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19/02/2021 | FRANCE | N°19NT02636

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 19 février 2021, 19NT02636


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les consorts I... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier universitaire de Rennes à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite de l'infection nosocomiale dont Mme H... I... a été victime lors de son hospitalisation dans cet établissement, à hauteur de 108 710, 01 euros pour Mme H... I..., 25 000 euros pour M. F... I..., 13 000 euros pour Mme H... I... et M. F... I... en leur qualité de représentants légaux de leur enfant mineur D..., e

t 13 000 euros chacun à M. G... I... et à Mme Lola I....

Par un jugement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les consorts I... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier universitaire de Rennes à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite de l'infection nosocomiale dont Mme H... I... a été victime lors de son hospitalisation dans cet établissement, à hauteur de 108 710, 01 euros pour Mme H... I..., 25 000 euros pour M. F... I..., 13 000 euros pour Mme H... I... et M. F... I... en leur qualité de représentants légaux de leur enfant mineur D..., et 13 000 euros chacun à M. G... I... et à Mme Lola I....

Par un jugement n° 1604689 du 9 mai 2019 le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier universitaire de Rennes à verser à Mme H... I... la somme de 27 807,21 euros, à M. F... I... la somme de 5 000 euros,

à Mme H... I... et à M. F... I... en leur qualité de représentants légaux de leur enfant mineur D... la somme de 2 000 euros, à M. G... I... et à Mme Lola I... la somme de 2 000 euros chacun, en réparation de leurs préjudices. Il a également condamné l'établissement hospitalier à verser la somme de 38 381,06 euros à la CPAM d'Ille-et-Vilaine en remboursement de ses débours ainsi que 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 juillet 2019 et 2 avril 2020 Mme H... I..., M. F... I..., agissant tant en leur nom propre qu'en qualité de représentants légaux de leurs fils mineur D..., M. G... I... et Mme Lola I..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et associés, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement attaqué en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à leurs conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Rennes à verser les sommes totales de 108 697,51 euros à Mme H... I..., 25 000 euros à M F... I... et 13 000 euros pour chacun des enfants G..., K... et D..., ces sommes étant assorties des intérêts de droit à compter de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Rennes le versement de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Rennes dans la survenue de l'infection nosocomiale contractée par Mme I... ;

- en ce qui concerne le préjudice de Mme H... I... : il doit être tenu compte de frais de déplacement s'élevant à 50,67 euros ; le besoin d'assistance par une tierce personne doit être estimée à 8 146,84 euros ; l'incidence professionnelle à 60 000 euros compte tenu de la perte de la possibilité de travailler ; l'évaluation de son déficit fonctionnel temporaire faite par le tribunal à hauteur de 2 500 euros doit être confirmé ; l'évaluation à 20 000 euros des souffrances endurées doit être confirmée ; son préjudice esthétique temporaire doit être réparé par une somme de 1 500 euros ; son préjudice esthétique permanent doit être réparé par le versement de 1 000 euros ; le préjudice sexuel par une somme de 10 000 euros ; le préjudice d'établissement du fait de l'impossibilité d'élever normalement ses enfants par une somme de 5 000 euros

- en ce qui concerne le préjudice de M. F... I... : son préjudice d'affection doit être réparé par le versement d'une somme de 10 000 euros ; le préjudice d'accompagnement par celui d'une somme de 5 000 euros et son préjudice sexuel par la somme de 10 000 euros

- en ce qui concerne les préjudices des enfants G..., K... et D... : ils ont subi, chacun, un préjudice d'affection devant être réparé par le versement d'une somme de

10 000 euros et des troubles dans leurs conditions d'existence devant être réparés par le versement de 3 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 20 septembre 2019 la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine, représentée par Me Di Palma, demande à la cour, outre la confirmation du jugement attaqué, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Rennes la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement doit être confirmé en ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Rennes ;

- le montant auquel a été condamné le centre hospitalier universitaire à son égard doit être confirmé.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 mars 2020 le centre hospitalier régional et universitaire de Rennes, représenté par Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par les consorts I... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brisson,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. À la suite des douleurs persistantes des membres inférieurs et du rachis lombaire, Mme I..., alors âgée de 44 ans, a subi le 6 juin 2013 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes une arthrodèse L3-L4 circonférentielle droite. En raison d'une infection sur le site de l'intervention, l'intéressée a dû subir par la suite plusieurs reprises chirurgicales, une antibiothérapie, deux transferts dans le service des maladies infectieuses du CHU et deux hospitalisations à domicile. Au cours de cette période, Mme I... a fait une tentative de suicide médicamenteux. Du 8 octobre au 8 novembre 2013, l'intéressée a été hospitalisée au centre de rééducation du centre hospitalier de Saint-Malo. Elle a fait par la suite l'objet d'un suivi et de soins pour le traitement de ses douleurs.

2. Mme I... a saisi le 20 juin 2014 la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) de Bretagne d'une demande d'indemnisation de ses préjudices. Après réalisation d'une expertise médicale, confiée à un neurochirurgien et un médecin infectiologue, qui ont déposé leur rapport le 6 juillet 2015, cette instance s'est, par un avis du 9 septembre 2015 déclarée incompétente pour connaître de la demande de Mme I..., les dommages subis par celle-ci ne présentant pas le caractère de gravité requis. Le 5 octobre 2016 les consorts I... ont alors saisi le CHU de Rennes d'une réclamation préalable qui a été implicitement rejetée puis ont formé un recours devant le tribunal administratif de Rennes. Par un jugement du 9 mai 2019 ce tribunal a condamné le centre hospitalier universitaire de Rennes à verser à Mme I... la somme de 27 807,21 euros, à M. I... celle de 5 000 euros et de 2 000 euros pour chacun des enfants G..., D... et K... I..., outre la somme de 38 381,06 euros à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine et celle de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Les consorts I... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de leurs demandes.

Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Rennes :

3. Il n'est pas contesté devant la cour que l'infection dont a été victime Mme I... à la suite de l'intervention chirurgicale pratiquée le 5 juin 2013 a un caractère nosocomial et que la réparation des dommages qu'elle a provoqués incombe au centre hospitalier universitaire de Rennes sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices de Mme I... :

S'agissant des préjudices de caractère patrimonial :

Quant aux préjudices patrimoniaux de caractère temporaire :

4. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 4 juillet 2015 qu'à l'exception d'une période d'hospitalisation du 25 au 31 juillet 2013, l'état de Mme I... a nécessité l'assistance d'une tierce personne au cours de la période du 12 juillet au 8 novembre 2013 à raison de 2 h par jour ainsi qu'une aide-ménagère à raison de 2 heures par semaine. Si M I..., qui a apporté assistance à son épouse, soutient que le volume de l'aide non spécialisée doit être estimé, non pas à 2 h mais à 3 h par jour, il n'en justifie pas. Il y a alors lieu de retenir, comme l'ont fait les premiers juges, un besoin de 2 heures par jour auquel s'ajoutent 2 heures hebdomadaires d'aide-ménagère. Dans ces conditions, en évaluant à 3 756,54 euros le montant de la somme destinée réparer le préjudice de Mme I... lié au besoin temporaire d'assistance par une tierce personne, les premiers juges ont procédé à une juste appréciation de ce chef de préjudice.

Quant aux préjudices patrimoniaux permanents :

5. Mme I... fait valoir qu'un état dépressif lui a retiré tout élan vital pour retravailler et pouvoir de ce fait disposer d'une retraite plus importante. Toutefois, alors qu'elle exerçait une activité de secrétaire médicale, elle a été, en raison des lombalgies qu'elle présentait, placée en congé de maladie de longue durée en 2005 avant d'être mise à la retraite pour invalidité en 2011. Dans ces conditions, et alors qu'au demeurant elle ne justifie d'aucune démarche en vue de pouvoir exercer de nouveau une activité professionnelle, au besoin après avoir engagé une formation à cet effet, l'infection, survenue en 2013, ne présente pas de lien de causalité directe avec le préjudice tenant à l'incidence professionnelle qu'elle invoque. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la réparation de ce chef de préjudice.

6. Le préjudice esthétique temporaire supporté par Mme I... du fait d'un important amaigrissement peut en l'espèce, être évalué à 1 500 euros. En conséquence, le tribunal a procédé à une juste appréciation de ce chef de préjudice.

S'agissant des préjudices à caractère extra-patrimonial :

7. Eu égard à la fois aux conséquences esthétiques de l'important amaigrissement supporté à titre temporaire par Mme I..., ce préjudice ayant pu être évalué par l'expert à 2/7, et des cicatrices dont elle est restée affecté de manière permanente, évalué à 1,5/7, il a été fait, par le tribunal, une équitable appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à 1 500 euros.

8. Si Mme J... demande la réparation d'un préjudice sexuel, le lien direct avec l'infection nosocomiale n'est pas établi par l'instruction ; le rapport d'expertise se bornant à relater que l'intéressée rapporte une baisse de la libido et une gêne douloureuse de type mécanique (douleurs rachidiennes) lors des rapports sexuels. Par suite, la demande présentée à ce titre ne peut être accueillie.

9. Enfin, la circonstance que les enfants de Mme J... ont dû être confiés à des proches au cours de l'été 2013, n'a pas, en elle-même, fait obstacle à la possibilité de réaliser un projet de vie familiale qui préexistait à l'infection à l'origine des préjudices subis par elle. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont écarté ce chef de préjudice.

En ce qui concerne les préjudices de M. J... :

10. L'état de santé de Mme J..., son hospitalisation prolongée et les souffrances qu'elle a endurées, à l'origine d'une tentative d'autolyse le 25 août 2013, a été pour son époux à l'origine d'un préjudice d'accompagnement et d'affection pouvant être réparé, comme l'ont justement estimé les premiers juges, par la somme de 5 000 euros. En revanche, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 8, il n'y a pas lieu de retenir le préjudice sexuel invoqué par M. I....

En ce qui concerne les préjudices des trois enfants de M. et Mme I... :

11. Les trois enfants de M. et Mme I..., qui étaient âgés 10, 14 et 19 ans à la date de l'infection nosocomiale dont a été victime leur mère, ont été les témoins directs des souffrances supportées par cette dernière et en particulier du syndrome dépressif dont elle a souffert la conduisant à une tentative d'autolyse. Les enfants ont dû être confiés à des proches au cours de l'été 2013. Par ailleurs, les résultats scolaires de l'un d'eux ont connu une dégradation et un autre des enfants a manifesté des troubles du comportement. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il sera fait une juste évaluation du préjudice moral et des troubles dans leurs conditions d'existence en l'estimant, pour chacun, à la somme de 4 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Rennes une somme de 1 500 euros qui sera versée aux consorts I... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

13. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine.

DECIDE :

Article 1er : La somme que le centre hospitalier universitaire de Rennes a été condamné par le tribunal administratif de Rennes à verser à chacun des trois enfants de M et Mme I... en réparation de leurs préjudice moral et de leurs troubles dans leurs conditions d'existence est portée à 4 000 euros chacun.

Article 2 : Le jugement n°1604689 du tribunal administratif de Rennes du 9 mai 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le centre hospitalier universitaire de Rennes versera aux consorts I... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par la CPAM d'Ille-et-Vilaine sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... I..., première dénommée, au centre hospitalier régional et universitaire de Rennes et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 4 février 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot président de chambre,

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. Berthon, premier conseiller

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 février 2021.

Le rapporteur

C. Brisson

Le président

I. Perrot

Le greffier

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la famille, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT02636


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02636
Date de la décision : 19/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : DI PALMA

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-02-19;19nt02636 ?
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