Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, de condamner la commune de Bonneville-la-Louvet à lui verser une somme de 75 890 euros, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des refus de raccordement définitif au réseau d'électricité que lui oppose le maire et, d'autre part, d'enjoindre à ce dernier de procéder au raccordement sollicité.
Par un jugement n° 1901940 du 5 mars 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 juin 2020 et le 14 octobre 2020, M. D..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 5 mars 2020 ;
2°) de condamner la commune de Bonneville-la-Louvet à lui verser une somme de 75 890 euros ;
3°) d'enjoindre au maire de cette commune de procéder au raccordement de son bien au réseau d'électricité, dès la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Bonneville-la-Louvet une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les refus répétés du maire opposés à sa demande de raccordement méconnaissent l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement du tribunal correctionnel de Lisieux du 18 septembre 2014 ;
- ils méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ils lui causent un manque à gagner ainsi qu'un préjudice moral et ont impliqué des dépenses d'acquisition, de fonctionnement et d'entretien de deux groupes électrogènes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2020, la commune de Bonneville-la-Louvet, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les conclusions dirigées contre le maire sont irrecevables dès lors que celui-ci n'est pas partie dans la présente instance ;
- à supposer que le requérant entende engager la responsabilité personnelle du maire, la cour est incompétente pour en connaître ;
- les conclusions aux fins d'injonction sont tardives, la décision du 8 juillet 2019 revêtant un caractère confirmatif ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... a acquis, le 3 juin 2006, un " terrain en nature de friches sur lequel existe un bâtiment vétuste ", situé sur le territoire de la commune de Bonneville-la-Louvet (Calvados). Il a entrepris des travaux de " rénovation " du bâtiment dès 2006. A trois reprises, en 2010, 2015 et 2019, le maire de Bonneville-la-Louvet s'est opposé, sur le fondement des dispositions l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme, devenu l'article L. 111-12, au raccordement définitif de la construction au réseau d'électricité. M. D... relève appel du jugement du 5 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la condamnation de la commune de Bonneville-la-Louvet à lui verser une somme de 75 890 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des refus répétés de raccordement au réseau d'électricité que lui oppose le maire et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à ce dernier de procéder au raccordement sollicité.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La demande de M. D... tend à l'engagement de la responsabilité de la commune de Bonneville-la-Louvet en raison des fautes qu'auraient commises le maire de cette commune en s'opposant, dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale de l'urbanisme, au raccordement définitif de sa construction, située sur la parcelle cadastrée ZE 30, au réseau d'électricité. Par suite, le juge administratif est compétent pour connaître du présent litige.
Sur la faute de la commune :
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme, devenu l'article L. 111-12 : " Les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n'a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu de ces dispositions. ".
4. En premier lieu, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif. La même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, au regard des éléments apportés par le demandeur, et le cas échéant des éléments que lui soumet l'administration, si la construction dont le raccordement aux réseaux est demandé peut être regardée, compte tenu de la date de son édification et des exigences applicables à cette date en matière d'autorisation de construire, comme ayant été régulièrement édifiée.
5. D'une part, si, par un jugement du 18 septembre 2014, le tribunal correctionnel de Lisieux a relaxé M. D... du chef d'exécution de travaux sans permis de construire et du chef de construction en infraction au plan local d'urbanisme, il ressort des motifs de cette décision juridictionnelle que le juge pénal, au demeurant saisi de faits commis entre le 16 avril 2012 et le 5 mai 2014, s'est borné à juger que n'était pas rapportée la preuve des infractions du chef desquelles il était prévenu sans se prononcer sur la réalité des faits reprochés. D'autre part, il est constant que les travaux réalisés par M. D... l'ont été sans obtention d'un permis de construire ni d'une décision de non-opposition à déclaration préalable. Le requérant ne conteste pas que les travaux litigieux, dont il résulte de l'instruction qu'ils ont notamment consisté à remplacer le matériau de toiture, ont eu pour effet de modifier l'aspect extérieur du bâtiment et devaient, à tout le moins, faire l'objet d'une déclaration préalable en application des dispositions du a de l'article R. 421-7 du code de l'urbanisme. Dès lors, le maire de Bonneville-la-Louvet pouvait légalement, sur le fondement des dispositions citées au point 3 et sans méconnaitre l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement du tribunal correctionnel de Lisieux, s'opposer au raccordement définitif du bâtiment litigieux au réseau d'électricité.
6. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. La décision par laquelle le maire refuse, sur le fondement de l'article L. 111-6, devenu l'article L. 111-12, du code de l'urbanisme, le raccordement définitif d'une construction à usage d'habitation irrégulièrement implantée aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone a le caractère d'une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si une telle ingérence peut être justifiée par le but légitime que constituent le respect des règles d'urbanisme et de sécurité ainsi que la protection de l'environnement, il appartient, dans chaque cas, à l'administration de s'assurer et au juge de vérifier que l'ingérence qui découle d'un refus de raccordement est, compte tenu de l'ensemble des données de l'espèce, proportionnée au but légitime poursuivi.
8. Il résulte de l'instruction que M. D... ne réside ni même n'a vocation à résider dans le bâtiment dont il demande le raccordement et qu'il indique destiner à la location. Il allègue, par ailleurs, qu'il entend y héberger sa mère et sa soeur durant les vacances. Toutefois, eu égard aux motifs d'intérêt général que constituent, d'une part, le respect de la vocation de la zone N et, d'autre part, le respect des règles d'utilisation des sols, aucune des considérations invoquées ne revêt une importance telle que l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. D... serait disproportionnée au but légitime poursuivi.
9. Ainsi, alors même que le requérant aurait proposé de prendre en charge les frais de raccordement, en s'opposant au raccordement définitif de la construction au réseau d'électricité, le maire de Bonneville-la-Louvet n'a commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de la commune. Il s'ensuit que les conclusions aux fins d'indemnisation et d'injonction présentées par M. D... ne peuvent qu'être rejetées.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées à la demande par la commune de Bonneville-la-Louvet, que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Bonneville-la-Louvet, laquelle n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. D... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du requérant le versement à la commune de la somme de 1 500 euros au titre des frais de même nature qu'elle a supportés.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : M. D... versera la commune de Bonneville-la-Louvet la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et à la commune de Bonneville-la-Louvet.
Une copie sera adressée pour information au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 9 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme A..., présidente assesseur,
- Mme E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 février 2021.
Le rapporteur,
K. E...
Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01723