évaluation du préjudice subi par Mme C... soit ramenée à de plus justes proportions. Le département du Morbihan demande à la cour, par la voie de l'appel provoqué, d'annuler ce jugement en tant qu'il a retenu sa responsabilité, de rejeter la demande de Mme C... et, subsidiairement, de limiter à 25 % sa part de responsabilité compte tenu de la faute commise par la victime. Par la voie de l'appel provoqué, Mme C... demande la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de ses conclusions indemnitaires et la condamnation du département du Morbihan à lui verser la somme totale de 483 823,09 euros majorée des intérêts de droit et de leur capitalisation. La caisse primaire d'assurance maladie du Finistère conclut quant à elle au rejet de la requête de la société Colas et demande que la somme de 401 120,87 euros que le département du Morbihan a été condamné à lui verser en première instance soit assortie des intérêts de retard et que lui soit attribuée une indemnité forfaitaire de gestion de 1 080 euros.
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne les conclusions d'appelant principal de la société Colas :
3. Pour obtenir réparation par le maître de l'ouvrage des dommages qu'il a subis, l'usager de la voie publique doit démontrer, d'une part, la réalité de son préjudice et, d'autre part, l'existence d'un lien de causalité direct entre l'ouvrage et le dommage. Pour s'exonérer de la responsabilité qui pèse ainsi sur elle, il incombe à la collectivité maître d'ouvrage, soit d'établir qu'elle a normalement entretenu l'ouvrage, soit de démontrer la faute de la victime ou l'existence d'un événement de force majeure.
4. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment des constatations des services de la gendarmerie corroborées par les planches photographiques annexées, qu'un panneau rectangulaire " entretien routier - prudence gravillons " ainsi que deux panneaux triangulaires de type AK 22 annonçant le danger lié aux risques découlant de la présence de gravillons avaient été installés en amont du lieu de l'accident dans le sens de circulation du véhicule de Mme C.... La signalisation ainsi mise en place était adaptée aux risques encourus. Par ailleurs il est constant qu'en présence de tels panneaux, les conducteurs doivent adapter la conduite de leur véhicule aux risques que comporte la présence de gravillons, en raison notamment de la diminution de l'adhérence de la chaussée.
5. D'autre part, il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que la technique utilisée par la société Colas pour assurer la réfection de la chaussée qui présentait des traces de ressuage consistait à déposer une couche de liant puis une couche de gravillons au moyen d'un engin en assurant une répartition égale, uniforme et en quantité adéquate, les gravillons étant ensuite compactés par un rouleau puis par le passage des véhicules des usagers sur la chaussée, un balayage n'étant prévu qu'après plusieurs jours de circulation sur le nouveau revêtement. Aucun des éléments au dossier, et en particulier les procès-verbaux établis par la gendarmerie, ne permet d'établir que ces travaux n'auraient pas été réalisés conformément aux règles de l'art, et notamment que la couche de gravillons aurait été excessive et de nature à exposer les usagers à des risques excédant ceux auxquels ils doivent s'attendre en présence d'une signalisation adaptée. Les attestations produites par Mme C... et les mentions portées de manière non officielle par un militaire de la gendarmerie dans un mail adressé à l'assureur d'un autre conducteur ne suffisent pas, alors même qu'un balayage a en définitive été réalisé le soir de l'accident, à remettre en cause la réalité de ce constat. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a jugé que l'accident litigieux avait eu pour origine un défaut d'entretien normal de la voie publique.
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 que la société Colas est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamnée à garantir le département de 60 % des sommes mises à sa charge.
En ce qui concerne les conclusions d'appel provoqué présentées par le département du Morbihan et d'appel incident présentées Mme C... sur l'appel provoqué du département :
7. L'admission de l'appel de la société Colas a pour effet de porter atteinte aux droits du département qui n'est plus garanti par celle-ci ainsi qu'aux droits de Mme C... qui perd son droit à indemnisation. Dès lors, les conclusions présentées tant par le département que par Mme C..., bien que postérieures à l'expiration du délai d'appel, sont recevables.
8. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, en premier lieu, que le département du Morbihan, en l'absence de toute responsabilité mise à sa charge, ne peut utilement demander que la société Colas le garantisse de l'intégralité des sommes mises à sa charge par les premiers juges. En second lieu, en l'absence de tout engagement de responsabilité du département et de la société Colas,
Mme C..., victime de l'accident de la circulation survenu le 27 juin 2015, n'est pas fondée à demander à être indemnisée des conséquences dommageables découlant de cet accident.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il y a lieu de laisser définitivement à la charge du département du Morbihan les frais d'expertise engagés dans le cadre de la présente instance, taxés et liquidés par l'ordonnance du
31 août 2017 à la somme de 900 euros.
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties les frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1703999 du tribunal administratif de Rennes du 25 février 2019 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par Mme C... et la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère devant le tribunal administratif de Rennes ainsi que les conclusions présentées par eux devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Colas Centre Ouest et le département du Morbihan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Colas Centre-Ouest, à Mme G... C..., au département du Morbihan et à la CPAM du Finistère.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot président de chambre,
- Mme D..., président-assesseur,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 février 2021.
Le rapporteur
C. D...
Le président
I. Perrot
Le greffier
R. Mageau La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
19NT01983
N° 19NT01983 2
2